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Disparition de Berck (« Strapontin », « Sammy », « Lou »…) : un géant de la BD flamande

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 29 décembre 2020                      Lien  
Nous vous l’annoncions lundi : Arthur Berckmans, dit Berck, est décédé dimanche 27 décembre à l’âge de 91 ans. Mais connaissez-vous la portée considérable de cet auteur et de son travail ? Avec Morris, Bob De Moor et William Vance, il fait partie des grandes figures flamandes qui ont animé avec talent la bande dessinée franco-belge de l’âge d’or. Un pilier dont la carrière s’étend de 1948 à 1994 et qui s’est développée conjointement dans quatre pays. Un géant.

Son dessin était rond, vif, tracé au pinceau, dynamique. Se plaçait-il dans la tradition de l’École de Marcinelle, à la suite de Franquin ? Difficile de le cerner d’entrée puisque Berck a fait ses débuts dans Tintin, à une époque où Franquin et Will y officiaient. Ses premiers dessins sont plutôt sous l’influence Stephen Bosustow (Mr. Magoo), mais surtout (dans ses premiers travaux à la plume) sous celle de Raymond Macherot qui, comme lui, migra du journal des 7 à 77 ans (selon l’expression consacrée par Karel Van Milleghem, rédacteur en chef du Tintin flamand, Kuifje) vers Spirou, « l ’hebdomadaire de la bonne humeur » à la fin des années 1960.

Disparition de Berck (« Strapontin », « Sammy », « Lou »…) : un géant de la BD flamande
Dans ses premiers dessins pour Tintin, ici sa série "Strapontin" sur scénarios de Goscinny, on sent l’influence de Raymond Macherot.
© Berck, Goscinny et Le Lombard.

Né le 3 mai 1929 à Louvain (Leuven en flamand), le père d’Arthur Berckmans est électricien et sa mère cordonnière à domicile. Enfant, il est bilingue et lit les revues Kindervriend (l’ami des enfants), Robbedoes (le Spirou flamand), Bravo et Le Journal de Mickey (dans sa version francophone).

Ses premières influences sont à trouver dans ses lectures de jeunesse, le dessinateur de la BD Zozo, C. Franchi, auprès du Popeye d’E.C. Segar et du Red Ryder de Fred Harmann, ce dernier paraissant dans Robbedoes/Spirou.

Est-ce un arrière-grand-père maternel sculpteur d’origine italienne qui le dirige vers des études artistiques ? Peut-être. Toujours est-il qu’il fait ses classes à l’Académie des Beaux-Arts de Louvain, avant d’intégrer Sint-Lukas (Saint-Luc). Mais c’est en entrant comme employé auprès d’une compagnie de Jésuites que naît sa vocation lorsqu’il dessine des bandes dessinées, monogrammées AB, dans le mensuel Pro Apostolis entre 1948 et 1952. Les hagiographies de quelques vies de saints (Saint Ignace, le fondateur de l’Ordre de Jésus ou encore le Père De Smet), comme il se doit. Il continue de travailler pour cette revue jusqu’en 1956.

Les débuts dans Tintin

C’est en travaillant pour la revue Ons Volkske (Junior en Français), un journal issu d’une collaboration entre le groupe de presse Standaard dirigé par Albert De Smael et les éditions du Lombard, qu’il intègre l’agence de publicité de Raymond Leblanc, Publiart, qui servit de rampe de lancement à une nouvelle génération de créateurs du Lombard. Là, il croise Tibet, Craenhals, Reding, Graton, Attanasio et d’autres qui travaillent sous la direction artistique d’Evany puis de Guy Decissy.

Il crée pour cette agence de nombreuses BD publicitaires, souvent scénarisées par Yves Duval : pour le biscuitier Parein (les chocolats Cha-Cha), le chocolatier Victoria, le pétrolier BP, etc. C’est la voie royale pour travailler dans les journaux du groupe Lombard : Junior, Line et Tintin. Assistant d’abord Jean Graton dans la réalisation de ses couvertures en couleur directe, il publie bientôt dans Tintin sa première « vraie » BD : Polochon dans la Pampa (1957). Le scénario est de lui, mais écrit en français par Yves Duval.

