Les vacances sont bientôt là et cela fait plusieurs mois que cet opuscule trône sur mon bureau en attente que je le lise, et le chronique par la même occasion. Une saine occupation à chaque fois procrastinée à cause de l’actualité. « Mais, hélas ! Ici-bas est maître » disait Mallarmé. L’abondance des publications, les polémiques à deux balles, un monde où « seuls les appétits mangent » remarquait encore le poète, voilà qui fait que l’on traîne parfois à chroniquer dans ce site de bénévoles.
L’auteur de l’ouvrage est bien connu et porte toute notre estime : Bernard Joubert, impertinent pourfendeur de la censure -cette conne jamais apaisée- et savant en toutes choses interdites. Dans ce volume carré, au propre comme au figuré, il réussit, avec une infinie érudition, cette chose inouïe : celle de nous faire rire avec ce qui scandalise les pisse-vinaigres de la convenance : la flatulence. Le sujet avait fait l’objet d’une conférence à Angoulême en 2020.
« Le pet franc et joyeux, qu’on lance sans arrière-pensée pour se dégager les conduits ou amuser l’assistance, requiert la complicité tacite de ceux qui vont l’ouïr. Il ne fuse qu’en présence d’amis, de copains, de proches parents, d’êtres aimés, et ne doit être ni trop répétitif ni trop insistant, sous peine de lasser rapidement... » prévient cependant Jean-Pierre Bouyxou, préfacier de cet ouvrage de référence du « Pic de la Mirandole des brises intestinales ». Nous sommes donc entre amis.
Premiers pets
Partant du « fondement du 9e art », Joubert rappelle que déjà chez le pionner des « histoires en estampes », dans Histoire de Mr Jabot, la première œuvre publiée de Rodolphe Töpffer (1833), « ça pétouillait ».
Mais entre le manuscrit original de 1831 et sa publication, des amis lui déconseillant la plaisanterie, le héros de Töpffer se ridiculise non plus par l’odeur mais par une simple chute. Censure déjà.
Un pétomane, « gloire de la France »
On voit bien, avec cette érudition qui débusque une censure totalement inconnue, à quel niveau se porte l’intelligence de l’analyse à propos de ce sujet volatil s’il en est. Des images d’Epinal à Joseph Pujol (1857-1945), pétomane de music-hall qui attira, dit-on, deux fois plus de spectateurs que Sarah Bernhardt et qui inspira très tôt la bande dessinée : de la revue pour « La Jeunesse amusante » en 1897, à des comix underground plus contemporains comme « The Compleat Fart and Other Body Emissions » de Lee Marss, le sujet ne s’épuisa jamais prospérant jusque dans Les Pieds Nickelés de Louis Forton.
Mais, constate Joubert, si, jadis, le pet n’était pas un sujet banni, depuis la Seconde Guerre mondiale, on ne pète plus guère. La raison ? « La France se dota d’une loi de censure particulièrement active contre la bande dessinée, le 16 juillet 1949 », vous savez, cette loi conçue sous Vichy et votée par des parlementaires communistes et catholiques. Quel rapport entre le pet et Vichy, direz-vous ? L’odeur pestilentielle, peut-être.
Toujours est-il que le pet devenu « plaisanterie non grata » disparut des cases jusqu’à ce que… L’Echo des Savanes de Gotlib, Bretécher et Mandryka se remit à émettre en 1972. À leur suite, Reiser, Carali, Charb, Edika, Binet, Lou, Foerster, Franquin même, se remirent à péter à l’envi. En Angleterre, la parodie potache de Beano, Johnny Fartpants (que l’on peu traduire par : Jeannot Pantalonpéteur) fait à peu près le même travail.
En spécialiste de la BD porno d’ailleurs, Joubert fait profiter au lecteur de sa connaissance sagace du sujet, jusques et y compris au sein du couple.
La jeunesse aussi, et surtout
Dans la foulée de l’émancipation du pet dans les années 1970, celui-ci prospéra dans l’album jeunesse au point de devenir, selon les mots de Joubert, une « niche éditoriale ». De la série Victor qui pète, au personnage de Prout, le pet fut par ricochet un sujet pour Titeuf, Le Petit Spirou ou Mortelle Adèle. Même les mangas n’en sont pas exempts.
Le pet n’en reste pas moins une marque de vulgarité pour les pète-sec du bon goût. Nous leur adressons volontiers cette belle parole à peu près biblique : « Pet aux hommes de bonne volonté ».
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Flatulences en cases – Par Bernard Joubert – Ed. Dynamite
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