Jean et Cosmiel on été touchés par la grâce des Instances Supérieures et sont libérés des contingences de leur corps physique. Devenus matières éthérées flottant dans l’univers, ils déambulent, pleins de curiosité, de planète en planète. Silencieux et contemplatifs, leur voyage est rythmé par les leçons de métaphysique que le sage Cosmiel prodigue à Jean le novice.
Le contexte de ce livre étrange au premier regard est particulier.
Au commencement, il y a le Voyage Extatique céleste d’Athanasius Kircher, jésuite allemand du XVIe siècle. Kircher se situe quelque part entre le génie précurseur et le cancre illuminé. Auteur de nombreuses théories, il a, en tant que scientifique, cette particularité que toutes ses intuitions se sont avérées fausses, ce qui l’a plongé dans l’anonymat tout en le rendant très sympathique. Son Voyage céleste est un ouvrage métaphysico-scientifique relatant un trip étrange dans un univers révolu.
À défaut de savoir si l’univers du voyage céleste de Clément Vuillier est lui aussi révolu, il est assurément étrange. Ce contexte donné, le trip graphique débute. Les dialogues sont séparés des dessins, successions d’illustrations en pleines pages dont chacune aurait sa place dans une galerie d’art.
La structure de la narration et du chapitrage reste linéaire, mais remarquablement audacieuse dans sa recherche graphique. À chaque point, correspond une planète, une étape du voyage, à laquelle répond une page, un dialogue, une illustration.
Cela reste simple tout en étant innovant, avant-gardiste, sans être fouillis.
Il est évident que le format peut surprendre et interroger. Au premier abord, il est légitime de se demander « mais qu’est-ce que c’est que ce truc ? ». Mais comme souvent chez 2024, l’intelligence du fonds prend le dessus sur les interrogations de la forme.
On y parle, entre autre, de subjectivité de la perception, de la façon d’appréhender le temps, la distance et le voyage. C’est sûr que c’est moins facile d’accès que les Blondes en BD… Mais se forcer à réfléchir, ce n’est jamais grave. Et le choix de la forme prend son sens, pour convaincre petit à petit le lecteur, et le laisser séduit à la dernière page.
Contrairement à ce que pensent certains l’audace dans les arts graphiques n’est pas l’apanage de quelques bobos intellos parisiens (de toute façon, chez 2024 ils sont strasbourgeois). S’y plonger peut de prime abord paraître ardu au lecteur, mais le plaisir d’explorer des formes de narrations osées qui sortent des carcans habituels est tel qu’il vaut vraiment la peine de passer outre certaines habitudes.
Ce livre est beau, ce livre est intelligent. Ce n’est certes pas de la BD au sens classique du terme, mais, quel kif que ce Voyage Céleste !
(par Gallien Chanalet-Quercy)
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