"Un Autre Regard T. 5 : Des lignes et des cailloux", d’Emma – Editions Massot

Ça se met où ? : Jean-Martin et la stratégie d’évitement

Dans la première partie intitulée Ça se met où ?, Emma met en scène le personnage de Jean-Martin, représentant masculin lambda du couple, pour s’attaquer aux stratégies d’évitement des tâches ménagères développées par les hommes depuis le mouvement #metoo et la mise en exergue du concept de charge mentale.

"Des lignes et des cailloux" - Jean Martin, extrait 1

© Emma

Après les avoir listées, l’autrice les décortique, ouvrages scientifiques à l’appui, puis propose des méthodes pour faire en sorte qu’elles soient vidées de leur sens et que les hommes prennent vraiment leur part de charge mentale dans la vie quotidienne. Le tout est traité avec la pointe d’humour et d’ironie propre à la blogueuse, et toujours sans agresser les hommes ou victimiser outre mesure les femmes. Elle constate les faits et parfois (souvent ?), le bât blesse car elle appuie là où ça fait le plus mal : la vérité.

"Des lignes et des cailloux" - Jean Martin, extrait 2

© Emma

Emma souligne cependant bien qu’elle n’apporte pas de miracle et n’a jamais eu la prétention de le faire. Ses solutions sont frappées au coin du bon sens et ont fonctionné dans son cas mais elles peuvent paraître fastidieuses, voire insurmontables selon les situations. Pour résumer, il reste encore un long chemin à parcourir et chaque couple doit trouver le mode de fonctionnement qui lui convient. Cette approche réaliste un peu défaitiste lui permet toutefois de finir son récit sur une pirouette encourageante qu’on vous laisse découvrir !

Henri-Gontran et La ligne.

Henri-Gontran est l’archétype du mec bien qui veut le faire savoir partout et qui tient à signaler à toutes les féministes que lui n’est pas comme les autres méchants hommes qu’elles décrivent. Sauf qu’à vouloir absolument attirer l’attention sur lui et sur lui seul, Henri-Gontran en oublie qu’il n’est pas le sujet du débat.

"Des lignes et des cailloux" - Henri-Gontran, extrait 1

© Emma

Les féministes savent qu’Henri-Gontran existe mais elles savent aussi qu’il suit, consciemment ou pas, les contours de "la Ligne" qui classe les hommes en deux catégories : les gentils et les méchants. Le problème de cette ligne, c’est que sa rectitude est plutôt fluctuante et dépend des circonstances et des critères que les hommes eux-mêmes fixent.

"Des lignes et des cailloux" - Henri-Gontran, extrait 2

© Emma

"Des lignes et des cailloux" - Henri-Gontran, extrait 3

© Emma

"Des lignes et des cailloux" - Henri-Gontran, extrait 4

© Emma

À partir de ce constat, Emma indique que se défaire du "kit culturel" de la masculinité ancré depuis l’enfance pour certains hommes demande de l’empathie, de l’humilité et des efforts, mais que ce n’est pas impossible. Et puis qu’Henri-Gontran exige qu’on parle de lui pour dire qu’il est bien alors que des minorités opprimées se battent pour la défense de leurs droits véritablement bafoués, c’est un peu fort de café !

Les bienveillants cailloux  de l’éducation positive.

Enfin, dans la troisième et dernière partie qui est aussi la plus longue, Emma pose son regard critique sur un mouvement qui s’est très fortement développé ses dernières années : l’éducation positive. Celle-ci consiste à placer le bonheur et le bien-être de l’enfant au cœur de son apprentissage en bannissant toutes les formes de violences (physiques, psychologiques, verbales).

Si ces préceptes partent à l’origine d’une bonne intention, ils ont peu à peu été érigés en dogmes absolus par quelques fanatiques et rendent depuis des milliers de parents désespérés et désemparés, en particulier des mères sur qui retombe souvent la charge mentale de l’éducation des enfants.

En présentant ses sources et en démontant les argumentaires fallacieux de plusieurs pontes de ce courant, Emma déconstruit leurs discours et montre que l’absence de définition claire de ce qu’on appelle les VEO (Violences Éducatives Ordinaires) contribue à créer une confusion et un flou quasi complets entre cadre éducatif bienveillant et maltraitance infantile.

Elle souligne la perversité culpabilisante de ces "bienveillants cailloux" qui poussent des parents totalement perdus et dépassés par leurs enfants à se jeter sur des formations, des livres et des kits de parentalité bienveillante hors de prix pour ne pas être considérés comme de mauvais parents, ce qu’ils seront forcément s’ils ne suivent pas les préceptes de la parentalité positive.

La conclusion est ici un peu différente car elle repose essentiellement sur l’arrêt de la culpabilisation. Emma indique qu’être un "parent comme on peut" respectueux de l’enfant mais qui pose des limites, c’est déjà bien et que c’est aussi un travail d’équipe entre la mère et le père. La dernière planche est d’ailleurs à découper pour les femmes qui auraient besoin de se rappeler qu’elles sont de bonnes mères "même quand..."

Un dessin renfort du propos.

Tous ces sujets sont lourds, clivants et potentiellement déplaisants, que ce soit pour les femmes ou les hommes, et c’est là qu’intervient la magie du dessin naïf très épuré d’Emma.

"Des lignes et des cailloux" - Jean Martin, extrait 3

© Emma

Ses personnages sont croqués de façon simple et drôle, à l’image des situations par lesquelles elle présente ses histoires. Comme il y a peu de décors dans ses planches et qu’on ne retrouve pas le découpage classique en cases, il est impossible de ne pas se concentrer sur les mots écrits et leur portée. Le blanc qui domine sur les planches apporte beaucoup de douceur à l’ensemble, un peu comme ses propos qui, même s’ils sont parfois durs, ne sont jamais méchants.

L’absence de lignes et de cadres montre une pensée ouverte, transverse, qui lie les phénomènes les uns aux autres et forme un tout. Le rythme de lecture est amené différemment, avec les couleurs assez fortes des phylactères qui attirent l’œil du lectorat et lui indique que c’est là que son attention doit se porter.

Le dessin d’Emma va donc lui aussi dans le sens de son propos et le renforce : une approche sans fioriture, claire, forte, douce, teintée d’humour mais implacable.

"Des lignes et des cailloux" - Henri-Gontran, extrait 5

© Emma