Bébé Fille - Par Elisa Marraudino - Même pas mal

Le principe humoristique utilisé par l’autrice, assez classique, consiste à revisiter ses aventures enfantines, fruits de l’incompréhension du monde des adultes et qui prennent une saveur toute particulière avec le recul. Qui ne se reconnaîtra pas dans la prière intéressée pour retrouver un jouet perdu en ultime recours, comme si c’était l’enjeu le plus important du monde ? Ou dans la découverte de la sexualité, sous ses diverses formes plus ou moins surprenantes, qu’elle soit hétérosexuelle, homosexuelle ou onaniste ? Toutes ses petites aventures sont contées dans l’espace d’une page à la composition systématique en 6 vignettes carrées de tailles identiques, l’ensemble surmonté d’un titre.

Bébé Fille © Elisa Marraudino / Même pas mal 2022

Mais l’autrice va un peu plus loin que le simple enchaînement de petites scénettes indépendantes les unes des autres. Au fil des pages, nous découvrons Elisa, le personnage de l’album, à différentes périodes de sa vie, au gré de ses expériences plus ou moins marquantes, à travers le regard d’Elisa Marraudino, devenue adulte. L’autrice se permet ainsi quelques aller-retour dans le temps, montrant la construction individuelle comme un tout sans pour autant suivre une trajectoire linéaire. Son intérêt précoce pour le dessin prend évidemment une place particulière dans son récit. Source de joie et de frustration, il apparaît progressivement comme un moyen d’expression privilégié et montre ainsi à quel point l’ouvrage que nous avons en main s’inscrit dans le parcours de Marraudino, à la manière d’une mise en abyme, sous forme d’auto-dérision, de sa propre histoire.

Le cadre familial occupe également une place centrale. Il faut dire que l’autrice a une véritable capacité à souligner, avec humour, les petites particularités qui font le piment de chaque famille. La sienne, italo-vosgienne, s’y prête plutôt bien. Les frasques et rituels de la famille italienne du côté paternel ainsi que le running gag des mésaventures dues à l’accent s’avèrent particulièrement cocasses. La première page du livre donne le ton : pour son père, Elisa sera Stronza [1] dont elle ne découvrira que plus tard la signification !

Bien que l’autrice revendique ce ton humoristique, elle s’autorise par ailleurs à raconter des moments plus tristes, mais pas moins marquants ; comme la noyade à laquelle son frère a échappé de peu ou la maladie de sa mère dont elle, elle, ne réchappera pas.

Bébé Fille © Elisa Marraudino / Même pas mal 2022

Une des grandes forces de Bébé Fille est d’aborder chacun de ses sujets sans forcer le trait ni édulcorer les événements. Les sujets sont traités de manière factuelle mais pas désincarnée. Le vocabulaire, populaire, parsemé de quelques grossièretés, sans être vulgaire, renforce ce sentiment et laisse entrevoir le regard actuel que l’autrice porte sur ses expériences passées.

L’expressivité des personnages donne vie au récit. Les visages occupés par de grands yeux rappellent un dessin type manga mais en proposent une interprétation personnelle. Ils donnent à voir des individus ouverts sur un monde qu’ils contemplent d’un regard étonné. Les bouches des personnages jouent également un rôle important pour exprimer la surprise, la joie ou la déception des personnages et prennent toute leur place quand ils se parlent. L’usage d’un lavis de gris tirant sur le violet apporte une touche chaleureuse aux protagonistes portés par un trait fin et précis.

La forme de petites histoires à la mise en forme répétitive peut présager un ensemble de gags plus ou moins percutants, mais il ne faut pas s’y tromper ! Derrière le clown qu’Elisa Marraudino utilise comme l’aboutissement de sa trajectoire, se cache le récit sensible de sa propre histoire et un témoignage qui ne laissera pas le lecteur indifférent.