Un récit très difficile à suivre et dont le thème dominant semble être la confusion entre les protagonistes et leur lourd passé. Les personnages sont mal définis par une intrigue décousue se déroulant dans un décor inachevé. Un passé obsédant (qui se retrouve dans un procès embrouillé), une politique embarrassante et des situations individuelles indéterminées. Dans les premières pages de l’album, l’extrait du début de la lettre d’une des victimes qui essaie d’expliquer son cas, résume bien le scénario obscur : « Je viens de me souvenir que j’avais une chose à faire. Une chose que j’avais dû faire... » La carence lexicale du mot « chose » ne crée pas un intérêt croissant et rend la lecture embarrassante.
Dire que le scénario laisse à désirer serait un euphémisme. Le titre un peu vide de la série Tard dans la nuit, donne le ton pour une lecture qui nous plonge dans un univers d’une grande noirceur sans fin. L’abus de têtes parlantes avec de longs dialogues pour étirer le temps dérange. Ces répliques ressemblent trop au texte d’une pièce de théâtre écrite dans un bon français, complètement dépassée. Le scénariste français, Djian, a complètement escamoté le parler québécois qui aurait été de mise ici, ne serait-ce que pour donner une couleur locale totalement absente dans ce récit. Celui-ci semble pourtant se dérouler au Québec.
Mais le plus incompréhensible, c’est de ne plus retrouver le talent du dessinateur québécois, VoRo, diplômé en graphisme du collège de Rivière-du-Loup. Même si ce dernier abandonna ses études à l’École de BD de Saint-Luc en Belgique, à cause des « méchants » professeurs trop exigeants, il se débrouilla très bien pour nous offrir en 2001 une libre adaptation du roman La Mare Au Diable de George Sand, publiée aux éditions Mille-Îles. Cet album, mûri durant plus de deux ans de travail, nous offre une forte vision poétique emplie de décors envoûtants et de créatures étranges. Le dessinateur, en plein épanouissement graphique, aurait dû étoffer son graphisme particulier dans le genre fantastique.
Le dessin réaliste de Tard Dans la Nuit dévoile un travail incomplet par rapport aux œuvres précédentes : décor dépouillé non par économie visuelle mais visiblement par manque de documentation solide sur l’époque, les costumes et autres bâtiments. Les expressions de visages figées, avec des yeux fixes ou vides, démontrent les lacunes en anatomie. Les architectures de maisons similaires souffrent d’un manque de notions élémentaires en perspective et en composition. Le manque d’assurance dans le dessin réaliste se trahit par l’abus de plans rapprochés et de gros plans de visages. Les séquences s’enchaînent dans les mêmes tons monotones de gris et de brun, sans alternance chromatique. Une seule séquence de violence à la fin se distingue par le soin apporté au ciel devenu rouge, en parfaite harmonie avec la narration.
Les sorties en dehors du village dénotent un effort pour tenter de suggérer la nature québécoise avec ses animaux typiques tels un renard, un tamia, des corbeaux, des chevreuils... Ces scènes animalières semblent tirées de manuels scolaires, d’où leur aspect un peu « cartes postales », pour ainsi dire « empaillé » et figé. Un récit qui ressemble anachroniquement aux premiers feuilletons de la télévision québécoise, où le manque de budget et d’expérience offrait toujours les mêmes huis clos, les mêmes costumes pour tous les personnages et les mêmes meubles d’une pièce à l’autre. L’artiste prometteur qu’était VoRo en 2001 n’a pas tenu ses promesses et au lieu d’évoluer, il a régressé.
Ce dernier album pose la question de savoir si ce genre de récit conserve un intérêt lors d’une seconde lecture, et plus encore, lors d’une lecture suivie dans une série. Le dessinateur semble prisonnier d’un scénario imposé et qui manque de conviction personnelle, d’originalité et de crédibilité. Tout ce que l’on peut espérer et souhaiter, c’est que cette situation demeure passagère et que VoRo nous réserve encore un album savoureux, intrigant et merveilleux, à la mesure de son talent graphique indéniable. Il a fait beaucoup mieux seul, comme scénariste et dessinateur.
(par Richard Langlois)
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