Double Masque attribue au destin de Napoléon Bonaparte une dualité particulière, faite d’ombre et de lumière, recyclant le mythe du Masque de Fer dans la fureur de la Révolution et de l’Empire.
Entre La Fourmi qui règne sur les ténèbres et L’Abeille qui met au point les derniers détails de son couronnement, les deux facettes de l’Histoire, officielle et secrète mais intimement liées, s’animent grâce aux personnages qui agissent en coulisse : La Torpille, l’Écureuil et bien d’autres.
C’est un petit monde qui passe son temps à ourdir et à déjouer les complots. Ce cinquième volume (sur un total de six) organise la rencontre entre les deux masques : La Fourmi et l’Abeille, deux faces d’un même siècle.
Martin Jamar a changé sa méthode de mise en couleurs pour restituer Paris sous l’Empire naissant d’une façon minutieuse et fascinante.
Nous sommes dans l’étude de mœurs autant que dans l’évocation de la grande Histoire grâce à des anecdotes signifiantes : Les batailles de préséance dans un nouvel ordre nobiliaire imaginé par Cambacérès, le Mont de Piété alias Ma Tante, les intrigues de Fouché...
Les personnages, parfaitement caractérisés, servent un dialogue émaillé de mots d’auteur marqués d’une érudition sans faille. Ce cinquième tome paraît alors que l’on ressort l’intégrale des 4 premiers tomes. Pour de vrai, du grand Dufaux !
Jessica, la fugitive
Fin de cycle pour ce spin off de Jessica Blandy. La blonde héroïne en fuite avec son fils Rafaele est cette fois acculée à affronter Razza, son éternel ennemi, qui ne cherche pas même à l’éliminer elle, directement, mais tous ceux qu’elle a connus, à effacer sa vie dans sa globalité en quelque sorte.
Elle avait pourtant trouvé un havre de paix dans une secte isolée des États-unis, isolée au point que même l’usage du téléphone, instrument du diable, y était interdit. Un lieu dont la rigueur puritaine était certes contraignante, mais qui permet de voir le temps s’écouler tranquillement tandis que son fils Rafaele y trouvait un environnement offrant des valeurs structurantes.
Mais la situation est moins idéale que cette construction intellectuelle rassurante : le chef de la communauté a accepté la présence de cette diablesse sexy parce qu’il en pince pour elle et le jeune garçon a un fond d’éducation un peu moins moral que celui de la communauté qui l’accueille. L’amour s’empare de Rafaele et avec lui, comme il a la lucidité de le rappeler, le désir et la violence qui sont les deux stigmates du destin de sa mère. Enfin, on découvre la cause réelle de la mission de Soldier Sun chargé de les éliminer et cela rend les choses encore plus compliquées...
Il est clair que Jean Dufaux est un conteur à part dans le domaine de la bande dessinée franco-belge. Il n’a pas son pareil pour bâtir des intrigues dont chacun des éléments porte sa part de force et de faiblesse : une héroïne au lourd passé encombrée d’un jeune fils, une communauté religieuse à la fois paisible et anxiogène car certains membres cherchent à éliminer la tentatrice qui a séduit le guide de la secte, des tueurs au profil singulier, glaives de Dieu ou instruments du Diable ?, qui arrivent de toute part et qui sèment la mort sur leur passage, des commanditaires aussi tortueux que mystérieux, etc.
Une fois posées les pièces du jeu, les arcs de force mis en valeur, Dufaux explore les faiblesses de chacun des protagonistes. L’histoire peut donc commencer, elle se déroule comme une mécanique fine. Mais il ajoute à cela un ingrédient stylistique quasi shakespearien en égrenant au long des pages réflexions et sentences qui, à bien des égards, suscitent la réflexion.
Le dessin de Renaud est clinique à souhait et, par sa froideur même, mène parfaitement le lecteur au fil des émotions d’un scénario envoûtant.
Dufaux compte désormais plus de 150 albums au compteur. Une œuvre à nulle autre pareille où le fantastique s’incarne dans l’humain de façon singulière.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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