Fils d’un historien spécialisé dans l’histoire russe et petit-fils d’un médecin réputé pour ses travaux sur la tuberculose, spécialiste du Rwanda et grand résistant qui portait le même nom que lui, et qui lui avait transmis son goût pour les sciences naturelles, Jean-Marie Derscheid était né le 14 juillet 1955. Il avait fait des études de micro-biologie à Neufchâtel en Suisse avant de s’intéresser à l’art contemporain puis à la bande dessinée, secteur dans lequel il a été un pionnier à bien des égards.
Il avait été un des premiers galeristes de bande dessinée, accrochant, dans sa première galerie 2016 à Bruxelles, aussi bien son ami Hugo Pratt, dès 1981, que Paul Gillon, Moebius, Loisel et Tardi. Galeriste mais aussi éditeur, dans la librairie-galerie Ziggourat, « il fut le premier libraire qui, dans les années 1990, se fit construire des meubles spécifiques pour accueillir les premières publications des graphzines et de la small press européenne » témoigne le dessinateur et scénariste David Vandermeulen. De fait, il accompagna les premières expérimentations des éditions Fréon (futures Frémok) avec Thierry Van Hasselt, Dominique Goblet, etc. « Il nous avait invités au début de l’Asso dans sa maison de Knokke » témoigne de son côté Jean-Christophe Menu.
Il a été un formidable ambassadeur de la bande dessinée. Avec la Commission communautaire française bruxelloise (COCOF), il a monté des expositions consacrées à la bande dessinée belge en Australie, en Amérique du Sud ou à Hong Kong et en Corée. Il a été l’un des fondateurs de la Commission d’aide à la bande dessinée de la Région Bruxelloise.
On lui doit quelques expositions majeures comme « Regards croisés de la bande dessinée belge » aux Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique en 2009 dont je partageais avec lui le commissariat. Il était l’artisan de l’exposition en hommage à Art Spiegelman à Angoulême puis à Beaubourg, Alan Moore à BDAix, de l’incroyable exposition Génération Spontanée à Angoulême, Aix, Paris, Bruxelles et Meyrin (commissaire : Thierry Bellefroid), de l’exposition Fritz Haber de David Vandermeulen à Mons et récemment à l’Institut Max Planck à Berlin. On lui doit également une exposition sur la Ligne claire ou sur le western, avec Philippe Duvanel, au château de Saint-Maurice, en Suisse, dans le Valais.
J’avais cofondé avec lui Istanbulles, le festival de BD d’Istanbul où nous avons monté une douzaine d’expositions Il venait de placer l’exposition Typex-Warhol, créée aux Rencontres d’Aix, au cœur de l’événement Warhol à Liège… avant le second confinement.
Il était commissaire-scénographe résident aux festivals de bande dessinée de Lausanne (BDFIL), aux Rencontres d’Aix en Provence et aux Rencontres suisses et internationales de bande dessinée de Delémont. « C’était une barre de vitamines, une énergie, témoigne Serge Darpeix, le directeur artistique des Rencontres où il œuvrait depuis 17 ans. Il était plus qu’un scénographe, nous dit-il, on pouvait aborder n’importe quel domaine avec lui. Il était une force de proposition, un moteur de nos envies. » « BDFIL pleure l’ami, le frère, le connaisseur, le regard, l’interlocuteur, l’intelligence, le collaborateur, le rire..., témoigne son directeur Dominique Radrizzani. Présent à toutes les éditions, on lui doit plusieurs commissariats, notamment Cosey en 2007, Derib en 2016, Herr Seele en 2017.... On se réjouissait de faire Tardi ensemble l’année prochaine... Il s’impliquait dans la totalité des expos, assurant l’encadrement et l’accrochage des planches avec son turbulent trio de Belges. Sa participation annuelle au festival était une fête pour les cœurs et les esprits. » « Quelle douleur et quelle tristesse, face à ce départ si prématuré d’un homme aussi humble, partageur et profondément beau » écrit Philippe Duvanel, directeur artistique de Delémont BD. Il était aussi régulièrement invité à Fumetto Comic Festival Luzern et accrochait avec un goût certain la plupart des expositions de la galerie bruxelloise Champaka.
Conseiller de grands collectionneurs, il a sauvegardé grâce à cela des trésors, comme de rares planches de Winsor McCay encore présentes dans le monde dont on avait pu voir une partie dans la grande exposition de Cherbourg. « Jean-Marie m’a accompagné dans ma vie de collectionneur, témoigne le grand collectionneur André Querton. Il m’a incité à prêter, exposer. Je lui dois beaucoup. » « Nous avons travaillé au quotidien avec lui sur un enthousiasmant projet artistique lié à la bande dessinée, déclare Philippe Boon, président de la Fondation qui porte son nom, la gentillesse de Jean-Marie, sa générosité, son humour, son érudition discrète, sa modestie étaient légendaires et sincères. » « Quelle finesse, culture, chaleur humaine ! J’ai fait, chez lui et grâce à lui un voyage fabuleux, comme la plus merveilleuse des fictions n’aurait pu le faire. Merci mille fois à lui de m’avoir fait "grandir" ces jours merveilleux où j’ai pu exposer dans sa galerie » ajoute le dessinateur Joseph Béhé.
Un concert de louanges pour celui qui avait dédié sa vie à célébrer les autres.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Participez à la discussion