Pendant quatre longues années Ombre s’est tenu tranquille. Il a ainsi évité tous les pièges et écueils de la prison, purgeant sa peine sans faire d’histoire, pressé qu’il était de retrouver, à sa sortie, qu’il espérait la plus précoce possible, son épouse. Sa réinsertion devait parfaitement se dérouler : un travail l’attendait dans la salle de gym de son meilleur ami, et un billet d’avion devait lui permettre de rejoindre ses proches au plus vite.
Mais voilà, le destin en a voulu autrement. Et de manière sacrément ironique. Ombre se trouve libéré deux plus tôt. Pour assister à l’enterrement de sa femme. Morte dans un accident de voiture. Avec son meilleur ami. À qui elle faisait une fellation. Mais ça, il ne l’apprendra qu’à l’issue d’un trajet rocambolesque, d’avions déroutés et de rencontres improbables avec des individus qui en savent plus qu’ils ne le devraient et qui paraissent, d’une étrange façon, immémoriaux.
American Gods déploie un motif cher à Neil Gaiman, celui du divin, abordé depuis une perspective existentielle. Dans ce récit, les dieux vivent parmi nous, issus des croyances, des superstitions et du folklore. Leur puissance proportionnelle à leur popularité, à l’adoration dont ils font l’objet à la mémoire que les humains possèdent encore d’eux.
Le mythologique baigne donc le récit, mais avec des divinités loin d’être irréprochables, qui jurent, manipulent, trompent et n’hésitent pas à se salir les mains et à user de violence pour parvenir à leurs fins. Sur ce canevas se dessine le périple d’Ombre, sous la forme d’un road-movie traversant l’Amérique - le pays et sa société - doublé d’une quête d’identité.
Adapté d’un roman de 2001, American Gods s’est vu décliné sous deux formats en 2017 : une série télé d’une part, une bande dessinée d’autre part. Cette dernière réalisée sur un script de P. Craig Russell, avec Scott Hampton au dessin et à la couleur. Et le travail de ce dernier convient idéalement à son objet, oscillant entre une base réaliste et un onirisme affleurant constamment et perçant de manière soudaine à travers des formes et réalisations aussi fascinantes que dérangeantes.
Urban Graphic, la collection "prestige" d’Urban Comics, s’enrichit là d’un titre de choix qui offre à son lecteur une vision inattendue des dieux américains saisis au cours de leur processus de décadence. Une évidente métaphore sociétale ?
(par Aurélien Pigeat)
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American Gods T1. D’après le roman de Neil Gaiman. Par Craig Russell (script) et Scott Hampton (dessin et couleur). Traduction Michel Pagel. Urban Comics, collection Urban Graphic. Sortie le 26 octobre 2018. 272 pages. 22,50 euros.