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Le quart d’heure de célébrité du Festival BD de Dieppe, dont l’affiche, dans un premier temps censurée, est finalement autorisée

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 2 juillet 2023                      Lien  
C’est la petite histoire d’un petit festival disputé par la mairie pour avoir publié une affiche avec une ravissante demoiselle dont on a été étonné d’apprendre qu’elle pouvait choquer : « nous avons pensé que la représentation d’une jeune femme en pose lascive, avec un décolleté certes léger, n’entrait pas dans la vision que nous nous faisons de la lutte contre les discriminations… » avait déclaré l’élue communiste, adjointe au maire en charge de la vie associative, des animations et de la lutte contre les discriminations, Laëtitia Legrand. Ayant demandé dans un premier temps de modifier l’affiche, l’élue a été désavouée par le maire et le Conseil municipal de la ville qui ont décidé de maintenir l’affiche originale.

C’est ce qui s’appelle un « effet Barbra Streisand » du nom de cette star américaine qui, attaquant en justice un journaliste inconnu publié dans une obscure feuille de province, le transforma en quelques heures en une célébrité connue de tous.

Depuis l’année dernière, ActuaBD est partenaire du festival BD de Dieppe organisé par l’association ANBD (Association normande de bande dessinée). C’est à ce titre que nous avions fait une première annonce pour signaler que Jim, l’auteur d’Une Nuit à Rome (Ed. Grand Angle / Bamboo), en était l’invité d’honneur.

L’idée était de donner un coup de main à ce petit festival sympathique créé il y a plus de vingt ans maintenant par une poignée de passionnés contents de retrouver leurs auteurs favoris au milieu de l’été. Il a accueilli, excusez du peu, aussi bien Moebius, que Mézières ou Loisel...

De notoriété, il n’en a désormais plus besoin. Car là, ouille !, l’affiche qu’avait dessinée Jim, a été remarquée par l’adjointe au maire en charge de la vie associative, des animations et de la lutte contre les discriminations, Laëtitia Legrand, qui jugea que la représentation de cette femme lumineuse et épanouie ne correspondait pas à sa vision de la lutte contre les discriminations. Elle refusait à ce que le logo de la ville soit associé à cette image qu’elle jugeait sans doute « sexiste ». Il faut dire que cette mairie communiste, l’une des dernières de France, rédige ses affiches électorales en écriture inclusive. Cette élue ignorait sans doute que cette femme était l’héroïne d’une bande dessinée populaire auprès de milliers de lecteurs, comme elle a sous-estimé également l’impact médiatique d’un médium comme la bande dessinée.

Ne pas faire de vagues…

Pour ne pas faire de vagues et surtout pour éviter à l’association de devoir éponger seule des frais largement engagés (billets de train des auteurs, réservations des hôtels et des repas…) à quelques jours de l’événement, les organisateurs ont préféré obtempérer. À charge pour eux de gérer cette lamentable affaire auprès des auteurs.

L’amitié entre Jim et le patron du Festival Jean-Pierre Surest, a fait que le dessinateur proposa, de mauvaise grâce certes, de modifier l’affiche en allongeant la pile de d’ouvrages de manière à cacher ces seins que l’on ne saurait voir… ActuaBD accepta de même, à la demande des organisateurs, de ne pas réagir dans l’immédiat afin, comme partenaire, de « ne pas jeter de l’huile sur le feu ».

Mais trop tard : l’affaire fuita, et bientôt les réseaux sociaux en firent les gorges chaudes, repris par les grands médias nationaux : Le Parisien, Le Figaro, BFM TV, Le Point

En quelques heures, le petit festival de Dieppe devint immédiatement célèbre. Devant ce tollé, le maire de Dieppe, Nicolas Langlois, consulta son Conseil municipal et, prenant la mesure du ridicule de l’affaire, désavoua son adjointe, demandant de rétablir l’affiche originale.

Fin de partie, l’association peut souffler. « C’est vrai que depuis une semaine où le refus de la Mairie avait été annoncé, raconte Alain Ledoux sur sa page Facebook, l’association a tant bien que mal géré cette situation insupportable à moins d’un mois de l’évènement (rectification de l’affiche, annulation des grandes affiches sur les panneaux de la Ville, rectifications des programmes et tutti quanti). Cela représentait un coût réel à l’association que personne ne pouvait imaginer. »

Le quart d'heure de célébrité du Festival BD de Dieppe, dont l'affiche, dans un premier temps censurée, est finalement autorisée

Un festival sympathique sur la pelouse qui fait face au Front de mer
Photos : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Une mésaventure qui interroge

Restent les questions. Celle du rapport d’un festival avec la puissance publique. Il y a ceux qui sont dans les petits papiers de mairies florissantes et qui sont très habiles pour recueillir des subventions à tous les étages, de la mairie à la Région, des entreprises locales aux ministères les mieux dotés. Parmi eux, il y a ceux qui savent s’imposer aux élus (le Festival d’Angoulême en est l’incarnation la plus caricaturale) et d’autres qui sont comme le chien de la fable, soumis aux caprices parfois imbéciles de certaines municipalités.

