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Massacre au pont de No Gun Ri - Park Kun-woong & Chung Eun-yong - Coconino Press/Vertige graphic

Par François Peneaud le 5 avril 2007                      Lien  
Un document-fiction sur des exactions commises par l'armée américaine au début de la Guerre de Corée. Insoutenable et indispensable.

Fin juillet 1950. Les troupes nord-coréennes semblent invincibles, et leur avancée vers le sud de la péninsule pousse de nombreux civils sur les routes. L’armée américaine n’est pas en très bonne posture, et craint la présence dans les colonnes de réfugiés de soldats nord-coréens. Est-ce cela qui la décide à faire feu sur plusieurs centaines d’hommes, de femmes et d’enfants au pont de No Gun Ri ? Les circonstances, et l’existence même du massacre, sont maintenant âprement discutées, après 50 ans de silence.
Du côté des Américains, cet « incident », ainsi que l’a qualifié le président Clinton en 2001, a fait parler de lui suite à un article de 1999 qui a remporté le prix Pulitzer [1].
L’auteur coréen Park Kun-woong (Fleur, chez Casterman) adapte aujourd’hui sur 600 pages un roman de Chung Eun-yong écrit en 1994.

Fin juin 1950. On découvre un homme, sa femme et leurs deux jeunes enfants ; une famille heureuse comme tant d’autres, qui va être emportée par le flot de l’Histoire, victimes innocentes du combat sans pitié entre les forces communistes et celles soutenues par les États-Unis.
Le premier quart du livre suit leur fuite devant l’avancée de l’armée nord-coréenne, la désillusion grandissante de la population face à l’impuissance de leurs soldats et de la réputée toute-puissante armée américaine, et les difficultés grandissantes des interminables colonnes de réfugiés chassés de leur terre, ne voyant leur salut que vers le Sud, partie du pays encore épargnée par les combats.
L’homme est un ancien policier. Sous la menace d’une exécution sommaire s’il lui arrivait de tomber entre les mains de l’ennemi, il est contraint de fuir sans sa famille, qui va donc se trouver à No Gun Ri pendant ces journées de la fin du mois de juillet. Tous n’en reviendront pas vivants, et aucun n’en sortira indemne.

Massacre au pont de No Gun Ri - Park Kun-woong & Chung Eun-yong - Coconino Press/Vertige graphic

La structure narrative adoptée est intéressante : le lecteur découvre le massacre à travers le récit d’une personne survivante, qui détaille ces journées et ces nuits où, tirés comme des lapins, les réfugiés entassés sous un pont perdent petit à petit espoir. Ce récit est entrecoupé de témoignages de personnes ayant réellement vécu ces événements, leur nom et leur âge à l’époque étant indiquées. La lecture devient ainsi de plus en plus insoutenable, avec ces détails de personnes abattues devant les leurs, de membres déchiquetés par les bombes, de mourants et de morts laissés à l’abandon.

La colonne de réfugiés

Le style de dessin de l’auteur rend-il les choses plus faciles ? On peut en douter. Il a quelque chose de naïf et semble plus fait pour décrire une vie paisible et bucolique (ce qu’il fait d’ailleurs superbement dans les moments de calme). Les horreurs représentées prennent alors un relief d’autant plus frappant, et l’on ressent le même genre d’écœurement face à cette violence que celui que pouvait faire naître le style d’Osamu Tezuka appliqué à des histoires comme Ayako ou MW.

Massacre au pont de No Gun Ri, qui devrait être suivi d’une deuxième tome, est un document historique qui vous prend aux tripes, d’autant plus que la partie fictionnelle est elle aussi convaincante. L’amoralité de la guerre, le mépris par les gouvernements des conventions en faveur des droits de l’homme qu’ils ont eux même signées, la capacité de l’être humain à nier l’humanité de celui qui lui fait face, tous ces thèmes ont déjà souvent été abordés dans la fiction. Cet album est une pierre de plus à déposer dans un jardin où l’on imaginerait voir se promener une humanité enfin en paix. Il est bien beau de rêver.

(par François Peneaud)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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[1La version originale peut être lue ici, et une traduction en français se trouve sur ce site. Le site Wikipédia propose un long article sur le sujet ici - à lire avec précaution, comme d’habitude.

 
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