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Brève rencontre avec : Antoine Ozanam, scénariste de "Mauvaise Réputation - La véritable histoire d’Emmett Dalton"

16 septembre 2021 3 Commentaires
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RENCONTRES ESTIVALES #23. Antoine Ozanam, scénariste brièvement passé par le dessin, fait feu de tout bois. Il a été édité chez Casterman, Delcourt ou encore Le Lombard. Mais s’il est habitué des grands groupes d’édition, cela ne l’empêche pas de constamment renouveler son travail, abordant une grande diversité de genres. De sa série Klaw au récent Mauvaise Réputation, il a pu affuter sa plume, varier les formats et multiplier les collaborations. Grand connaisseur du patrimoine de la bande dessinée, attaché à la défense des droits des auteurs, raconteur d’histoires avant tout, il n’est pas près de s’essouffler.

Aventure, fantastique, western, histoire, social, adaptation… Vous avez déjà abordé un grand nombre de genres. Comment êtes-vous parvenu à une telle diversité, sachant que cela demande d’adapter son écriture ?

Comme je suis quelqu’un qui réfléchit très lentement, j’ai fait des études de dessin avant de devenir scénariste. J’ai compris pendant cet apprentissage que ce qui me plaisait le plus était de raconter plus que de dessiner. Le fait d’écrire une histoire permet de changer justement de style, de ton... Bien plus facilement. Ce n’est pas forcément bon pour fidéliser les lecteurs mais franchement, si c’est le prix à payer pour continuer à avoir envie d’écrire tous les matins, ça me va.

Brève rencontre avec : Antoine Ozanam, scénariste de "Mauvaise Réputation - La véritable histoire d'Emmett Dalton"
© Lelis de Oliveira / Antoine Ozanam / Michel Lafon

Cela dit, le côté « touche-à-tout » me donne aussi envie d’écrire sous plusieurs pseudos pour ne pas avoir à justifier pourquoi le type qui fait Klaw [1] fait aussi un OVNI expérimental pour adulte.

Un autre point central de ma façon d’envisager l’écriture, c’est la peur de me répéter. Refaire quelque chose, même si ça a eu un certain succès, est à l’opposé de ce qui me motive. Quand j’ai arrêté toutes mes autres activités, je me suis dit que je ferai ce boulot tant que je m’amuse. Si un jour, j’ai l’impression de tourner en rond, j’irai faire autre chose. C’est d’ailleurs aussi ma vision de l’écriture d’une série. À quoi bon faire le tome 19 si vous sentez que vous ne pouvez pas éviter la redite ?

Du coup, je m’autorise tous les genres, tous les publics... Bien sûr, il y a des genres où je me sens plus à l’aise. Le polar par exemple. Les histoires noires. Mais dans ce cas là, toujours par envie de renouveau, j’ai tendance à vouloir expérimenter la narration. La première personne à surprendre, c’est moi.

Alice Guy © B. Lachard / A. Ozanam / Soleil 2022

Comment abordez-vous les différents genres, les différents formats, en particulier ceux qui sont peuvent être nouveaux pour vous ?

Plus j’avance, plus je deviens exigeant avec moi. J’ai du mal avec le concept « d’album supplémentaire », juste parce que c’est possible. J’ai participé à ça. J’ai dit oui à un éditeur pour faire un album juste parce qu’il me le demandait. Quand vous n’êtes pas habitué au téléphone qui sonne, c’est assez grisant. Mais je n’aurais pas dû. Je suis mauvais quand je ne « sens » pas le projet. Ça, c’est la vraie difficulté. Écrire quand on n’est plus (ou pas) en phase avec le projet, ce qui peut arriver aussi quand les délais entre création et signature avec l’éditeur s’allongent.

Severiano de Heredia © I. Dethan / A. Ozanam / Passés recomposés 2021

À titre personnel, il y a des choses qui me semblent impensables à écrire. Faire du gag par exemple. Et plus encore faire ce que Lewis Trondheim a fait avec Le Pays des trois sourires [2]. Un gag par strip, trois strips par page sur plus de quarante pages... Et le tout en continuité narrative.

Et même sans aller jusque-là, je dirais que faire un 46 pages est plus difficile à faire qu’un roman graphique où personne ne vous empêche de rajouter trois ou quatre pages. C’est pour ça que j’ai une grande estime pour les auteurs avant les années 1970-90. Faire du 46 pages, souvent en quatre strips... Rester lisible tout en étant captivant... Et boucler l’histoire sans pour autant faire un « à suivre »... D’ailleurs, niveau dessin, c’est la même chose. Les mecs faisaient des « plans larges » sans pour autant faire une grande case qui bouffe la moitié de la page.

Severiano de Heredia © I. Dethan / A. Ozanam / Passés recomposés 2021

Du coup, faire ce genre d’histoires me tente beaucoup. Mais comme je ne suis pas fou, je m’autorise aussi des polars « roman graphique »... Écrire des histoires de façon fluide (écrire avec moins de contraintes), c’est tout de même super cool !
Ce qui est marrant, c’est de s’apercevoir que chaque genre a ses difficultés et ses petits plaisirs. Quand c’est historique, faut faire gaffe à ne pas se noyer dans la documentation, ce qui est autrement plus dur que de ne pas en avoir assez. Pour les adaptations, il est frustrant de ne pas pouvoir tout mettre. Mais dans les deux cas, vous pouvez vous reposer sur le fil rouge que l’on vous impose. Vous n’avez pas besoin de vous soucier de la cohérence des évènements... Ni de la structure puisqu’elle est imposée par la vie.

