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Sous les pavés (de lecture), la plage...

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 29 juin 2005                      Lien  
La sociologie distingue deux types de vacanciers: ceux qui ont l'impression qu'ils perdent du temps dans ces périodes de vacances et ceux, plus lymphatiques, qui bronzent au soleil. On peut réconcilier les deux en leur proposant des pavés de lecture. Parmi ceux qui viennent de paraître, quelques-uns sont de la première importance.

Sous le titre d’un morceau de jazz de Duke Ellington (« la chanson fétiche du groupe de jazz de mon père » nous dit Joann Sfar), nous découvrons la suite des carnets de l’auteur du Chat du Rabbin. Nos lecteurs savent l’intérêt que nous portons à cet auteur capital. Ses carnets sont dessinés et parcourus par une écriture ronde, presqu’enfantine. Même s’ils abordent parfois des thèmes qui relèvent de l’intime (on sait maintenant quelle couille dépasse l’autre et comment il fait sa toilette), ce n’est pas un journal détaillé, une comptabilité des faits et gestes du dessinateur. C’est un objet artistique en soi, sur le ton d’une conversation privée entre un auteur et son lecteur.

Blake et Mortimer ?

Sous les pavés (de lecture), la plage...
Caravan de Sfar
(L’Association)

Ces 848 pages très bien éditées commencent précisément à l’été 2003 et s’achèvent l’été suivant. Entre les deux, tous les évènements de la vie de Sfar sont égrenés avec bonhomie et sincérité : les premiers pas de son fils Raoul, ses conversations avec Charlélie Couture, avec son maître et complice Pierre Dubois, son apprentissage de la musique, ses incursions dans les séances de pose de l’Académie des Beaux-Arts, la proposition de son Blake et Mortimer qu’il a faite conjointement avec Emile Bravo aux Editions Dargaud (« C’est dans les tiroirs de Dargaud, pour longtemps sans doute, dit-il »), sa tentative de port de la moustache, sa femme, son beau-père, Tintin au Congo, sa rencontre avec Quentin Blake, avec Spiegelman qu’il est allé interviewer à New-York, ses amis Emmanuel Guibert ou Riad Sattouf (ce dernier traîné devant une commission de censure digne des pires commissions de la Loi de 1949, pour son album La Circoncision paru chez Bréal), sa collaboration à Charlie Hebdo, sans parler de son grand-père ashkénase, grand dragueur devant l’Eternel, ou encore de Mangeclous, le personnage d’Albert Cohen, qui viennent s’immiscer dans ses rêveries.

Sfar et le judaïsme

Pas étonnant que ce dernier auteur soit une des références cardinales de Sfar. Comment peut-il ne pas se sentir concerné par ce que celui-ci écrivait dans Belle du Seigneur : « Ici, dans cette chambre, il a le droit de faire ce qu’il veut, de parler hébreu, de se réciter du Ronsard, de crier qu’il est un monstre à deux têtes, un monstre à deux coeurs, qu’il est tout de la nation juive, tout de la nation française. Ici, tout seul, il pourra porter la sublime soie de la synagogue sur les épaules et même, si ça lui chante, se coller une cocarde tricolore sur le front. » Car les rapports de Sfar au judaïsme sont longuement détaillés dans Caravan. De l’incompréhension devant certains comportements communautaires (« Dois-je dire toute la perplexité que m’inspire les activités communautaires » écrit-il) à son indignation vis-à-vis des actes antisémites. Celui qui a pu dire « Je suis pratiquant mais pas croyant » réaffirme son idéal laïc : « Rien de plus beau que la laïcité » écrit-il. On le voit, chez Sfar, il n’y a pas de sujet tabou : sexe, religion, politique. L’exercice n’est pas sans risque comme lorsque sa grand-mère, ayant lu le dernier opus du petit-fils, découvre dans ses écrits les coucheries (supposées) de son mari ; ou encore lorsque Fabrice Neaud sur un forum BD pointe le doigt sur l’autosatisfaction petite-bourgeoise de ce genre d’écrit. Le parcours est en tout cas passionnant et il est impossible de goûter pleinement l’œuvre de Sfar sans ce détour incontournable.

