Le cas de Diva est particulièrement intéressant. À l’approche des années 1980, Jean Van Hamme rêve de faire du cinéma. Cela se concrétise en 1980 lorsqu’il écrit avec Jean-Jacques Beineix le scénario du film Diva, d’après un roman de Delacorta (Daniel Odier). Un carton. Mais la relation avec Beineix ne le satisfait pas. Les deux hommes ne retravailleront plus jamais ensemble.
Beineix aime le dessin. Il a longtemps travaillé sur des storyboards pour faire ses films. Pami ceux-ci, IP5, l’île aux pachydermes (1992) dont le storyboard est assuré par Bruno de Dieuleveult et Jacques Forgeas. Il propose à la Gaumont de le publier, et elle refuse. C’est Dargaud qui fait l’album, un format oblong de plusieurs centaines de dessins. Il en vend 7000 exemplaires, un petit succès car le film, en dépit de la présence d’Yves Montand à l’affiche, est un échec.
Alors qu’il tente de faire produire son nouveau film L’Affaire du siècle, une histoire de vampires tirée du roman La Vierge de glace de Marc Behm, sans parvenir à ses fins, Beineix se dit qu’une édition en bande dessinée permettrait de concrétiser plus efficacement le financement du projet. Il convainc Bruno de Dieuleveult, Glénat marche dans la combine et l’album est annoncé pour 2004.
Il conçoit son lancement comme pour un film : partenariat avec Allociné, tournée de 26 dates dans les librairies et les salons de province. Dans BoDoï, il déclare : « Cet album est la quintessence de mes films. J’y ai mis tellement de choses que c’est pire que de sortir un long-métrage. Je pense souvent à Jacques Brel qui dégueulait avant d’entrer en scène. L’artiste vit avec la peur. C’est une chose qu’il partage avec le guerrier. »
Very Bad Buzz
Mais, nous sommes au début de l’Internet, le « bad buzz » le précède. Avant même que l’album soit sorti, il est étrillé par les amateurs de BD pour sa « bouze ». Un phénomène inouï provoqué par un excès d’assurance alors que, le public le pressent au vu des premières planches, l’album n’est pas terrible. On lui fait un procès en notoriété.
Sur un forum, le dessinateur Maester écrit : : « Ce qui est un tout petit peu agaçant, ce n’est pas tant que Beineix soit présent sur tous les fronts pour défendre son oeuvre (ce qui est son droit le plus strict et prouve au moins qu’il y croit un peu, voire beaucoup pour être si disponible. L’attachée de presse aura certainement eu moins de mal à avoir des retombées que pour le dernier Titeuf). Il ne fait après tout qu’utiliser des règles médiatiques qu’il n’a pas mises en place. Ce qui est agaçant, c’est le conformisme des médias qui s’emparent d’un pseudo événement pour le rabâcher à l’envi, sans aucune imagination ni sans aucun professionnalisme. C’eût pu être l’occasion de faire parler de Bande Dessinée dans les grands médias généralistes pour peu que les interviewers s’intéressent un tant soit peu à l’œuvre et non aux potins qui entourent l’auteur (Beineix interrogé sur sa défense du "Loft", par exemple). Cela avait déjà été le cas avec la BD de Beigbeder ; le seul intérêt semblant être de voir une personnalité connue s’intéresser à une forme d’expression si "pauvre" (niaise, infantile, dégradante) ... Comme si se tourner vers la Bande Dessinée pour des artistes reconnus dans un autre domaine était forcément démériter, était forcément un pis-aller. »
Quand l’album sort enfin, c’est l’exécutuion : « On aurait pu excuser la narration hystérique et brouillonne du cinéaste, écrit Olivier Delcroix dans Le Figaro Littéraire (23.9.2004), s’il n’avait pas eu recours au trait inexistant d’un certain Bruno de Dieuleveult. Comment expliquer au réalisateur de « 37°2 le matin » qu’un tel dessin (parfois réduit à un simple croquis), bariolé de couleurs criardes à l’ordinateur, servi par d’ineptes mises en page, condamne d’un regard son propos, aussi farfelu soit-il. Gageons que « L’Affaire du Siècle » n’en sera pas une. Même pour l’éditeur ». Glénat jette aussitôt l’éponge...
Beineix dénonce en réaction les « intégristes » de la bande dessinée et n’hésite pas à se rendre à Angoulême pour défendre son album quand sort le deuxième tome au Diable Vauvert. Mais là encore, c’est « l’accident industriel ». On ne reverra plus Beineix dans le 9e art.
Sic Transit Gloria Mundi, comme on dit dans Astérix. Nos condoléances vont à sa famille, ses proches et aux nombreux admirateurs de ses films dont certains ont marqué l’histoire du cinéma français.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
En médaillon : Jean-Jacques Beineix. Photo DR
Participez à la discussion