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Le Banquier du Reich T.1 – Par Pierre Boisserie, Philippe Guillaume et Cyrille Ternon – Ed. Glénat

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 30 avril 2020                      Lien  
Surprenante fiction mettant en scène le banquier Hjalmar Schacht, alias « le banquier du diable », qui fut le conseiller financier et le ministre des finances du führer avant d’être acquitté au tribunal de Nuremberg. Ce biopic plutôt bien documenté donne cependant une image un peu lisse à cet homme controversé qui était certes un financier brillant mais dont l’habileté manœuvrière ouvrit la porte à l’aventure fasciste nazie.

Jeune banquier doué arrivé à la tête de la Dresdner Bank avant quarante ans, Hjalmar Schacht se fait une réputation en organisant efficacement l’économie -et donc le pillage- de la Belgique pendant l’occupation allemande de 1914-1918.

Il est appelé en 1923 par la République de Weimar pour mettre fin à l’hyper-inflation qui affecte le pays et il y parvient. Devenu le patron de la banque centrale allemande, la Reichsbank, il rétablit une monnaie stable et circonscrit la dette liée aux réparations imposées par le Traité de Versailles. Ayant démissionné de l’institution en 1930, il favorise l’accession d’Hitler au pouvoir, notamment en fédérant autour de lui un groupe d’industriels puissants.

Les nazis arrivés contrôlant le pays, il relance l’activité allemande, notamment avec le tour de bonneteau des bons MEFO, une sorte de lettre de change parallèle, et par une relance de la production de l’armement, et apporte du crédit au nouveau régime qui reçoit le soutien des masses.

Antisémite ordinaire sinon avéré, il accompagne la spoliation des Juifs en organisant la partie économique des Lois de Nuremberg. Il conduit notamment un projet d’émigration de 150 000 juifs allemands dont le transport et l’installation à l’étranger serait financé par un emprunt de la communauté juive internationale, garanti par un fonds allemand, en réalité financé par les avoirs juifs confisqués par le régime. Roosevelt l’envoya balader.

Le Banquier du Reich T.1 – Par Pierre Boisserie, Philippe Guillaume et Cyrille Ternon – Ed. Glénat
Le Banquier du Reich T.1 – Par Pierre Boisserie, Philippe Guillaume et Cyrille Ternon – Ed. Glénat

Victime des rivalités internes du régime (il s’oppose à la mise en place d’une économie de guerre qu’il juge inflationniste, ce qui lui vaut l’hostilité de Göring) auquel il finit par s’opposer, il reste cependant ministre sans portefeuille et conseiller économique d’Hitler, sans en être un proche, jusqu’en 1943.

Participant, de loin, au complot contre Hitler en 1944, il est emprisonné à Dachau puis à Ravensbrück, avant d’être « libéré » par les Américains puis inculpé par le Tribunal de Nuremberg et… acquitté à la surprise générale. Le gouvernement allemand le condamnera cependant plus tard un an plus tard à une peine de huit ans de travaux forcés, jugement annulé en 1948. Il est complètement sorti d’affaires à partir de 1950. Redevenu banquier en 1953, il conseille un bon nombre de pays « non alignés » comme l’Egypte de Nasser, la Syrie ou l’Iran, le plus souvent l’ennemi d’Israël, ce qui ne plaide pour lui.

L’album s’articule autour de l’anecdote d’une escale inopinée d’Hjalmar Schacht en Israël, lors d’un voyage qui le mène de Calcutta à Rome. Le récit de Boisserie et Guillaume s’appuie sur un interrogatoire de Schacht par un agent du Mossad qui veut en savoir plus sur son assistant, un certain Rolf Lübke. Ce procédé permet d’égrener une confession qui s’appuie pour l’essentiel sur les Mémoires du banquier, évident plaidoyer pro domo.

Le Banquier du Reich T.1 – Par Pierre Boisserie, Philippe Guillaume et Cyrille Ternon – Ed. Glénat

Si elle est nécessaire pour pimenter l’intrigue et installer le personnage de Rolf Lübke, cette fiction est peu étayée par les faits : les services secrets israéliens étaient peu investis dans la chasse aux nazis avant la fin des années 1950 qui aboutirent à l’enlèvement d’Eichmann (1960) : il avaient d’autres chats à fouetter, notamment l’établissement de la sécurité de leur nation naissante.

Du travail d’économiste de Hjalmar Schacht, on retient surtout un pragmatisme solide mais qui ne se départit pas des malédictions de son temps : colonialisme enthousiaste, nationalisme sans concession et conservatisme à tout crin. Et avec ça, un antisémitisme « d’époque », comme disait l’autre.

Le personnage est peu reluisant, mais cette bande dessinée a le mérite d’expliquer clairement, non sans une certaine ambiguïté, les rouages et les ressorts derrière l’ascension et le déclin de l’Allemagne nazie.

Ambiguïté, car quiconque a lu Mein Kampf et, dans ces années-là, la plupart des décideurs allemands l’ont lu, comment Hjalmar Schacht pouvait-il être convaincu qu’il ne mènerait pas le pays à la guerre, alors même qu’il applique -en négociant le statut des Juifs allemands- le programme d’épuration ethnique établi par le führer ? On attend de voir le second volume pour vérifier à quel point les auteurs n’ont pas été trop fascinés par leur modèle.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782344027004

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