C’est ce qui s’appelle un « effet Barbra Streisand » du nom de cette star américaine qui, attaquant en justice un journaliste inconnu publié dans une obscure feuille de province, le transforma en quelques heures en une célébrité connue de tous.
Depuis l’année dernière, ActuaBD est partenaire du festival BD de Dieppe organisé par l’association ANBD (Association normande de bande dessinée). C’est à ce titre que nous avions fait une première annonce pour signaler que Jim, l’auteur d’Une Nuit à Rome (Ed. Grand Angle / Bamboo), en était l’invité d’honneur.
L’idée était de donner un coup de main à ce petit festival sympathique créé il y a plus de vingt ans maintenant par une poignée de passionnés contents de retrouver leurs auteurs favoris au milieu de l’été. Il a accueilli, excusez du peu, aussi bien Moebius, que Mézières ou Loisel...
De notoriété, il n’en a désormais plus besoin. Car là, ouille !, l’affiche qu’avait dessinée Jim, a été remarquée par l’adjointe au maire en charge de la vie associative, des animations et de la lutte contre les discriminations, Laëtitia Legrand, qui jugea que la représentation de cette femme lumineuse et épanouie ne correspondait pas à sa vision de la lutte contre les discriminations. Elle refusait à ce que le logo de la ville soit associé à cette image qu’elle jugeait sans doute « sexiste ». Il faut dire que cette mairie communiste, l’une des dernières de France, rédige ses affiches électorales en écriture inclusive. Cette élue ignorait sans doute que cette femme était l’héroïne d’une bande dessinée populaire auprès de milliers de lecteurs, comme elle a sous-estimé également l’impact médiatique d’un médium comme la bande dessinée.
Ne pas faire de vagues…
Pour ne pas faire de vagues et surtout pour éviter à l’association de devoir éponger seule des frais largement engagés (billets de train des auteurs, réservations des hôtels et des repas…) à quelques jours de l’événement, les organisateurs ont préféré obtempérer. À charge pour eux de gérer cette lamentable affaire auprès des auteurs.
L’amitié entre Jim et le patron du Festival Jean-Pierre Surest, a fait que le dessinateur proposa, de mauvaise grâce certes, de modifier l’affiche en allongeant la pile de d’ouvrages de manière à cacher ces seins que l’on ne saurait voir… ActuaBD accepta de même, à la demande des organisateurs, de ne pas réagir dans l’immédiat afin, comme partenaire, de « ne pas jeter de l’huile sur le feu ».
Mais trop tard : l’affaire fuita, et bientôt les réseaux sociaux en firent les gorges chaudes, repris par les grands médias nationaux : Le Parisien, Le Figaro, BFM TV, Le Point…
Censure et polémique à #Dieppe et son festival #BD. L'affiche, pourtant sage, de l'artiste Jim a été censurée pour cause du décolleté trop prononcé (sic) de son héroïne ! Pire, les affiches déjà imprimées ont été jetées à la poubelle !#sexisme #censure https://t.co/sibtrgQSm6
— Branchés Culture (@BranchesCulture) June 27, 2023
En quelques heures, le petit festival de Dieppe devint immédiatement célèbre. Devant ce tollé, le maire de Dieppe, Nicolas Langlois, consulta son Conseil municipal et, prenant la mesure du ridicule de l’affaire, désavoua son adjointe, demandant de rétablir l’affiche originale.
Fin de partie, l’association peut souffler. « C’est vrai que depuis une semaine où le refus de la Mairie avait été annoncé, raconte Alain Ledoux sur sa page Facebook, l’association a tant bien que mal géré cette situation insupportable à moins d’un mois de l’évènement (rectification de l’affiche, annulation des grandes affiches sur les panneaux de la Ville, rectifications des programmes et tutti quanti). Cela représentait un coût réel à l’association que personne ne pouvait imaginer. »
Une mésaventure qui interroge
Restent les questions. Celle du rapport d’un festival avec la puissance publique. Il y a ceux qui sont dans les petits papiers de mairies florissantes et qui sont très habiles pour recueillir des subventions à tous les étages, de la mairie à la Région, des entreprises locales aux ministères les mieux dotés. Parmi eux, il y a ceux qui savent s’imposer aux élus (le Festival d’Angoulême en est l’incarnation la plus caricaturale) et d’autres qui sont comme le chien de la fable, soumis aux caprices parfois imbéciles de certaines municipalités.
Non sans contraintes. Ainsi, le Centre National des Lettres subordonne sa dotation à la rémunération des auteurs. Seule une dizaine de festivals (sur plus de 300) peuvent se le permettre. Cela crée une sorte d’aristocratie qui est souvent indexée au soutien public à la bande dessinée alternative. Or, c’est le cas à Dieppe, quand la programmation est par trop populaire (Jim comme son éditeur Bamboo sont plutôt méprisés par la programmation de certains festivals), elle ne correspond pas aux critères de saison. Impossible dès lors d’accéder aux subsides…
L’autre interrogation porte sur la compréhension des enjeux de la bande dessinée par le pouvoir politique. Certains élus le comprennent bien, on pense aux festivals de Blois, d’Amiens, de Bruxelles ou de Bastia qui intègrent bien leur politique culturelle dans un ancrage local, notamment en direction du public scolaire. Mais le plus souvent, par manque d’une réflexion de long terme, par ignorance du dossier surtout, des décisions inadaptées sont prises qui desservent les efforts déployés par les organisateurs.
« Finalement, cette affaire, ce « buzz », poursuit Alain Ledoux, aura fait gagner au Festival son identité et ses lettres de noblesse et aujourd’hui sa renommée. Qui aurait pu croire que cette déferlante médiatique, la plupart du temps favorable aux impératifs et objectifs du Festival de Dieppe nous a servi sans que nous ne voulions. Comme me le soulignait ce midi un ami Philippe Morin que beaucoup d’entre nous connaissent pour être le fondateur de PLG : « - Mais comment avez-vous fait ? Vous avez maintenant dépassé l’audience et la notoriété du Festival International de la BD d’Angoulême en une semaine ! » auquel j’ai répondu : « - Ben, Philippe, nous n’y sommes pour rien ! »
En attendant de nous rendre au Festival entre le 22 et le 23 juillet prochains, on peut contribuer à sa cagnotte Ulule, histoire de le renflouer un peu.
Voir en ligne : LE ULULE DU FESTIVAL BD DE DIEPPE
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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