Rencontre avec le grand René Goscinny

Le rédacteur en chef André Fernez cherchant à diversifier son sommaire débauche à ce moment-là un scénariste prometteur, en disgrâce à la World Press en raison de son supposé « syndicalisme » : René Goscinny. Devenu le scénariste à tout faire du journal bruxellois, le jeune prodige français crée pour Berck le personnage d’un chauffeur de taxi nommé Strapontin (1958-1968). De temps en temps chauffeur de maître, Strapontin mène son vieux tacot dans tous les coins du monde. Goscinny quittant le Lombard pour fonder Pilote (1959), il scénarise la série un temps (sept épisodes jusqu’en 1965, quand même) mais doit rapidement céder le crayon à Jacques Acar face aux succès de ses autres séries. La série décline rapidement.

"Strapontin", une prodigieuse collaboration avec René Goscinny

Yves Duval conçoit alors pour Berck le personnage d’un petit tambour de la Grande Armée : Rataplan (1961-1967). Mais ces séries qui alimentent la collection Jeune Europe sont victimes d’un format broché et d’une collection qui ne décolle guère commercialement.

"Rataplan" (Sc. Yves Duval) arrive dans le Journal Tintin.

Une production néerlandophone abondante

Il est peu connu que parallèlement à ces productions pour le marché francophone, Berck est associé dans le studio Arle avec le dessinateur Leo Loeds pour une production continue pour les éditions Altiora de l’Abbaye d’Averbode et le journal Zonneland (Tremplin en français) : Wim en Eric : De Verdwenen Sloep (1965), De Zwartepinken (1965-1972), souvent scénarisées par Maurice Renders.

Toujours pour Altiora avec le studio Arle, il dessine pour la revue Zonnekind, De Vliegende Schildpad (La Palette volante) sur un scénario de R. Staelens. Il dessine seul et scénarise les séries De Wrede Nacht van Huntington (1974) et Balderham (1975-1976) adaptées de nouvelles de John Flanders (alias Jean Ray) par Rik Puttemans, bien que les trois derniers épisodes (1981-1983) soient anonymement réalisés par Raoul Cauvin.

On doit aussi au Studio Arle la BD De Familie Nopkes (1965, sc. Jos Loedts) pour ‘t Kapoentje, le supplément jeunesse du quotidien Het Volk, le cavalier de la police montée Kenton (1965) pour Ons Volkske (Junior), le supplément jeunesse du quotidien socialiste Ons Volk (avec une parution parallèle en français sous le titre de Chez Nous), mais aussi avec le scénariste Daniel Jansens, deux aventures de l’homme préhistorique géant Lombok (1969-1971) pour le quotidien Gazet van Antwerpen, publiées conjointement dans Le Soir Jeunesse et en albums dans Samedi Jeunesse.

"Zwartepinken", une production du studio Arle
Droits réservés.

En 1971, il est embauché par le magazine hollandais Sjors pour assurer une sorte de suite à la série La Ribambelle de Roba . Ce serai, sur scénario de Rudy Jansen, la bande de six jeunes scouts de De Donderpadjes (1971-1974), repris plus tard par Zonneland.

Pour le même hebdo batave, il succède au Benoît Brisefer de Peyo en créant Lowietje (1974-1983), un orphelin accompagné de son majordome, d’abord écrites par Piet Hein Broenland puis par Raoul Cauvin (de façon anonyme car celui-ci était salarié chez Dupuis) lorsque, suite à la fusion des magazines Sjors et Pep sous le label Eppo, la série Sammy rejoignit les pages de l’hebdomadaire hollandais. Berck occupa une bonne part de l’hebdo qu’Oberon publiait conjointement à ses productions Disney. Certains de ces épisodes de Lowietje parurent dans Spirou sous le titre de Lou.

Lou, produit pour l’hebdomadaire hollandais Sjors.
Droits réservés.

