Vous avez remarqué ? Aujourd’hui, imams et rabbins portent la barbe alors qu’au XIXe Siècle, les grandes figures de la République laïque étaient barbus : Gambetta, Jules Grevy, Jules Ferry, Victor Hugo, Jean Jaurès... alors que leurs opposants les papes, les Bourbons ou encore Bonaparte étaient glabres. La barbe était alors le signe distinctif de l’opposition au césarisme. Est-ce pour cela que Charb se laisse pousser une barbe naissante ?
Il est en tout cas l’auteur d’une BD qui va faire parler d’elle, une fois de plus : La Vie de Mahomet, où le célèbre prophète prend le teint jaune et la mimique contrite dont le caricaturiste affuble habituellement ses personnages. C’est évidemment une provocation : on connaît déjà la position des extrémistes islamiques sur la représentation du prophète, interdite selon eux par la religion, et sur leur manque d’humour : elle a coûté déjà un attentat à l’hebdomadaire satirique du mercredi.
"À qui appartient Mahomet ? interroge Charb. À tout le monde. Il est le prophète des musulmans, certes, mais pour d’autres il est un personnage historique ou bien une légende. On peut caricaturer Mahomet comme on caricature Jésus, Napoléon ou Zorro. Lorsqu’on caricature Mahomet dans Charlie, on caricature surtout l’idée que s’en font les extrémistes, ou bien on se sert de Mahomet pour l’opposer aux musulmans radicaux. Dans tous les cas, c’est la vision des fous de Dieu qui détermine notre façon d’envisager Mahomet. Il faut dire la vérité : on ne connaît pas Mahomet. En Occident, tout le monde peut citer des épisodes de la vie de Jésus, mais qui peut citer un épisode de la vie de Mahomet ? Est-ce normal dans un pays comme la France, où l’islam est présenté comme la deuxième religion ?"
Effectivement, cette interdiction de la caricature qui nous est imposée par des extrémistes religieux (et ils ne sont pas que musulmans : les catholiques aussi se sont opposés aux caricatures de Charlie Hebdo à maintes reprises) tire toute la société dans une direction qui anesthésie le sens critique. Le "politiquement correct" qui affecte aujourd’hui l’expression culturelle (on se souvient de la récente affaire "Tintin au Congo") ressort de la même logique.
Une banalisation nécessaire
Faut-il dès lors accepter ces provocations répétées ? Oui, cent fois oui. Car ce qui est anormal, c’est la censure, l’atteinte à la liberté. Le jour où il sera normal de caricaturer Mahomet comme il est normal de caricaturer un curé, un rabbin, Bouddha ou Jésus, où l’Islam cessera d’être stigmatisée comme une religion intolérante en raison même des preuves quotidiennes d’intolérance exprimées par la minorité de ses activistes (manifestations, autodafés, menaces, attentats,...), le jour où les caricaturistes pourront s’exprimer en terre d’Islam sans risquer des poursuites ou des atteintes contre leur personne, en clair, lorsque dans ces pays la liberté sera devenue une chose banale, alors ce genre de publication aura perdu son principal attrait.
Reste le versant pédagogique car, sous des dehors un peu provocs, il y a la volonté de nous faire découvrir une culture qui nous effraie car nous ne la connaissons pas : "Nous avons mis en images la vie de Mahomet telle que l’ont racontée les chroniqueurs musulmans" affirme Charb. Ce n’est déjà pas si mal, même si l’on ne croit pas qu’il soit "sans aucun humour ajouté" et si l’on trouve douteux le slogan qui fait de cet album un livre "parfaitement halal…"
Charlie Hebdo ne fait pas toujours dans la finesse...
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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En kiosque pour 6 euros.
Lire aussi l’interview : "Charb : « Pour les religions et l’extrême-droite, c’est feu à volonté ! »
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