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Brève rencontre avec : Jean-Paul Jennequin, auteur, traducteur et éditeur de bandes dessinées

13 septembre 2021 3 Commentaires
✍ Jean-Paul Jennequin ✏️ Jean-Paul Jennequin à partir de 13 ans France 🛒 Acheter

RENCONTRES ESTIVALES #22. Jean-Paul Jennequin est l’un des meilleurs connaisseurs, en France, de la bande dessinée américaine. Non seulement il l’a lue et commentée, notamment au sein de la revue Scarce, mais il en a traduit quelques pièces maîtresses, telles From Hell d’Eddie Campbel et Alan Moore ou Black Hole de Charles Burns. Il est lui-même auteur et éditeur, se consacrant à l’autobiographie comme à la fiction, souvent en lien avec le mouvement LGBT, parfois seul, souvent en collectif.

Votre travail personnel s’articule autour d’un volet autobiographique et d’un autre lié au mouvement LGBT. Comment les deux se développent et quelles sont leurs relations ?

J’ai toujours réalisé mes propres bandes dessinées pour pouvoir y mettre ce que je ne trouvais pas dans celles faites par les autres. C’est pour cela que j’ai animé mon zine Bulles Gaies de 1989 à 1997 : je ne voyais pas en France d’équivalent à ce que faisaient les Américains avec Gay Comix [1], Oh !…, Boy Trouble, etc. Mais j’y faisais de la fiction. J’intégrais souvent à mes récits des choses que j’avais moi-même vécues, néanmoins ça restait de la fiction.

Brève rencontre avec : Jean-Paul Jennequin, auteur, traducteur et éditeur de bandes dessinées
"Bulles Gaies", Jean-Paul Jennequin, 1994.

L’autobiographie s’est développée tardivement, sous forme de petites notes en bande dessinée. C’était à la fin des années 1990, je suivais de près ce qui se faisait en bande dessinée indépendante, des auteurices comme Jo Manix, Jean-Christophe Menu, Lewis Trondheim, Nylso, Laurent Lolmède, John Porcellino, et j’avais des envies de graphismes plus simples que dans mes bandes dessinées habituelles. J’ai publié ça dans un zine photocopié, Improbablement, tout en me rapprochant aussi de structures comme la revue Stéréoscomic ou les éditions Groinge [2].

"Improbablement", Jean-Paul Jennequin.

C’est ainsi que j’ai participé au projet « Le Mois de… » qui consistait à faire chaque jour pendant un mois une page de bande dessinée autobiographique [3]. Là, j’ai un peu touché les limites de ce que je me sentais en mesure de présenter au monde : mon compagnon était atteint de la maladie d’Alzheimer, le mois que j’avais choisi s’est trouvé être celui où mon chien, qui était malade, a fini par mourir… Tout cela remuait des trucs un peu trop à vif. Mais d’un autre côté, ça restait cohérent avec mon travail en bande dessinée LGBT parce que c’était aussi le quotidien d’un couple gay atypique (mon compagnon avait trente ans de plus que moi) et en même temps terriblement banal dans sa vie de couple.

Jean-Paul Jennequin
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Ça, c’était dans les années 2000. Dans les années 2010, je me suis réinvesti dans la bande dessinée LGBT de fiction avec l’association que j’ai créée pour promouvoir les artistes et représentations LGBT dans la bande dessinée, qui s’appelle donc logiquement LGBT BD, et en particulier dans son magazine La Revue LGBT BD. Mais j’ai aussi cédé aux sirènes de l’autobiographie à la demande de l’ami Jérôme Gorgeot qui m’a proposé de participer à sa revue Egoscopic. Mais pour lui, j’ai tendance à parler plutôt du passé, avec lequel une distance a eu le temps de s’établir.

Couverture du n° 6 de "La Revue LGBT BD", dessinée par Michaël Bosquier, 2018.

En tant qu’auteur et observateur, quel est votre regard sur la bande dessinée LGBT en France, sachant que, même si le marché de la bande dessinée est déjà très « sectorisé », nous ne sommes pas comme au Japon avec des genres aussi précisément définis ? En essor ? Invisibilisée ?