Le Tour de France et d’ailleurs de Jean Teulé

Gens de France et d’Ailleurs
par Jean Teulé (Ego comme X).

Jean Teulé avait commencé la BD il y a très très longtemps et avait même reçu un Prix de la Critique, le premier en fait, à Angoulême il y a un peu plus de vingt ans. Il l’avait abandonnée depuis pour faire le ludion avec ses tendres reportages sur les ondes de Canal Plus puis pour se consacrer à la littérature (il achève actuellement son troisième roman après avoir fait une percée remarquée avec Rainbow pour Rimbaud). Gens de France et d’Ailleurs (Editions Ego Comme X) est la réunion des deux albums parus chez Casterman il y a près de quinze ans, augmentée de 18 récits inédits. C’est un peu à la BD ce que Strip-Tease est à la télévision, un reportage empathique fait de photographies et de dessins, où l’auteur rencontre toute une série d’allumés. L’aventure est passionnante narrativement et esthétiquement. Les amateurs de BD noteront le passage de Philippe Druillet qui taillait encore sa barbe comme dans ses premiers films de vampires réalisés par Rollin, la présence d’un Mitterand infatué accompagné de Jack Lang au festival d’Angoulême. Une édition très soignée agrémentée d’un signet bleu-blanc-rouge. Notons que ce « reportage en BD » a été réalisé quinze ans avant que ce soit la mode ; il fallait que ce soit dit, et publié. Bravo à Ego comme X.

Un album éveillé

Quoi de neuf ? Molière ! répondait Sacha Guitry. Quoi de neuf ? Tezuka, répondrait l’amateur de BD. Depuis plusieurs années, les éditeurs français découvrent Tezuka après l’avoir superbement ignoré. Il se publie chaque année plus de 10 volumes ayant trait à son travail et le cap des 100 albums publiés va être atteint, sans compter ses films qui commencent à devenir disponibles en DVD. Chaque nouvelle œuvre renouvelle notre surprise et notre ravissement. Les éditions Tonkam viennent de republier dans une belle édition cartonnée l’un des opus majeurs du maître d’Osaka : La Vie de Bouddha. Si l’on devait confier la vie de Jésus à un auteur de BD, il y a beaucoup de chance qu’il produise une hagiographie ennuyeuse tant la pesanteur de la tradition saint-sulpicienne et les interdits qui entourent la religion sont habituellement des freins pour un créateur. Il faut qu’un auteur ait la foi, comme cela a pu être le cas pour Jijé, pour que se produise une œuvre un peu inspirée.

Bouddha de Tezuka
Une oeuvre éveillée (Editions Tonkam)

Pas chez Tezuka. Le Dieu des Mangas a su produire avec Bouddha un travail qui est avant tout un roman passionnant (8 volumes de 300 pages, quand même) au rythme haletant, multipliant les coups de théâtre, mêlant la plus profonde réflexion humaniste avec un sens de la psychologie rarement rencontré dans une BD. Ce n’est pas une œuvre d’érudit. Au contraire, ceux qui ignorent tout du Bouddhisme trouveront là une très agréable transposition de son message spirituel dans un texte simple et un dessin quasi-naïf d’une lumineuse clarté. Dans cette nouvelle édition, conforme à l’édition luxe japonaise, les premières pages sont en couleur. Trois volumes ont paru, un bonheur de lecture. Avec Tezuka, même perclus de sommeil, vous resterez éveillé.

Comme on le voit dans ce choix éclectique, la BD peut agréablement accompagner les vacances, à condition de rester sur place, car chacun de ces pavés pèse son poids, et pas seulement de mots. Pour ceux que la sélection rebuterait, sachez que des intégrales de Ric Hochet ou de Buck Danny, ainsi que de la plupart des grandes séries classiques de l’univers de la BD franco-belge sont également disponibles.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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