Le premier tome, paru en 2014, était lumineux, plein de vie et de jeunesse. Le second, qui sort ce mois-ci, est beaucoup plus sombre. Ces deux livres de Nine Antico racontent pourtant les deux "faces" d’un même rêve, celui d’une Californienne dont la vie se construit autour de la musique rock et de l’adulation de ses chanteurs et musiciens.
Autel California est en effet un diptyque. Face A – Treat Me Nice, puis Face B – Blue Moon, dont les titres font directement référence à des morceaux emblématiques d’Elvis Presley, mettent en scène Bouclette, de la fin de son enfance à son mariage, des années 1950 au début des années 1970. Mais si ce personnage central, librement inspiré de Pamela Des Barres, sert de fil conducteur au récit, c’est davantage par son ambiance et la transcription d’un contexte que le travail de Nine Antico acquiert sa valeur.
Pamela Des Barres est une groupie californienne, qui posséda son propre groupe, mais qui doit sa célébrité à son expérience de fan, qu’elle narre dans son autobiographie I Am With The Band - Confessions d’une groupie [1]. S’appuyant sur cet ouvrage ainsi que sur une abondante documentation et des témoignages recueillis en Californie, Nine Antico reconstruit tout un milieu, celui d’une certaine jeunesse américaine, naviguant entre rock et flower power.
Nous croisons donc au fur et à mesure de notre lecture Elvis Presley, Brian Jones, Mick Jagger, Jimi Hendrix, John Lennon et Yoko Ono, Jim Morrison et Jimmy Page, pour ne citer que les plus célèbres. Et le contexte de ces rencontres est habilement rendu. Sont évoquées les émeutes de Watts, la guerre du Vietnam, l’émergence des grands festivals musicaux notamment. Nous sommes presque frustrés de ne pas en apprendre plus sur ces personnages ou ces événements, tant Nine Antico les dépeint habilement.
Cependant, le trait de la dessinatrice comme son personnage principal restent un peu sages, en regard de cette époque explosive. Le portrait de Bouclette la rend plutôt attachante, mais sa caractérisation demeure assez superficielle, en particulier dans le premier tome. C’est en effet dans la Face B que le personnage, avec l’âge et les contradictions, devient plus complexe.
Cette Face B est d’ailleurs la plus réussie. Plus "décadente", troublée par l’ombre mortifère de Charles Manson, nous y trouvons davantage de questions sur cette période. Hésitations entre pacifisme et activisme, ravages de la drogue, débats sur le féminisme : le questionnement socio-politique se fait plus dense. Nous assistons en outre au crépuscule des idoles. Les groupes se séparent, certains des musiciens les plus brillants disparaissent et la chair devient triste, voire sordide.
Le dessin de Nine Antico transcrit fort bien ces ambiances. Quelques prises de risques supplémentaires, quelques expérimentations graphiques auraient peut-être eu leur place. En effet, les pages les plus évocatrices et les plus belles sont celles où la dessinatrice donne le plus de liberté à son trait. Les dessins ouvrant chaque chapitre, en pleine page, et les scènes "musicales" où nous voyons les artistes vivre leur musique sont certes les moins réalistes, mais aussi les plus réussis et les plus en adéquation avec leur sujet. Certains dessins frôlent même l’expressionnisme, par exemple lorsqu’un chanteur ou un guitariste a le visage littéralement emporté par la musique.
Nine Antico nous offre donc avec Autel California un travail sincère, très documenté, qui retrace avec une réelle force d’évocation une époque marquante. Si son diptyque souffre de quelques longueurs – deux volumes de deux-cents pages chacun tout de même, il s’inscrit parfaitement dans la continuité de Coney Island Baby. La dessinatrice construit ainsi peu à peu une œuvre cohérente et personnelle, qui ravira les passionnés de la pop-culture américaine et saura éveiller la curiosité des autres lecteurs.
(par Frédéric HOJLO)
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