De Tintin à Spirou

Après quelques essais une fois encore infructueux pour le Journal Tintin : le petit Mexicain de Viva Panchico (1963) la parodie de James Bond, Ken Krom (1966) suivie de son avatar féminin Lady Bound (1967), Berck migre à l’arrivée du nouveau rédacteur en chef de Tintin, Greg, avec qui il ne s’entend pas, chez « Jules de chez Smit en face » : le Journal de Spirou.

C’est l’occasion pour Berck de quitter le trait à la plume qui caractérise son travail pour Tintin, pour un coup de pinceau qui le rapproche de Franquin. Il est accueilli chez Spirou rien de moins que par Raymond Macherot himself qui, accompagné du « réacteur en chef » Yvan Delporte, lui concoctent les aventures de Mulligan (1968-1969), un marin madré inspiré des souvenirs de Macherot évoluant dans une New-York en pleine Prohibition. Mais, selon la légende, des scènes un peu lestes qui font redouter à Dupuis les foudres de la censure, en réalité une situation très dégradée avec Delporte bientôt viré de la rédaction du journal et bientôt remplacé par Thierry Martens, mettent fin à cette expérience.

"Mulligan" par Berck, Yvan Delporte et Raymond Macherot.
Droits réservés.

C’est dans ce même registre que Raoul Cauvin, un jeune scénariste à qui Delporte faisait barrage, lui écrit les aventures de mercenaires loufoques de la Prohibition Sammy et Jack Hattaway (1970), une saga de 31 albums que Berck assure pendant 24 ans jusqu’à sa retraite en 1994, sa série étant reprise par Jean-Pol.

"Sammy : L’Homme qui venait de l’au-delà" Par Cauvin et Berck.
© Dupuis

Studio Berck

Sur les traces de Willy Vandersteen, tycoon de la BD flamande, Berck travailla également pour le marché allemand, notamment pour l’éditeur Rolf Kauka venu le chercher pour relancer sa série de SF d’humour Misha pour le magazine Primo, une série créée en 1961 par les artistes allemands Becker-Kasch, Walter Neugebauer et Ludwig Fischer. Il poursuivit cette série jusqu’en 1975.

Pour assurer cette abondante production, il s’entoura d’une pléiade d’assistants aussi bien francophones que néerlandophones. Parmi ceux-ci : Francis, Guy Bollen, Lucien De Gieter, Armand Sorret, Hurey, Bédu ou Willy Ophalvens et même, quand le studio fut dissout sur le tard, François Walthéry qui, pour dépanner, prêta parfois main forte sur la série Lowietje/Lou ! Cette succession de dessinateurs qui travaillèrent dans le même style rond que le sien, comme Jean-Pol ou Bédu, a parfois été baptisée par certains historiens néerlandophones « École de Louvain » pour faire ironiquement pendant aux Écoles de Marcinelle (Jijé), de Bruxelles (Hergé) ou d’Anvers voire de Kalmthout (Vandersteen).

Misha par le Studio Berck. Une BD pour la revue allemande Primo.
© Kauka Verlag.

En pointe pour la défense des auteurs

Il est aussi peu connu que Berck joua un rôle déterminant pour la défense des auteurs de BD flamands en créant avec le critique et historien de la BD flamande Danny De Laet et le dessinateur Eddy Ryssack, la Stripgilde (1978) conjointement avec les auteurs Dani Dacquin, John Bultinck, Hec Leemans, Merho et Marc Sleen. L’initiative fut reprise du côté francophone par Yvan Delporte et André Franquin avec la création de l’Upchic (Union Professionnelle des Créateurs d’Histoires en Images et de Cartoons) en 1980.

C’est donc un créateur considérable qui disparaît aujourd’hui, de ceux dont on mesure mal l’importance en raison d’une carrière abondante, développée en rhizomes productifs dans différents pays.

Berck au milieu de ses créations
Droits réservés.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Merci à Lambiek Comiclopedia pour bon nombre d’informations figurant dans cet article.

En médaillon : Berck par Jijé.

 
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