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Loïc Sécheresse ("Heavy Metal") : "Les Anglais, on ne va pas les chasser avec des prières".

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 28 février 2014                      Lien  
Il avait d'abord réalisé seul "Au bonheur des âmes" (Danger public, 2006), puis d'autres ouvrages avec son complice Stéphane Melchior-Durand : "Tozoïd et Vula" (Le Cycliste, 2006), "Raiju" (Gallimard, 2008), "Raiden" (Gallimard, 2009), "Hecate et Belzébuth" (Manolosanctis, 2011) avant de publier seul une aventure romancée mettant en scène Jeanne d'Arc et Étienne de Vignolles, dit Lahire dans "Heavy Metal" (Gallimard, 2013), en attendant un nouvel album à paraître début avril chez Warum : "Love & Kick Boxing"... Rencontre.
Loïc Sécheresse ("Heavy Metal") : "Les Anglais, on ne va pas les chasser avec des prières".
"Raiju" Stéphane Melchior-Durand
Gallimard-Bayou

Heavy Metal est votre sixième livre, en somme...

Oui, et la bande dessinée n’est pas ma première fonction non plus. je suis illustrateur pour la publicité et la presse depuis sept ou huit ans et illustrateur jeunesse depuis quinze ans maintenant. La bande dessinée, je la pratique depuis six ou sept ans. Cela a commencé avec mon ami et camarade Stéphane Melchior-Durand avec qui on a fait des bandes dessinées en ligne qui étaient des strips autour de la rencontre entre un spermatozoïde et un ovule, des strips qui ont beaucoup circulé dans les boîtes mail... Tozoïd et Vula (Le Cycliste, 2006). C’était marrant, mais dessiner des personnages tout roses sur fond bleu, c’est vite ennuyeux et on avait envie de faire un projet très épique et c’est là qu’est apparu le livre Raiju (Bayou, Gallimard), un récit qui se déroule dans le Japon médiéval avec un samouraï né avec une tête de chat à cause d’une malédiction divine. C’est une quête, une vengeance, vraiment dans les codes des classiques du genre...

"Raiden" avec Stéphane Melchior-Durand
Ed. Gallimard-Bayou

Il y a eu une suite à ce projet qui s’appelle Raiden. Ce sont deux one-shots que l’on peut lire séparément. Suite à cela, même si cette expérience avec Stéphane a été très fructueuse, j’ai eu envie d’écrire moi-même.

D’où vous vient l’idée ?

J’ai longtemps vécu à Orléans, donc tout ce folklore autour de Jeanne d’Arc, je le connais très bien. Toute cette poussière autour d’elle, ce conservatisme, je ne les connais que trop bien aussi. J’en avais un peu marre que Jeanne d’Arc soit appropriée par des gens un peu réacs.

"Heavy Metal"
Ed. Gallimard-Bayou

Pour moi, ce personnage, c’est une petite meuf -elle avait 19 ans !- qui fait triper. C’est assez difficile de remettre en cause sa réalité historique : le parcours est très bien décrit, très bien suivi. Je trouvais intéressant de reprendre ce personnage, de m’attacher à lui. Lors de son procès, elle a eu des répliques tellement définitives, tellement formidables que la fiction dépasse la réalité.

Du coup, je me suis intéressé aux seconds couteaux, et notamment à Étienne de Vignolles, dit Lahire, le valet de cœur du jeu de carte. C’est le personnage qui était fidèle à Jeanne d’Arc, qui l’a suivie jusqu’au bout. Tout le monde a lâché Jeanne d’Arc, notamment le roi, à cause de ses négociations avec les Bourguignons. Jeanne d’Arc s’obstinait dans des libérations de villes, Paris mais aussi des petites villes de province, et Lahire la suivait, parce qu’il ne savait faire que cela.

C’est un paradoxe, Jeanne d’Arc est un mythe de la IIIe République, et en même temps, vous le déconstruisez.

Je me suis attaché à ce que tous les épisodes relatés dans Heavy Metal partent d’éléments historiques, mais je n’avais pas envie de faire un livre d’histoire. Cela raconte simplement les rapports entre un homme et une femme. Cela raconte le destin d’un mec qui a toujours violé et tué parce qu’il ne savait faire que cela, c’était sa fonction sociale. D’un seul coup, on lui demande d’être un mec bien : tu vas chasser les Anglais, tu vas avoir 30 kg de métal sur le dos, tu vas avoir les mains dans le sang et dans la boue, mais ce serait bien que tu sois un mec bien aussi ! Pourtant, les Anglais, on ne va pas les chasser avec des prières, c’est un sale boulot. C’est tout le paradoxe.

"Heavy Metal"
(c) Gallimard

Nous sommes au moyen-âge, et vous lui collez ce titre très moderne, presqu’anachronique : Heavy Metal. Ce n’est pas une source de confusion pour vous ?

Non. Tout est venu très vite et pour moi, ce titre, il était évident. J’en ai parlé à l’éditeur, Thierry Laroche, qui s’est renseigné pour les questions de droit et il n’y avait aucun souci. Une seule fois, en dédicace, j’ai eu des fans de Metal qui se sont pointés et qui sont repartis déçus.

Votre style de dessin s’inscrit parfaitement dans la collection Bayou. Nous sommes dans la lignée du tempo croquis à la Joann Sfar. Est-ce qu’il y a une "école Bayou" ?

Curieusement, pour moi, cette ligne vient plutôt de l’illustration. Mes rencontres importantes, lorsque j’étais étudiant, c’étaient Ralph Steadman, les expressionnistes allemands, Beckman par exemple, les croquis de Tiepolo, ses lavis, ses dessins à la plume qui sont formidables, d’une modernité folle. Et puis, avec Stéphane, lorsque l’on travaillait sur Raiju et Raiden, tous les maîtres de l’estampe japonaise : Hokusaï, Hiroshige mais aussi les plus tardifs, plus "européanisés", comme Yoshitoshi et Kuniyoshi parce que, justement, pour la bande dessinée, j’allais vers quelque chose de moins iconique, de plus figuratif. Mais oui, avec Sfar, on est de la même famille, comme de celle de Quentin Blake. On est dans une généalogie, bien sûr.

"Heavy Metal"
(c) Gallimard

Votre prochain album, c’est quoi ?

Ce sera Love & Kick Boxing, une histoire d’amour et de Kick Boxing (rires). Une sorte de Mad Max ésotérique qui va sortir chez Warum début avril. Les 24 premières planches de cette histoire ont été faites pendant es 24 heures de la bande dessinée d’Angoulême : des pages qui se bouclaient, et puis j’ai eu une idée pour prolonger l’histoire. C’est publié chez un indépendant, le récit est très linéaire, et jouit de beaucoup de liberté dans le récit. Après Heavy Metal j’ai dû lever le pied parce que j’avais des commandes en illustration, j’étais très pris et j’ai voulu attendre de voir comment Heavy Metal était reçu, quelle place il avait avant de me lancer autre chose. J’ai des envies de western qui sont en construction, en pourparlers.

Pourquoi publier chez Warum alors que l’on est chez Gallimard ?

Cela faisait très longtemps que l’on avait envie de travailler ensemble. Pourtant, je les ai plantés sur un projet que l’on n’a pas pu faire. C’est simplement l’envie. C’est une respiration suite à Heavy Metal qui a pris trois ans à se faire.

Propos recueillis par Didier Pasamonik

"Love & Kick Boxing"
(c) Warum

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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