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La bande dessinée francophone survivra-t-elle à la crise du Covid-19 ? (1/4)

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 10 août 2020                      Lien  
La rentrée se profile, avec son espérance que la crise sanitaire ne sera plus qu’un mauvais souvenir, espoir hélas un peu douché ces jours-ci avec la menace d’une deuxième vague… La densité du réseau des libraires dans le marché francophone est quasiment unique dans le monde occidental. Comment la bande dessinée francophone gère-t-elle cette situation et abordera-t-elle la rentrée ? La bande dessinée « à la Française » survivra-t-elle à cette crise ? Nous sommes en train d’enquêter à ce sujet dans une série d’article à paraître dans ces prochaines semaines.

Le modèle économique de la bande dessinée francophone est en train de vivre une épreuve unique en son genre. Comme le rappelait en mai dernier Vincent Montagne, Président du Syndicat National de l’Édition (SNE) et président de Média-Participations, premier producteur de BD en Europe [1] sur les ondes de France Inter [2] : « On est dans une économie du succès. Un livre, c’est un prototype, on espère qu’il marche et ce sont les ventes marginales qui vont faire la rentabilité et la rémunération des auteurs. On ne sait pas encore l’impact réel que [cette crise] va donner en fin d’année. Ce qui est très important, c’est que le gouvernement comprenne que dans cette chaîne du livre, il faut d’abord soutenir les libraires qui n’auraient pas la force de redémarrer suffisamment pour assumer un programme et avoir des ventes. À défaut, il ne paiera pas les éditeurs qui ne pourront pas payer les auteurs… Tout cela est très complexe et cette fragilité, il faut la prendre en compte parce que ce n’est pas une année blanche, c’est une année qui va redémarrer avec une fréquentation moindre mais avec des salariés et des charges à payer. Toute cette économie, elle est fragilisée, sur une chaîne qui a déjà une faible rentabilité. »

La bande dessinée francophone survivra-t-elle à la crise du Covid-19 ? (1/4)
Vincent Montagne, président du Syndicat National de l’Edition.
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Une filière fragilisée

Alors que France Créative, l’association qui regroupe la plupart des acteurs de l’industrie culturelle (Édition, cinéma, théâtre, jeu vidéo…) réclamait 8 à 10 milliards d’euros pour préserver l’industrie culturelle française, en priorité pour le spectacle, le gouvernement n’avait débloqué en mai dernier que 22 millions d’euros dont 5 seulement pour le seul secteur du livre.

Dans la même émission, Vincent Montagne rappelait qu’en France, la culture représentait un Chiffre d’Affaire de 90 milliards €, soit 2,3% du PIB, et une valeur ajoutée de 47 milliards. Il estime que les pertes pour la filière du livre seront de l’ordre de 10 mds € en raison de la crise sanitaire.

Or, alors que Bruno Lemaire annonçait, le 30 juillet dernier, un plan d’aide de 100 milliards € débloqué par le gouvernement pour soutenir l’économie, mais dans lequel seulement 800 millions à un milliard reviendraient à la culture, cette annonce ayant été faite au titre du ministère de l’économie en l’absence de concertation avec le ministère de la culture, Roselyne Bachelot, qui réclamait quelques jours plus tôt un milliard d’euros rien que pour les intermittents du spectacle, en tomba de sa chaise : «  Puisqu’on me le propose, je prends ce milliard, a-t-elle rétorqué, mais avec son sens bien connu de la formule, elle ajouta, selon Le Canard enchaîné : « Quand j’écoute ce qui a été dit, j’ai l’impression, dans cette fonction, d’être cocue et de payer la chambre... » Ambiance…

Roselyne Bachelot, ministre de la culture.
Photo : Ministère de la culture.

Quel impact ?

Il est clair que dans cette crise, il y a des gagnants et des perdants, et que les gagnants sont sans doute ceux de l’industrie numérique comme le confirmait dans nos pages Luc Bourcier, le patron d’Izneo, lors du confinement.

Amazon comme FNAC.com ont le sourire. Vincent montagne confirme, parlant de l’activité de Média-Participations : « Dans cette période de confinement, les jeux vidéo et l’audiovisuel ont plutôt bien marché. Mais en même temps, les 2/3 de notre activité, c’est le livre et donc nous subissons nous aussi des baisses de 20 à 25% et donc un effritement de notre rentabilité qui va être assez dramatique. »

Les écrans ont plutôt bien passé l’épreuve de la crise sanitaire.
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Mais il reste, certes modérément, optimiste : « En bande dessinée, nous avons la chance de nous inscrire dans des séries. Dès lors, quand nous sortons un nouveau Blake et Mortimer ou un nouveau Lucky Luke, nous pensons qu’il retrouvera un niveau de vente relativement équivalent au précédent. Les lecteurs reviendront en librairie pour les best-sellers, c’est à dire des auteurs très connus. » Ce n’est pas le cas pour les éditeurs de romans graphiques, apanage des maisons d’édition indépendante…

Cette situation entraînera-t-elle une réduction des nouveautés ? Sans doute. L’édition française compte 45 000 nouveautés chaque année, dont 5000 environ pour les bandes dessinées. Pour soulager la trésorerie des libraires, les éditeurs devront être vigilants et ne placer que les livres « utiles » au chiffre d’affaires, d’où le pronostic de Vincent Montagne qui suppose que les best-sellers seront les premiers à tirer leur épingle du jeu.

Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

À l’international aussi…

Pour les ventes à l’export, là encore les perspectives ne sont pas bonnes : on le sait, la plupart des salons ont été jusqu’ici annulés, Romics à Rome ou Erlangen en Allemagne en juin, le Comic Con de San Diego aux USA en juillet, et pour ceux qui s’annoncent, comme la Foire du Livre de Francfort, on est dans l’incertain, les Anglo-saxons, mais aussi les Canadiens invités d’honneur, ayant annoncé qu’ils ne viendraient pas…

Cela inquiète Vincent Montagne, président du SNE : « 13 000 titres sont traduits du français vers l’étranger chaque année, soit un quart de notre production éditoriale et la première langue de traduction, c’était la Chine. Qu’est-ce qui va se passer ? Je pense honnêtement que les conséquences, nous allons les voir dans le premier trimestre 2021. »

En attendant, on fait quoi ? C’est ce que racontera la suite de notre enquête.

La Frankfurt Buchmesse, le plus grand salon international du livre au monde. Les Anglo-saxons n’y seront pas cette année.
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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5 Messages :
  • IL faut arrêter cette dilapidation de l’argent public pour le privé. Argent public pour le service public.
    Si on a besoin d’argent on va le prendre dans les paradis fiscaux comme par exemple l’État du Delaware aux États-Unis, le Luxembourg, la Suisse, les îles Caïmans, la City de Londres, l’Irlande, les Bermudes, Singapour, la Belgique (surprise !!!) et Hong Kong.
    Je ne me fais pas trop de soucis pour monsieur montage et sa société ils ont de la trésorie et de quoi voir venir .

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    • Répondu par Sergio Salma le 10 août 2020 à  12:13 :

      Pour vous la culture n’est pas une affaire publique ?! Dans ce cas -ci c’est pas en injectant de l’argent dans les musées ou dans la politique culturelle générale que l’on va sauver les meubles. Il s’agit de milliers de personnes ,certes travaillant dans le privé , qui meurent littéralement ; à situation exceptionnelle solutions exceptionnelles. On sauve des compagnies aériennes on peut sauver ( ou essayer) la filière meurtrie. Pour les paradis fiscaux scandale évidemment mais est-ce le propos ? Faut pas aller rechercher ce fric planqué faut des lois pour l’empêcher d’y aller.

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      • Répondu le 10 août 2020 à  14:00 :

        Au moment ou le rapport Racine n’était pas encore dévoilé, le discours de Monsieur Montagne était que l’État ne doit pas intervenir et faire pleinement confiance au libéralisme. Avec la crise Sanitaire, changement de discours : au secours l’État providence !
        Personnellement, je ne crois pas que ce soit à l’État d’intervenir. Que Montagne et Gallimard et leurs actionnaires mettent la main à la poche !

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      • Répondu le 11 août 2020 à  14:45 :

        Bon déjà les compagnies aériennes ont pris l’argent de l’état pour licencier du personnel et apparemment ça ne dérange personne sauf les gens qui n’ont dorénavant plus de boulot.
        Si on parle argent, on parle également détournement et là on n’est sur des petites sommes. Faut pas aller chercher l’argent ? elle est bien bonne celle-là. Si si, faut bien aller le chercher.
        Les gouvernants francais sont en train de vider les caisses de la sécurité sociale en exonérant les employeurs de cotisations sociales.Tiens en parlant de cotisation sociale, ils en sont où les éditeurs ?
        Pour la culture, ce n’est pas roselyne bachelot qui faut mais une personne dont la stature est équivalente à Jean Zay.
        Demandez à votre patron qu’il assume et protége ses auteurs et pas au contribuable qui à besoin que l’on redonne une bouffée d’oxygène (des sous) aux hopitaux publics.

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  • "Ce qui est très important, c’est que le gouvernement comprenne que dans cette chaîne du livre, il faut d’abord soutenir les libraires qui n’auraient pas la force de redémarrer suffisamment pour assumer un programme et avoir des ventes. À défaut, il ne paiera pas les éditeurs qui ne pourront pas payer les auteurs…"

    Les capitalistes français sont néo-libéraux ou socialistes en fonction de ce qui les arrange. C’est une spécificité hexagonale. Vincent Montagne en appelle à la responsabilité de l’État (providence) pour éviter de taper dans sa bonne grosse cagnotte. Au tarif où les gros éditeurs payent l’immense majorité des auteurs ou plutôt, achètent les droits sur des ouvrages, ces gros éditeurs ne vont pas me faire croire qu’ils n’ont pas constitué un gros bas de laine. Les librairies ne sont pas des banques. La politique économique des éditeurs basée sur les retours est la cause réelle de la surproduction. Avec cette crise sanitaire, cette politique a du plomb dans l’aile mais l’État n’y est pour rien. C’est quoi ce discours ? Il faut que l’État paye les bêtises des capitalistes et que les auteurs prennent sur eux, fassent encore un effort, pour garantir les dividendes des actionnaires et les salaires des employés des maisons d’édition ?
    Si la bande dessinée francophone disparaît, ce ne sera pas la faute de l’État ou de la Covid-19 mais du manque de vision des gros éditeurs. Tout simplement.

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