Sous une couverture de Benjamin Chaumaz qui évoque vaguement le travail d’un Chris Ware ascétique, ce numéro en gris continue la formule lancée en 2009, avec des auteurs aussi variés que Anne Simon, qui continue dans son style Okapi, Benoît Guillaume qui continue de captiver même quand il n’a rien à dire, ou Jean-Michel Bertoyas (Une Poire pour la soif) qui continue de nous effrayer, un peu.
Il y a du formalisme dans ce nouveau Lapin. Du bon formalisme, avec François de Jonge et son Pursue and Legs qui se conclut et qui espante, tout simplement, ou l’impressionnante Aurélie William-Levaux [1] dont le ton et le style enchantent à chacune de ses publications. Et du formalisme un peu vain, avec la première contribution de Vincent Pianina, ou les pages de Manuel [2], et Ronal Grandpey qui sont, eux, coutumiers du fait.
Et puis il y a des choses dont on se demande franchement ce qu’elles font là quand on les met en regard de l’intransigeance éditoriale revendiquée de l’Association. De la très convenue Sandrine Martin à la maniériste Geneviève Castrée, on glisse, perplexe, sur les pages de Simon Hureau ou encore sur la double-page de Fanny Dalle-Rive qu’on a connu drôle. Dans le même cas, Prospéri Buri [3] avec Pas de Vacances pour l’Inspecteur. Son dessin louche dans les meilleurs moments du côté d’un Gébé fatigué, devenu accro aux hachures faciles et sa narration monocorde au possible désespère.
Après les avoir refusés, Jean-Christophe Menu a visiblement décidé de publier les « projets trop frontalement proches de ce que l’on avait pu faire [4] » comme celui de Grégoire Carlé dont on imagine mal à quoi aurait ressemblé son travail s’il n’avait pas lu... Jean-Christophe Menu lui même. Même chose pour Mathias Picard [5], son feuilleton-réalité Jeanine et son dessin, très "emprunté". Il n’empêche, Jeanine est par ailleurs un personnage passionnant, et il sait la traiter avec une distance, une curiosité et une sensibilité tout à fait singulière.
On ne sait toujours pas où nous promènent François Gosselin et Thomas Henninger dans Lutte des Corps et Chute des classes, mais on aime bien se faire tirer sur la laisse comme ça, de temps à autre. Une chasse à courre au communiste, un dessin nerveux, un propos acide et de l’esprit suffisent pour l’instant à rendre leur feuilleton surréaliste intéressant, mais il n’est pas dit que ça dure. Notons que l’impression de ces pages en vert foncé sur papier gris, si elle est belle, ne facilite pas vraiment la lisibilité de ce récit un peu tortueux.
On retrouve avec bonheur Mazen Kerbaj [6] burlesque et poétique, et les « vétérans » de la structure, oubapiens [7] décomplexés : Anne Baraou et Jochen Gerner, caviardent allègrement, et élégamment une vieille histoire, écrite par Victor Mora [8], tandis que le sarcastique Etienne Lécroart continue d’étonner par son aisance.
A boire, à manger donc, dans ce bel objet remplissant sa mission première avec brio : nous donner une idée de ce qui se passe, de ce côté-ci de la Bande Dessinée, et peut-être mieux encore, de ce qui s’y passera à l’avenir.
(par Beatriz Capio)
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[1] Menses ante rosam, la Cinquième Couche
[2] Manuel 1-2-3, L’Association
[3] La Montgolfière, Warum
[5] Le fanzine Ecarquillettes, notamment
[6] Beyrouth : Juillet-Août 2006
[7] De OuBaPo, Ouvroir de Bande dessinée Potentielle, groupe expérimental formé sur le modèle de l’OuLiPo
[8] Publié notamment dans Pilote ou Pif Gadget, et créateur de Félina avec Annie Goetzinger
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