La Ferme du Buisson était -ce qui est rarissime- sous la pluie hier après-midi mais on vous rassure : le plein soleil est prévu pour ce week-end (n’oubliez pas de voter au passage). Cette ferme est un ancien complexe agricole et paysan transformé en centre culturel, décoré avec humour et goût, dans lequel se répartissent des lieux d’exposition, un théâtre, un cinéma, une médiathèque et un centre d’art contemporain. C’est à un quart d’heure de Paris sur la ligne A du RER à Marne la Vallée.
Nous étions accompagnés dans notre visite par Zainab Fasiki, une passionnante personnalité de la scène BD marocaine et figure de la culture Queer [1] dans son pays (récente récipiendaire du Prix « Couilles au cul » dont nous sommes partenaires, bientôt une interview vidéo dans ces pages) et nous avons eu la chance d’avoir comme guide le directeur du festival, Vincent Esches, qui devrait prendre à partir du mois de juillet la direction de la Cité de la bande dessinée à Angoulême.
Évidemment, vu la qualité de notre invitée, nous fonçons vers la « Piscine » où a lieu l’exposition Femzine sur la presse BD féministe (elle est visible jusqu’au 15 mai 2022) et là, surprise, nous découvrons un énorme clitoris façon Jeff Koons, tandis qu’une boite de bonbons-clito s’offre aux visiteurs. Le ton est donné. Sur les murs des originaux de Nicole Claveloux, de Chantal Montellier et aux murs des dizaines de documents retraçant le combat féministe dans la BD, des premiers Wimmen’s Comix des années 1970, à la revue Ha ! Nana publiée en 1976, dont quelques autrices d’aujourd’hui ont imaginé des couvertures.
On y voit aussi celle du dernier numéro sur l’inceste interdit par la censure sous couvert de la Loi de 1949 pour la protection de la jeunesse. Une décision de justice qui interpelle alors qu’à la même époque, les couvertures de Hara Kiri ou de Charlie Hebdo étaient quelquefois bien plus outrancières. On évoque bien évidemment des créations plus contemporaines comme celles d’Allison Bechdel et d’autres, soit au total 203 autrices -pas seulement underground, comme ce buste de Marianne, ce symbole de la république interprété par Florence Cestac (il y en a trois exemplaires dont un à la mairie d’Angoulême) qui clôt l’expo sur un espace « Femzine » où des autrices feront durant le festival leurs fanzines en direct.
Vient l’inauguration. La pièce maîtresse du festival est bien évidemment l’exposition « Obsessions » de Lorenzo Mattotti dans la grande Halle. Cet impressionnant espace permet d’ouvrir sur une longue perspective d’œuvres en noir et blanc tirées de son « Roland furieux » qui aboutit à des œuvres en couleurs qui se répartissent dans diverses pièces ventilées par des thématiques qui traduisent bien les « obsessions » de l’artiste. Une myriade d’œuvres en grands et petits formats, sur des supports divers, illustre bien la diversité et la puissance créatrice de l’artiste dont les séries et leurs variations résument bien sa démarche : du trait précis des années 1980, on le voit évoluer vers des surfaces de plus en plus grandes où les couleurs s’accordent en d’imposantes pièces symphoniques à la gamme chromatique relativement constante, mais qui sont autant de moments de sidération, de divines surprises.
Un détour par les écuries nous fait voir des box-installations de Fanny Michaëlis, Mädchen Corpus, tandis qu’en face, Alice Guy, la grande cinéaste des débuts du cinéma réhabilitée par Catel et José-Louis Bocquet, retrouve ses machines, ses studios et son théâtre pour des évocations ludiques, comme cette scène de la Fée aux choux, un film de 1895, devenue un espace à selfies.
Enfin, dans le Caravansérail, Typex règne en maître avec l’expo « Andy Warhol – I’ll Be Your Mirror », où des peintres œuvrent sous vos yeux avec des pots de peintures au sol (attention aux pieds !), un peu comme si l’exposition était en train d’être installée. Ce n’est pas parce que les décorateurs sont à la bourre, c’est cela le concept : vous faire entrer dans la Factory du maître du Pop Art, dans un Work in Progress.
L’inauguration s’achève sur les Prix Pulp du public pour une première œuvre établi en partenariat avec le réseau des librairies Librest, avec deux lauréats cette année, histoire de récupérer la parenthèse Covid-19 :
Il s’agit de Maylis Vigouroux, pour La Manticore publiée chez Quintal Atelier, un roman graphique imprimé en risographie mettant en scène une princesse héritière se faisant passer pour un garçon pour ne pas être exterminée. Un schéma classique pour un récit sur le genre inspiré des miniatures persanes et de la tradition orientale mais dont le parcours offre des ruptures narratives intéressantes.
L’autre lauréat est Baptiste Deyrail pour Le Pas de la Manu (Actes Sud / L’An 2). La technique graphique est cette fois celle du monotype sur zinc. Le sujet est « la Manu », la manufacture d’Armes de Saint-Étienne au travers d’un héros ajusteur sur les culasses du fusil MAS49. Une vie en usine minutieusement restituée, héritière du taylorisme, dont l’importance décroît avec les ans, entre Guerre d’Algérie et mondialisation, jusqu’à sa fermeture en 2001, laissant quelque 11 000 ouvriers sur le carreau.
Des choix « pointus » cependant portés par des récits forts bien dans l’air du temps.
Voir en ligne : Voir le programme complet
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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La Ferme du Buisson allée de la ferme, 77186 Noisiel Noisiel La Remise aux Fraises Seine-et-Marne
Acheter La Manticore publiée chez Quintal Atelier
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Photos : D. Pasamonik (L’Agence BD)
[1] Attitude défendant la communauté LGBT+. NDLR
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