Chroniques de l’injustice ordinaire. Récits de procès illustrés - Par Ana Pich - Massot Editions

Une BD pédagogique et engagée

Bienvenue au tribunal judiciaire de Nantes où Ana Pich a passé une année à dessiner différents types de procès. L’ouvrage, divisé en 10 chapitres, couvre ainsi un large panel de comparutions : répression des stups, protection des mineurs, violences policières, violences sexistes et sexuelles, répression politique...

Une longue introduction et un premier chapitre expliquent la démarche de l’autrice, comment elle en est arrivée à dessiner des procès après avoir arpenté les tribunaux pour ses recherches universitaires en droit puis en tant qu’enquêtrice sociale au tribunal de Bobigny.

Pédagogue, elle explique aussi dans un premier chapitre le fonctionnement d’un tribunal et d’un procès, les acteurs et explicite la panoplie des peines existantes. Elle revient sur l’ensemble des termes techniques que le lectorat s’apprête à découvrir et remet en perspective le biais des statistiques : s’il y a de nombreux prévenus d’origine étrangère dans les boxes des accusés, ce n’est pas parce qu’ils sont plus enclins à ne pas respecter la loi. C’est parce qu’ils sont bien plus surveillés et bien plus arrêtés que la population blanche. Ce racisme systémique occupe une bonne part de la réflexion de l’autrice, qui nous invite à une certaine prudence.

© Ana Pich’ - © Massot Editions

Une somme pour un lectorat averti

Délit de faciès, impunité des forces de l’ordre, justice expéditive, manque de preuves, peines disproportionnées par rapport à la gravité des faits reprochés, incohérences juridiques : avec cette somme de « procès » récoltés entre 2022 et 2023, Anna Pich nous montre la réalité crue et glauque d’un système judiciaire à bout de souffle, soulignant en creux le manque de moyens humains et financiers qui provoque raccourcis, lassitude et expéditivité des jugements.

Les peines d’emprisonnement se multiplient au détriment d’autres procédés moins contraignants sur les plans financier et humain qui ne sont quasiment jamais exploités par des magistrats à l’esprit gangrené par les préjugés et prompts à juger sévèrement celles et ceux qui ne leur ressemblent pas.

Côté dessin, le trait est à la fois précis sur les personnages et brouillon pour les contours, ce qui fait écho à l’opposition entre les enquêtes souvent bâclées et les sanctions nettes infligées. L’autrice dessine les acteurs des comparutions en fonction de sa propre position dans le tribunal, ce qui renforce l’impression de témoignage vivant déjà donnée par les textes des bulles.

On gémit, on pleure, on s’indigne devant tel récit de vie, tel argument fallacieux, telle situation ubuesque représentés crûment en noir et blanc, couleurs qui viennent renforcer la vision d’une justice où les nuances de gris n’existent presque plus. Si vous êtes dans le box des accusés, c’est que vous êtes coupable car sinon, vous n’y seriez pas : CQFD mais pas pour le lectorat averti qui cherchera à comprendre comment et pourquoi on en est arrivé là.

© Ana Pich - © Massot Editions