Le quartier du Flon est en contrebas d’un grand pont. Là est lové un festival qui profite des locaux d’une ancienne douane de port franc réaffectée, pour y développer depuis quatre ans un rendez-vous de la bande dessinée helvétique qui avait longtemps été l’apanage de Sierre. L’année dernière, le Festival comptabilisait 31.000 visiteurs avec des comptes à l’équilibre. Non seulement la programmation –nous vous en avons parlé- est d’une qualité supérieure à la moyenne mais elle arrive en plus à concilier les valeurs grand public avec une bande dessinée qui n’a pas peur d’assumer son statut avant-gardiste sans noyer le festivalier dans la prétention et la glose.
Cette intelligence – pas très loin du latin ligare : relier- se reflète encore pour cette quatrième édition qui aura lieu du 12 au 14 septembre prochain. L’invité d’honneur est André Juillard, le dessinateur des 7 Vies de l’Épervier et de Blake et Mortimer à qui le festival consacre un « Destins – Dessins ». C’est l’exposition phare du festival qui en comprend huit. Si l’on ne présente plus ce très grand dessinateur qui a réussi une étonnante synthèse entre le vérisme classique –celui d’un Paul Gillon ou d’un Paul Cuvelier- et la ligne claire franco-belge -celle d’un Jacques Martin ou d’un Jacobs, on ne peut que recommander de se frotter à ses originaux qui rendent mieux que n’importe quel imprimé l’élégance raffinée de son trait, les transparences surprenantes de ses aquarelles, et l’application maîtrisée de ses gouaches.
Face à lui, la noirceur des travaux du dessinateur suisse Thomas Ott, avatar expressionniste du neuvième art aux univers kafkaïens qui évoquent aussi bien les échappées de Franz Masereel que les récits inventifs et finalement humoristiques de Tales of the Crypt. Là aussi, la confrontation avec les originaux du dessinateur zurichois révélé il y a plus de vingt ans par David Basler et Edition Moderne, fera découvrir un orfèvre de la « carte à gratter », une technique de dessin qui confine à la gravure, et un univers anxieux qui donne le vertige, dans une présentation de son nouvel album The Number.
Pour les Parisiens qui ont raté l’exposition Toy Comix (il faut dire que son commissaire Jean-Christophe Menu, à force de pinklister les journalistes n’a eu que peu d’échos à son travail), on aura l’occasion de revoir quelques jouets cultes de l’enfance appartenant au Musée des Arts décoratifs remis en situation par des auteurs de bande dessinée contemporains. Les madeleines de Proust mises en place par les commissaires Jean-Christophe Menu et Dorothée Charles constituent une agréable récréation qui peut faire découvrir des auteurs principalement issus du catalogue de L’Association. Ces derniers se sont fendus de dessiner des « bandes dessinées sous contrainte » à la mode de l’Oubapo, cette démarque de l’Oulipo dédiée à la bande dessinée. Chacun d’eux évoque un jouet choisi dans la collection du musée pour élaborer sa petite histoire. Des documentaires et des interviews où les auteurs commentent leurs choix viennent compléter une galerie qui met en situation les objets/jouets dans des installations. L’exercice est drôle, parfois cryptique, souvent touchant, toujours plein d’esprit. Notons que seules des reproductions des jouets seront exposées, et non les objets du Musée des Arts décoratifs.
D’autres expositions s’ajoutent à la liste :
Les 50 ans des Schtroumpfs retracent l’histoire de cette création de Peyo née dans les aventures de Johan & Pirlouit en 1958. On aura l’occasion de retrouver ses dessins, d’une clarté sans égale, qui démontrent l’incroyable science du dessinateur belge dans l’élaboration de solutions graphiques d’une simplicité géniale. Un très très grand auteur. Peyo, « suisse fiscal », avait habité Lausanne. Quand ses petites créatures envahiront la ville, elles seront quelques part un peu chez elles, d’autant qu’elles seront customisés par les étudiants de l’ECAL, l’école cantonale d’Art de Lausanne.
Chaque année, le festival se donne une figure imposée. Cette fois, 20 dessinateurs suisses évoquent le thème de la montée à l’alpage : Poya-Express. Un vrai truc suisse ! Il paraît que les contributions de Zep et de Cosey sont tout à fait étonnantes.
Femmes de Bulles assure la « féminodiversité » de cette édition. De Bécassine à Adèle Blanc-Sec, de Prudence Petitpas à Yoko Tsuno, en passant par Natacha, Paulette, Carmen Cru, Jessica Blandy, Caroline Baldwin, Aya, Mélusine, Nini Patalo, Henriette, Koma ou Soeur Marie-Thérèse des Batignolles,… elles sont plus de 30 héroïnes à assurer leur présence dans ce monde de machos qu’est celui de la bande dessinée !
Alter égaux est une exposition qui se veut à la fois pédagogique et humoristique sur le thème du racisme au travers d’une déconstruction des représentations de l’autre dans la bande dessinée. On y voit émerger au cours du temps les discours critiques offerts par la bande dessinée face à la discrimination et les visions positives de la diversité des peuples et des cultures. Constituée de 75 panneaux, elle présente 160 extraits de récits illustrés signés par des dessinateurs européens, américains et asiatiques, elle aborde des thèmes comme la traite des noirs, l’antisémitisme, la conversion forcée, les situations de guerre, les génocides ou le statut des femmes dans la société musulmane. Un magnifique travail élaboré par la Bibliothèque de Lausanne dont le fonds de bande dessinée est l’un des plus riches d’Europe.
Enfin, Dessinateurs de demain présentera 140 projets issus du concours éponyme sur le thème du métro.
On le voit, le festival affiche ses ambitions. Mais elles ne s’arrêtent pas là : 80 auteurs majeurs parmi lesquels Binet, Bouzard, Hélène Bruller, Catel, Edika, Dupuy & Berberian, Ana Mirallès, Frederik Peeters, Loustal, Rosinski, PtiLuc ou Zep honoreront le festival de leur présence, faisant connaissance avec le public dans des dédicaces et des rencontres. Fluide Glacial mettra le feu au lac avec 20 auteurs de son écurie réunis dans un « Fabulous Swiss Fluide Glacial Tour », tandis que Spirou fera du « Author’s dating » afin d’essayer de choper le Titeuf du 21ème siècle, vu que le précédent, ils l’ont un peu raté.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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On ne vous dit pas tout, car il faut bien que le SITE DU FESTIVAL serve à quelque chose.
BD-FIL – Festival de bande dessinée de Lausanne
Du 12 au 14 septembre 2008
Quartier du Flon à Lausanne
En médaillon : Un dessin d’André Juillard (c) Juillard
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