Dans ma notule sur l’homosexualité dans Le Bouquin de la bande dessinée [4], j’écrivais que « (l)a génération des jeunes auteurs français qui apparaît dans les années 2000 et 2010 (…) se méfie des étiquettes et (que) ses membres cherchent d’abord à être reconnus en tant qu’auteurs plutôt que de se voir coller l’étiquette d’« auteurs gays » ou « auteurs de BD LGBT », s’inscrivant plutôt dans une mouvance « queer » qui ne dit pas son nom. »

Et j’ajoutais : « Néanmoins, leur succès (en particulier celui de Julie Maroh avec "Le Bleu est une couleur chaude" [5]) est le signe que les éditeurs franco-belges s’ouvrent depuis quelques années aux thématiques et aux personnages LGBT. » Alors, en essor, oui, certainement, mais dans une certaine mesure moins visible parce que la thématique LGBT y est rarement, voire jamais, envisagée comme un élément fédérateur, chacun(e) faisant son chemin de son côté.

Et s’il est clair qu’elle n’est plus tabou, comme elle l’était quasiment dans les années 1980, l’énorme nombre de sorties fait qu’elle est un peu noyée dans la masse.

Quelques mots sur votre actu ou pour signaler le travail d’auteurs-autrices que vous aimeriez faire partager ?

La crise du Covid-19 a mis La Revue LGBT BD en stand-by, car à quoi bon publier une revue si on ne peut pas aller la vendre dans les festivals BD ? Cela m’a amené à me concentrer sur mes projets personnels. En 2020, j’ai auto-édité Drôles de journées, un recueil d’histoires courtes parues dans divers fanzines et revues au fil des ans, auquel j’ai ajouté un récit inédit.

Au mois de mai dernier est sorti chez Casterman Stuck Rubber Baby, une nouvelle version du roman graphique de Howard Cruse que j’avais traduit en 2001 pour les éditions Vertige Graphic sous le titre Un Monde de Différence. En retravaillant ma traduction, je me suis rendu compte que ce livre était plus que jamais d’actualité mais aussi, tout simplement, l’un des chefs-d’œuvre du roman graphique contemporain. J’espère que de nouveaux lecteurs vont le découvrir et d’anciens lecteurs le redécouvrir.

Enfin, ces jours-ci sort le tome 2 de l’anthologie gay porno TTBM aux éditions Dynamite, dans lequel j’ai réalisé une bande dessinée un poil (!) plus explicite que ce que je fais d’habitude sur ce que font deux messieurs d’âge mûr dans leurs moments de détente. C’est impressionnant de voir son travail publié à côté de ceux d’auteurs de référence comme Gengoroh Tagame, Fabrice Neaud, Pochep, Patrick Fillion, David Cantero ou Sebas Martin.

Stuck Rubber Baby © Howard Cruse / Casterman 2021

FH

Propos recueillis par Frédéric Hojlo.

En médaillon : couverture de Drôles de journées, Jean-Paul Jennequin, 2020.

Stuck Rubber Baby - Par Howard Cruse - Casterman - traduction de l’anglais (États-Unis) par Jean-Paul Jennequin - 18,5 x 25,8 cm - 248 pages en noir & blanc - couverture souple - parution le 19 mai 2021 - 22 € - acheter cet ouvrage chez Cultura.

Lire également sur ActuaBD :
- Histoire du Comic Book - Jennequin - Vertige Graphic
- Homos en bulles
- Angoulême 2009 : Une visibilité pour les gays
- LGBT BD passe à la vitesse supérieure

Voir en ligne : Consulter le site de "La Revue LGBT BD".

[1Série de bandes dessinées underground éditée entre 1980 et 1998 réalisée par et pour des femmes et des hommes homosexuels (NDLR).

[2Maison d’édition niçoise fondée par Fafé et Big Ben connue principalement pour son fanzine Le Phacochère publié de 1992 à 2003 et son fanzine critique Comix Club publié de 2004 à 2010 et dont Jean-Paul Jennequin a été rédacteur en chef de 2006 à 2010 (NDLR).

[3Douze volumes édités par Groinge en 2005-2006 (NDLR).

[4Sous la direction de Thierry Groensteen, Robert Laffont / Cité internationale de la bande dessinée et de l’image, 2020.

[5La bande dessinée éditée par Glénat en 2010 a inspiré le réalisateur Abdellatif Kechiche pour son film La Vie d’Adèle, Palme d’or au Festival de Cannes 2013 ; Julie Maroh se définit aujourd’hui comme transgenre et non-binaire et signe dorénavant Jul’ Maroh (NDLR).

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.


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