Non sans contraintes. Ainsi, le Centre National des Lettres subordonne sa dotation à la rémunération des auteurs. Seule une dizaine de festivals (sur plus de 300) peuvent se le permettre. Cela crée une sorte d’aristocratie qui est souvent indexée au soutien public à la bande dessinée alternative. Or, c’est le cas à Dieppe, quand la programmation est par trop populaire (Jim comme son éditeur Bamboo sont plutôt méprisés par la programmation de certains festivals), elle ne correspond pas aux critères de saison. Impossible dès lors d’accéder aux subsides…

L’autre interrogation porte sur la compréhension des enjeux de la bande dessinée par le pouvoir politique. Certains élus le comprennent bien, on pense aux festivals de Blois, d’Amiens, de Bruxelles ou de Bastia qui intègrent bien leur politique culturelle dans un ancrage local, notamment en direction du public scolaire. Mais le plus souvent, par manque d’une réflexion de long terme, par ignorance du dossier surtout, des décisions inadaptées sont prises qui desservent les efforts déployés par les organisateurs.

Les estampes (non censurées) signées Jim vous attendent au festival
Photo : DR

« Finalement, cette affaire, ce « buzz », poursuit Alain Ledoux, aura fait gagner au Festival son identité et ses lettres de noblesse et aujourd’hui sa renommée. Qui aurait pu croire que cette déferlante médiatique, la plupart du temps favorable aux impératifs et objectifs du Festival de Dieppe nous a servi sans que nous ne voulions. Comme me le soulignait ce midi un ami Philippe Morin que beaucoup d’entre nous connaissent pour être le fondateur de PLG : « - Mais comment avez-vous fait ? Vous avez maintenant dépassé l’audience et la notoriété du Festival International de la BD d’Angoulême en une semaine ! » auquel j’ai répondu : « - Ben, Philippe, nous n’y sommes pour rien ! »

En attendant de nous rendre au Festival entre le 22 et le 23 juillet prochains, on peut contribuer à sa cagnotte Ulule, histoire de le renflouer un peu.

Voir en ligne : LE ULULE DU FESTIVAL BD DE DIEPPE

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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Festival de BD de Dieppe
 
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15 Messages :
  • Restent les questions. Oui. Pas forcément celles posées sur les financements. Reste surtout la honte. "Pose lascive
    " !?! Peut-être que l héroïne de Jim ne correspond pas aux critères du politiciens correct de cette élue.

    Seule l amitié sonne à mes yeux comme une excuse pour Jim qui a accepté ça. Et heureusement que cela a fuité.

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    • Répondu par Michel le 3 juillet 2023 à  07:52 :

      Bon papier sur cette petite affaire et sur l’envers des festivals que peu de gens connaissent. Mais je n’ai pas bien compris cette phrase « . Cela crée une sorte d’aristocratie qui est souvent indexée au soutien public à la bande dessinée alternative ». Pourriez-vous développer si vous avez le temps ? Merci.

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      • Répondu par Max le 3 juillet 2023 à  11:32 :

        La bande dessinée alternative, qui se dit indépendante, est au final celle qui absorbe le plus de subventions publiques. CQFD

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        • Répondu le 3 juillet 2023 à  15:46 :

          Eh bien c’est à dire que Media Participations, par exemple, a moins besoin de subventions !

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        • Répondu le 3 juillet 2023 à  16:51 :

          Mais l’article parle des festivals, pas des éditeurs ! Si on comprend bien, l’article explique qu’il est plus difficile pour un petit festival consacré à la BD grand-public d’obtenir des subventions que pour un festival équivalent s’intéressant à la Bd dite « indépendante » (dans son versant un peu « chic »).

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          • Répondu par Laurent le 3 juillet 2023 à  21:01 :

            Intéressants ces commentaires mais pas en lien avec la question posée par cette tentative de censure.

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            • Répondu par Jermaine le 3 juillet 2023 à  22:47 :

              Les sujets relatifs aux diverses tentatives de censure ont été épuisés lors de la pathétique affaire Vivès de l’hiver dernier (dont on attend toujours les retombées judiciaires éventuelles). On n’en peut plus de ces ridicules tentatives de censure venues d’une gauche qui a décidé d’être plus puritaine que la pire des droites. Et en l’occurrence, cette énième tentative est si ridicule que la Mairie de Dieppe s’en est aperçue elle-même. Merci pour vos articles et bonnes vacances à ceux qui partent.

