Votée le 3 juillet 1949 par 422 voix contre 181 (communistes et apparentés), elle a été promulguée le 16 juillet 1949 après de longues discussions et quelques retournements politiques assez croustillants.
Il en résulta une « Commission de surveillance et de contrôle » présidée par un conseiller d’état et composée de membres, nommés pour deux ans, représentant six ministères, les enseignements public et privé, la magistrature, l’Assemblée, les mouvements de jeunesse, l’Union nationale des associations familiales et seulement six membres de la presse. Elle commença ses travaux en mars 1950.
Dans son article 2, la loi stipule que toute publication destinée à la jeunesse ne pourra comporter « aucune illustration, aucun récit, aucune chronique, aucune rubrique, aucune insertion présentant sous un jour favorable le banditisme, le mensonge, le vol, la paresse, la lâcheté, la haine, la débauche ou tous actes qualifiés crimes ou délits de nature à démoraliser l’enfance ou la jeunesse. »
Dans les faits, cette loi organise un protectionnisme principalement contre la bande dessinée américaine au grand dam de Paul Winkler, le créateur du Journal de Mickey et patron d’Opera Mundi, représentant en Europe des Syndicates américains. Opposant actif contre cette loi, il avait fait diffuser un mémoire auprès de chaque député de l’Assemblée Nationale dénonçant entre autres la politique de quotas qui la caractérisait.
Ainsi, la presse jeunesse devait avoir son quota d’auteurs français (25%), de rédactionnel par rapport au nombre de bandes dessinées dans le journal. La Commission décidait si la moralité des publications était conforme à la loi. Son empire s’étendait également aux albums. Tous ces imprimés devaient faire l’objet d’un dépôt d’exemplaires au ministère de la justice qui les transmettait à la Commission pour « contrôle ».
Une action protectionniste réussie
Dame Anastasie réussit en quelques mois à réduire la part de la BD américaine à la portion congrue. Les bandes dessinées belges et italiennes étaient également en ligne de mire. Si ces dernières, à cause de leur ressemblance avec la BD américaine, se trouvèrent également réduites, en attendant d’investir avec succès dans les années suivantes les petits formats pour adultes, la BD belge en revanche, arriva à s’accommoder de ces contraintes.
Mieux, si l’on en croit Pascal Ory : en raison de ses origines catholiques et conservatrices, « l’associativité catholique », comme la surnomme l’historien, réussit à bâtir « une centrale culturelle, laïcisée et « modernisée » en direction d’un public conservateur clairement identifié mais qui ne revendiquait pas spécialement son attachement confessionnel [1]. Il n’est pas anodin de constater que le diffuseur des éditions Dupuis jusqu’en 1984 est Fleurus Presse, organe de l’UOCF (Union des œuvres catholiques de France). Mitacq, le dessinateur de la Patrouille des Castors (scénario de Charlier), déclarait à Hop ! que si sa série fut publiée dans Spirou, c’était pour complaire à la fameuse Commission de la Loi de 1949.
De son côté, l’hebdomadaire Tintin se pourvut en 1948 d’une édition française éditée par un certain… Georges Dargaud. Elle montra patte blanche à la Commission en affichant d’entrée son quota d’auteurs français comme Jacques Martin, Tibet et Jean Graton, tandis qu’Étienne Le Rallic affichait en couverture le portrait du Maréchal Leclerc, le libérateur de Paris lors de la Seconde Guerre mondiale.
Thierry Crépin ne manque pas de son côté de signaler la montée en puissance des bandes dessinées éducatives dans ces publications, en particulier dans le domaine historique, puisqu’elles passent de 1949 à 1954, de 24 à 39% du contenu de l’hebdomadaire Spirou et de 40 à 66% de celui de Tintin [2] ! La moralisation de la bande dessinée bat son plein dans les années 1950.
Censure et auto-censure
La Commission donna des coups de ciseaux dans quelques-uns des grands classiques belges : Dès 1950, plusieurs titres des éditions Dupuis, comme L’Épervier bleu et Buck Danny, sont sanctionnés. Au premier, on reprochait l’idée saugrenue d’envoyer des humains sur la Lune ; au second, de faire combattre ses héros en Corée ! En 1952, dans Hors la Loi, Morris racontait la fin de Bob Dalton dans son historique crudité.
Dupuis la censura. La même année, la Commission émit un avertissement en découvrant le Marsupilami dans Les Voleurs du Marsupilami de Franquin car « cette créature absurde et imaginaire pousse des cris inarticulés ». En 1955, ce sont Blake & Mortimer » qui sont visés dans L’énigme de l’Atlantide ; Jacobs est prié de modifier une « image cauchemardesque ». Lucky Luke contre Billy The Kid de Morris (1962) est inquiété au nom de la « moralité » (Billy suçait un revolver en guise de biberon), Boule & Bill N°2 de Roba(1963) pour « cruauté envers les animaux », Gil Jourdan et le gant à 3 doigts de Maurice Tillieux (1966) pour « racisme », Alix et la Griffe noire de Jacques Martin (1965) pour « incitation à la violence », etc [3].
Les classiques français n’étaient pas en reste comme Chott à qui l’on reprochait d’avoir fait paraître « …une suite ininterrompue de scènes de meurtre, de pillage, de violences de toutes sortes… » [4]. Son crime était d’avoir dessiné du western et de la science-fiction.
1964 : le courant répressif décline
Puis arrivent en 1964 Hara Kiri et Barbarella et avec eux la bande dessinée adulte. La Commission ne sait plus où donner de la tête et le combat se mène pied à pied dans les prétoires. Il faut dire que la loi devient prétexte à la censure la plus obtuse. On l’utilise pour interdire Hara Kiri Hebdo (1971) sur ordre de l’Elysée, puis pour censurer Charlie Hebdo et des dizaines d’autres journaux et albums de bande dessinée. Avec le temps, les condamnations devinrent de plus en plus anodines et une certaine permissivité d’installa à partir des années 1980.
Ces dernières années, la censure est plus souvent le fait d’une auto-censure que d’une action juridique. Mais cette loi scélérate qui n’a jamais été abrogée est toujours là, tapie dans l’ombre, prête à servir…
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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En médaillon : Dame Anastasie par André Gill.
[1] Ory, Pascal in Crépin, Thierry et Groensteen, Thierry [Dir.], On tue à chaque page ! La loi de 1949 sur les publications destinées à la jeunesse, éditions du Temps/Musée de la bande dessinée, 1999.
[2] Crépin, Thierry, Haro sur le gangster ! La moralisation de la presse enfantine 1934-1954, CNRS, 2001.
[3] Cf. Joubert, Bernard et Frémion, Yves, in Images interdites, Syros, 1989.
[4] Joubert et Frémion, idem.
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