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La Chine en images (1/3), témoignages du Milieu

Par Laurent Melikian le 1er octobre 2019                      Lien  
Ce 1er octobre, la République populaire de Chine fête ses 70 ans. Sous la houlette dirigiste de Xi Jinping aujourd’hui, comme sous la dictature de Mao Zedong, ce pays ne cesse d’intriguer, voire d’inquiéter. Mais depuis 40 ans qu’il s’est ouvert, sa société, sa culture, son passé récents deviennent familiers et notamment grâce à de nombreuses bandes dessinées. Revue de titres parus en 2019 avec en premier lieu les récits du réel des auteurs locaux.

Parmi les nombreux bédéistes chinois publiés en français, Nie Chongrui et Li Kunwu sont deux piliers essentiels.

Ces deux artistes ont débuté leur carrière dans le cadre stricte des lianhuanhuas, ces petits volumes où le récit s’inscrit en une image par page, essentiels dans le paysage culturel du pays jusqu’à la fin des années 1980. Chacun par la suite a entrepris d’adapter sa maîtrise du trait et de la composition aux exigences de la narration en planches. Li Kunwu est déjà bien connu pour ses évocations autobiographiques Une Vie chinoise avec Philippe Ôtié, Les Pieds bandés, La Voie ferrée au-dessus des nuages,… Quand Nie Chongrui a imposé un style proche de la gravure pour des œuvres de fiction comme la Belle du temple hanté ou le polar historique Juge Bao avec Patrick Marty. Avec Au loin, une montagne, il expose pour la première fois son propre parcours.

La Chine en images (1/3), témoignages du MilieuEt quelle histoire dans l’Histoire ! En 1966, la folie de la Révolution culturelle s’abat sur le pays. Pour se maintenir au pouvoir, le président Mao doit tout chambouler. Des millions de citadins chinois sont déportés pour « parfaire leur éducation » en travaillant dans les régions rurales. Nie Chongrui est encore un jeune homme qui désespère d’étudier les Beaux-Arts à Pékin. Le voilà mécanicien pour une usine d’armement chimérique à construire au cœur des montagnes du Shanxi, éloigné de plusieurs centaines de kilomètres de la capitale.

Par un trait composé de hachures coupantes comme les douleurs des souvenirs, le dessinateur évoque son intimité et l’intimité d’un peuple, quand des paysans misérables accueillent des travailleurs un peu moins misérables, bouleversant les mœurs. Hygiène déplorable, froid, promiscuité, prostitution,... Par petites anecdotes, Nie Chongrui expose la réalité de cette Révolution culturelle que certains intellectuels occidentaux voulaient modèle. Il dénonce son absurdité : un dirigeant se punit lui-même après un lapsus lors d’une séance d’autocritique et la brutalité des gardes rouges, ces adolescents qui héritent du maintien de l’ordre. Il offre un témoignage unique où la beauté des paysages agit comme un contrepoint par rapport à la violence de l’époque.

La beauté et la brutalité
© Nie Chongrui / Steinkis

De son côté Li Kunwu -probablement le bédéiste chinois le plus connu à l’étranger- publie le 22 novembre un nouveau roman graphique après trois ans d’abstinence.

Lui qui avait fait de son père un des personnages centraux d’Une Vie chinoise retourne à nouveau vers ses origines avec un volume tendrement intitulé Ma Maman. Curieusement, outre quelques mots en préface, il ne dévoile rien de la relation qu’il entretenait avec sa mère, décédée alors qu’il venait d’entreprendre ce livre. Il se concentre ici sur l’enfance du personnage. Tout en rendant hommage à cette mère, il offre un nouveau regard sur sa ville, Kunming, et sa région, le Yunan.

Le récit projette le lecteur dans les années 1920 à 1940, à une époque où les seigneurs de la guerre sont encore les maîtres de cette contrée et qui va connaître le conflit mondial par une invasion japonaise venue de Birmanie. Sensible est le portrait de cette fillette née d’un couple désuni dont l’envie d’étudier est contrariée par un destin ballotté entre la misère de la campagne et les intrigues de pouvoir de la ville. Li Kunwu poursuit ainsi son édifice mémoriel à propos d’une région de Chine éloignée des centres de décision de Pékin, Nankin ou Shanghai. L’efficacité de la narration s’autorise quelques courts intermèdes textuels pour mieux contextualiser les étapes de cette autre vie chinoise.

© Li Kunwu / Kana

Après le succès de la Balade de Yaya dont nous parlerons plus loin, Golo Zhao est également un dessinateur souvent publié en français.

À l’instar de Nie Chongrui, Poisons le trouve pour la première fois dans le domaine du réel. Il s’agit ici de la libre adaptation d’un fait divers dont la presse chinoise s’est faite l’écho en 2015. Dans une zone rurale, deux fillettes sont assassinées par une de leur camarade de dix ans.

Ce récit aux couleurs acidulées donne froid dans le dos. Il expose un fait de société peu connu en Occident, celui du sort des enfants de travailleurs forcés à l’exode rural. Confiés au mieux à leur grands-parents, ceux-ci grandissent parfois dans un abandon total. Ainsi Lili, qui va devenir la petite meurtrière, évolue dans un manque affectif flagrant qui lui occasionne blessures et névroses irréparables. On apprend en postface que ce fait divers n’est pas isolé et que près d’un quart des enfants chinois sont ainsi séparés de leurs parents et dans le pire des cas livrés à eux-même. Le récit de Golo Zhao évacue rapidement le meurtre des deux enfants pour se concentrer sur la sidération des policiers et enseignants qui découvrent la sinistre vérité. Le sort de Lili, à la fois coupable et victime d’un miracle économique empoisonné, marque durablement le lecteur.

© Golo Zhao / Pika

Si les atrocités de la Révolution culturelle et d’autres dérives du pouvoir de Mao peuvent être évoquées dans la Chine de Xi Jinping, en revanche le mouvement étudiant de 1989 reste un sujet totalement tabou. C’est pourquoi le témoignage de Lun Zhang livré dans TianAnMen, nos espoirs brisés est précieux.

Dix ans après la fin de la chape de plomb maoïste, ce jeune professeur d’université rejoint ces rassemblements de la grande place de Pékin où il s’agit d’abord de rendre hommage à un réformateur du Parti communiste récemment décédé. L’hommage se mue en revendications pour des réformes démocratiques, puis en manifestations et en grèves de la faim.

Lun Zhang -aujourd’hui réfugié en France- devient responsable de la sécurité du mouvement de TianAnMen peu avant sa répression par les chars de l’armée chinoise qui a occasionné plusieurs milliers de mort. Il livre ici ses souvenirs au jour le jour. Avec un dessin précis, l’entreprise est louable et on aurait aimé la soutenir jusqu’au bout. Malheureusement ce témoignage exclusivement recueilli pour la bande dessinée pèche par une narration peu aboutie. Le lecteur doit se faire violence pour suivre intégralement ce récit où de longs monologues ne trouvent pas les images que le 9e art est pourtant à même de fournir… Il reste cependant une autre pierre indispensable à l’édifice de la mémoire chinoise.

© Zhang - Gombeaud - Ameziane / Seuil-Delcourt

Notre revue se poursuit avec d’autres regards, étrangers cette fois, sur le pays le plus peuplé au monde

(par Laurent Melikian)

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TianAnMen 1989, nos espoirs brisés – Par Lun Zhang, Adrien Gombeau et Améziane – Seuil-Delcourt, 136 pages, 17,95 euros
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