Fier de sa réussite et de ses excès, il a tendance à négliger les conseils de son médecin, de sa femme ou de ses amis qui lui conseillent régulièrement de « lever le pied ». Sûr de lui, résolument installé dans le déni (titre de ce premier tome) le brillant manager flanche le jour où sa (trop ?) fidèle assistante succombe à un AVC en pleine réunion ! Ce jour-là, Matthias prend l’avertissement en pleine figure, et décide de s’en remettre au conseil d’une amie lui ayant recommandé un « stage Détox » pour « libérer l’esclave en lui ». Il finit par rejoindre une communauté proposant des stages de développement personnel perdu en pleine nature. Plus d’ordinateur, plus de smartphone (enfin presque),plus d’argent, à cinquante ans passés, Matthias va-t-il trouver du sens à une vie sans argent, sans mail, sans collègue, loin, très loin de la pression des marchés et de la réussite à tout prix ?
Ce séjour doit lui permettre de retrouver ce qu’il est vraiment au fond de lui. Au fil des jours, l’expérience s’avère particulière et troublante pour celui qui avait jusque là davantage privilégié l’avoir plutôt que l’être.
C’est aussi à la suite de rencontres improbables que Matthias va être contraint de changer. Séparé de ses addictions, l’argent, le pouvoir et le cynisme qui va avec, ce personnage que l’on a découvert dominant, bougon et râleur devient au fil du récit attachant, presque attendrissant. Son amitié complice avec Adèle, une jeune femme voilée qu’il aurait eu peu de chance de croiser dans "sa vie d’avant" imprime au récit une touche pleine de sensibilité.
Sensibilité et mystère également à travers une séquence troublante présente dans l’album. Notre héros, enfant semble avoir été témoin d’une scène à l’origine de sa personnalité de ses retranchements ; Ces quelques planches laissent planer un mystère pas vraiment élucidé, créant à la fois trouble et attente chez le lecteur impatient. Une technique déjà bien maîtrisée par le scénariste dans de précédents livres.
Jim avoue s’être inspiré du récit de l’un de ses amis pour écrire cette histoire , le mélange d’humour et de dramaturgie rend peu à peu l’aventure personnelle de Matthias attachante et captivante. Coléreux, suffisant et haut en couleur ce anti-héros peu séduisant donne à Jim l’occasion de se livrer à un portrait particulièrement réussi. Auteur prolifique, le scénariste a déjà eu l’occasion de montrer ses capacités dans ce genre, n’hésitant pas au passage, de se faire l’écho de l’air du temps.
Tout en procurant de l’épaisseur et de l’ampleur au personnage de Matthias, il nous livre un récit dont l’authenticité et la sincérité font écho à la beauté des paysages. Le mérite en revient bien évidemment à Antonin Gallo, illustrateur autodidacte qui révèle de réelles capacités à planter le décor par la simplicité et la justesse de son trait dans la gestion des décors tandis que Jim assure de son côté le dessin des personnages. Une méthode singulière qui s’avère réussie, les tons sépia et les couleurs d’automne finissant s’accordant avec justesse à l’ambiance générale du récit.
Jim et Antonin Gallo nous offrent donc un album solide,malicieux, n’ayant peur ni de l’esthétisme ni de propos solides et originaux, totalement en phase avec notre époque.
A la fin de ce premier opus, les questions qui hantent les nuits de nos cols blancs et autres startuper demeurent. Est-il si simple de se désintoxiquer de la ville et de tout ce qui remplit nos vies ? Y-a-t-il une vie sans la 4G ?
Les deux compères réservent leur réponse dans l’acceptation, tome 2 à paraitre l’an prochain. Ou pas !
(par Patrice Gentilhomme)
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