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  • J’ai découvert l’affaire avec le dessin du jour de Xavier Gorce paru dans le point du 30 juin 2023 : https://xaviergorce.com/2023/06/30/dieppe-les-tartufes-2023/
    J’ai été sidéré de voir qu’aujourd’hui on pouvait censurer un dessin que je trouve fort anodin dans sa représentation de la femme.
    Par contre, j’aimerais souligner le talent de Jim qui a su, avec résignation, censurer son œuvre sans que cela nuise à sa lisibilité et sa beauté globale.
    Heureusement que l’affiche originale est revenue, mais j’ai toujours du mal à comprendre comment on peut encore, aujourd’hui, dicter aux femmes comment il faut s’habiller (sachant que celle-ci n’enfreint aucune règle ni les bonnes mœurs normalement). Surtout venant d’une mairie communiste. Au début, j’ai pensé que l’élu devait être d’extrême (très extrême) droite pour afficher des considérations aussi archaïques. Comme quoi, les idées reçues peuvent jouer des tours.
    Merci pour ces éclaircissements.

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    • Répondu le 4 juillet 2023 à  10:40 :

      Il faut bien avouer qu’en matière d’idées nauséabondes, les extrêmes jouent des coudes pour savoir qui sera le plus rétrograde, puritain, censeur, soit par soi-disant progressisme anglo-saxon expiatoire, soit par réactionnisme identitaire facho. Drôle d’époque, drôle de monde, drôle d’idées rances.

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      • Répondu le 4 juillet 2023 à  18:09 :

        Les extrêmes droite comme gauche occupent toute la place parce que l’outrance fait du buzz, le buzz fait du click et le click rapporte des milliards en publicité. C’est l’envers du décor de la privatisation des médias et de l’arrivée d’internet (qui rend bien des services par ailleurs). Paradoxalement, la grande majorité des gens restent globalement modérés. Il faudrait simplement ne plus faire autant attention à toutes ces conneries (souvent produites ou boostées par des usines à trolls). Ne pas les commenter, ne pas les relayer, ne pas les liker.

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      • Répondu le 4 juillet 2023 à  18:11 :

        Il faut quand même remarquer que Jim a un vrai talent pour dessiner des piles de livres. Moi je lui aurais demandé de dessiner des piles de livres jusqu’en haut de l’affiche.

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  • Les réactions des autrices et des auteurs, lues sur les réseaux, est symptomatique de la scission idéologique qui traverse le milieu, et qui trouve son point culminant annuel fin janvier à Angoulême. Une étude sur le sujet serait très intéressante.

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    • Répondu par Thomas More le 5 juillet 2023 à  23:50 :

      Moui… le truc intéressant (et rassurant), c’est de constater justement que le milieu de la BD n’est pas un truc uniforme et qu’il est traversé par les mêmes « scissions idéologiques » qui concernent toute les sociétés. Grosso modo, il en est de même que dans toutes les querelles intellectuelles qui font le sel du quotidien de ceux que ça intéresse et dont la vie va plutôt bien.
      D’un côté, une minorité active de petits bourgeois et petites bourgeoises qui semblent trouver un nouveau sens à leur vie en versant dans des positions de plus en plus extrémistes… et qu’elles soient réactionnaires ou révolutionnaires, identitaires ou habillées d’un vernis progressiste importe peu tant qu’elles leur procurent un délicieux frisson de radicalité.
      De l’autre, une majorité passive, tout aussi à l’aise, mais plus modérée, en somme plus conservatrice (de droite comme de gauche) et qui considère qu’on ne se fait pas justice soi-même et qu’une cause quelle qu’elle soit ne justifie pas de verser dans l’outrance, l’exagération, la censure ou la violence.
      Le troisième groupe, grosso-modo, celui des gens qui ont vraiment des problèmes, se désintéresse totalement de toutes ces polémiques, comme de la politique ou des élections, choses qui leur passent au dessus de la tête. Ils ont autre chose à faire. Les joutes intellectuelles, ou philosophiques ont depuis toujours quelque chose de très divertissant, mais leur dimension universelle n’est qu’auto-proclamation. La plupart des gens s’en foutent.

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  • Cela montre aussi que, si l on ne se laisse pas faire, la censure et l obscurantisme peuvent reculer, d où qu elles viennent.
    Rouge, vert, vert de gris, brun, bleu marine, etc... il faut dénoncer ces tartuffes.

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  • Il est cocasse — et symptomatique — qu’une élue communiste soit aujourd’hui plus choquée par le fait que l’affiche montre une femme dont on voit les épaules que par le fait qu’elle montre un édifice religieux en arrière-plan… Il faut un temps où les communistes bouffaient du curé, maintenant ils courent après les voix des woke et des "gens prudes"… les temps changent…

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