Quelque part aux États-Unis, une adolescente lambda se débat avec l’existence. Sydney, avec son caractère de Lucy van Pelt (Charles M. Shulz) et son physique d’Olive Oyl moderne (Elzie Crisler Segar), s’ennuie beaucoup au lycée, se dispute régulièrement avec sa mère, tente quelques expériences - sexe et herbe - et tient un journal à la demande de la conseillère d’orientation de son établissement, « vieille hippie » certes bien intentionnée mais qui ne la comprend guère.
C’est ce journal intime que nous découvrons dans Pauvre Sydney !, édité par L’employé du Moi dans une version augmentée qui ne paraîtra qu’à la fin de l’année outre-Atlantique [1]. Charles Forsman fait mine de seulement illustrer ce journal : tous les mots seraient de Sydney. Un récit à la première personne donc, qui nous implique davantage dans la vie de la jeune fille, nous fait ressentir ses émotions et sentiments, ses joies et ses douleurs. Et le drame qui se noue, peu à peu.
En quinze séquences, autant que d’années vécues par Sydney, le dessinateur parvient à dresser un portrait réaliste malgré le choix d’une clé fantastique qui ferme le destin son héroïne. Car si rien, en apparence, ne distingue Sydney, des autres adolescents, hormis un caractère tout à la fois taciturne, impétueux, curieux et sensible, elle détient - et parfois subit - une particularité réellement hors du commun.
Ses colères ou ses hontes les plus vives, mais aussi son plaisir sexuel, provoquent chez elle de violentes migraines qui peuvent aller jusqu’aux vomissements ou à l’évanouissement. Or, non seulement cette situation complique sa vie quotidienne, mais elle lui confère également un pouvoir, qu’elle ne maîtrise qu’en partie, lui permettant de provoquer chez autrui des maux de tête et des saignements. Voire pire.
Charles Forsman mêle donc le fantastique et le tragique. Sans en révéler trop sur Sydney, son passé et sa famille, ses contradictions et ses choix, il faut souligner qu’elle n’est pas si ordinaire que le lecteur pourrait le croire de prime abord. Pourtant, malgré - ou grâce à ? - ce choix, Charles Forsman dresse un portrait convaincant de l’adolescente. Ses hésitations, ses expériences, ses envies demeurent tout à fait vraisemblables.
Contrastant avec l’introduction du fantastique dans un récit à la trame de fond réaliste, contrastant aussi avec la violence des émotions de Sydney, le dessin et la composition de Charles Forsman sont d’une grande sagesse. La plupart des pages sont découpées en deux ou en quatre cases. La ligne est simple, avec ce qu’il faut de souplesse pour donner vie aux personnages, comme dans beaucoup de comics strips classiques.
Quelques écarts - des dessins en pleine pages, un trait un peu plus dense - viennent parfois apporter une rupture. Ce choix graphique, finalement, correspond bien à Sydney : sous des dehors presque lisses, elle cache un tempérament tumultueux. Explosif même, comme le lecteur s’en rendra compte.
Après The End of The Fucking World (L’employé du Moi, 2013), dont la récente adaptation en série a connu le succès [2], et Celebrated Summer (Cambourakis, 2013) notamment, Charles Forsman confirme son talent d’écriture et d’explorateur des adolescences en marge. Il sera exposé en septembre à Bruxelles, aux côtés d’autres dessinateurs nord-américains, dans le cadre du festival Cultures Maison : une excellente occasion d’aller à la rencontre de son œuvre.
(par Frédéric HOJLO)
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Pauvre Sydney ! - Par Charles Forsman - L’employé du Moi - édition originale : I Am not Okay with This, Fantagraphics, 2018 - traduit de l’anglais (États-Unis) par Vincent Degrez - 15 x 18 cm - 176 pages en noir & blanc - parution le 20 août 2018 - commander ce livre chez Amazon ou à la FNAC.
Consulter le site de l’auteur.
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[1] La première édition, chez Fantagraphics, étant un peu plus courte.
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