Il y a des points communs à tous les genres (du moins dans ma vision du métier) : garder en tête de faire du romanesque ! Surtout ne pas être professoral ou trop journalistique. Travailler les dialogues. Et si possible, réfléchir à la mise en scène, à la mise en page. Ne pas réutiliser les ficelles de la dernière fois uniquement parce que l’on sait qu’elles fonctionnent. C’est d’ailleurs une chose qui me fascine chez les musiciens qui peuvent refaire leurs chansons des années et des années en concert. Sans même en donner une autre version. Pratiquement toujours avec la même durée. Si on transpose en bande dessinée, c’est pile poil ma version de l’enfer.

Severiano de Heredia © I. Dethan / A. Ozanam / Passés recomposés 2021

Avez-vous des projets qui vont prochainement aboutir ? Et d’autres encore lointains que vous aimeriez voir se concrétiser un jour ?

Plein ! Bon, ces dernières années, j’ai l’impression d’avoir travaillé en sous-marin. J’ai écrit des projets qui ont mis un temps certain à se réaliser. Soit parce que le dessinateur avait des obligations ailleurs, soit parce qu’on a eu des difficultés à trouver un éditeur. Généralement, plus c’est des choses qui me sont proches, plus c’est difficile... Mais c’est peut-être à mon psy à qui je dois en parler, pas ici.

Donc, on commence en septembre, avec Severiano De Heredia que j’ai réalisé avec Isabelle Dethan. Il s’agit d’une histoire vraie sur le premier « maire » noir de Paris (avant Jacques Chirac, il n’y avait pas de maire à Paris, juste un président du conseil). Ça sera chez Passés Composés...

Puis en tout début d’année prochaine, il y aura une bande dessinée sur Alice Guy, la première femme à être réalisatrice de film de fiction... C’est un projet qui date de plus de dix ans. Je voulais faire une série d’albums sur des femmes libres... Mais personne ne voulait signer. Du coup, j’avais abandonné l’idée de collection et j’ai commencé à proposer les histoires en one-shot. C’est comme ça que j’avais signé Princesse Caraboo [3]. Alice Guy a trouvé sa place chez Soleil... Dans un format « OVNI »... C’est Bruno Lachard au dessin. On s’est vraiment fait plaisir à réfléchir à la narration et la construction de la page.

Le Dépisteur © M. Venanzi / A. Ozanam

Il y aura aussi le lancement d’une nouvelle série. Pour l’instant, il s’agit d’un diptyque mais si les ventes ne sont pas trop mauvaises, on pourra peut-être continuer... Il s’agit du Dépisteur réalisé avec Marco Venanzi. C’est une histoire fictive sur des événements réels. C’est peut-être la première fois que je fais quelque chose de si « classique » dans le format. Et du coup, je suis impatient de voir comment ça sera reçu.

Et enfin, encore un genre nouveau, je boucle actuellement une histoire d’autofiction. Je n’ai pas encore la date mais ce sera chez Michel Lafon avec Lelis de Oliveira (même équipe que pour Popeye !). Ce projet là, il a fallu attendre très longtemps avant que je m’autorise à l’écrire. Même si je « trahis » de temps en temps la réalité (pour rester romanesque justement), c’est quand même bizarre d’écrire des souvenirs...

Le Dépisteur © M. Venanzi / A. Ozanam

Bien sûr, il y aura aussi les suites de Mauvaise Réputation et de Klaw.

Pour les autres projets plus lointains... Ce n’est pas ce qui manque... Disons que trois me hantent tous les jours... J’ai l’idée d’une collection d’albums autonomes... De beaux objets. C’est ma réponse à ma réflexion sur la « narration autrement »... Ça m’amuse beaucoup dès que je suis dessus. Il faut juste trouver un éditeur capable de signer six à huit titres d’un coup !

Le deuxième projet est une reprise d’un personnage du patrimoine... C’est un peu un rêve de gamin. Même si je sais que faire une reprise est « le Mal »... - dans le sens où on devrait laisser mourir tous les personnages du temps passé pour promouvoir des séries plus en adéquation avec les lecteurs d’aujourd’hui. Mais bon, je ne peux pas résister au plaisir de jouer avec des jouets qui m’ont tellement influencé. Je n’en dis pas plus parce que je ne sais pas si j’ai le droit...

Le dernier est le plus intime... C’est ma première co-scénarisation. Une histoire un peu folle écrite avec l’amour de ma vie. J’admire son écriture depuis longtemps... Nous avons déjà bossé des histoires ensemble mais elle n’a jamais été créditée... Là, vu l’ampleur de notre travail commun, ça va enfin être le cas. Je n’aurais jamais cru avoir autant de plaisir à partager une histoire... J’espère d’ailleurs que ce n’est que le commencement d’une longue collaboration.

Le Dépisteur © M. Venanzi / A. Ozanam

FH

Propos recueillis par Frédéric Hojlo.

En médaillon : couverture de Mauvaise Réputation T. 1 : La véritable histoire d’Emmett Dalton, Antoine Ozanam / Emmanuel Bazin, Glénat, 2021.

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Voir en ligne : Consulter le site d’Antoine Ozanam.

[1Série dessinée par Joël Jurion et éditée par Le Lombard depuis 2012, treize volumes parus (NDLR).

[2Édité par L’Association, collection « Éperluette », 1997 (NDLR).

[3Avec Julia Bax, Le Lombard, 2016 (NDLR).

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.


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