Romans Graphiques

Tati et le film sans fin : l’art du clown

Par Stéphane GROBOST le 3 mai 2023                      Lien  
Jaques Tati est le cinquième réalisateur à voir sa vie croquée dans la collection 9 ½ des éditions Glénat : une poétique mise en abyme de son art si singulier de capter le vivant et de nous faire à la fois rire et réfléchir.

Tati a su inventer un univers à part qui a séduit et influencé bon nombre de réalisateurs (voir l’hommage rendu page 131 avec entre autres Spielberg, Allen et Lynch). En seulement six films, il est devenu un des maîtres incontestables du 7e art : il reçoit le César du cinéma en 1977 pour l’ensemble de son œuvre avant de s’éteindre en 1982 en laissant plusieurs projets inachevés (dont L’illusionniste qui sera adapté en film d’animation en 2010 par Sylvain Chomet).

Arnaud Le Gouëfflec signe son deuxième scénario dans la collection après celui assez décalé de Lino Ventura : sa construction en flashback à partir du tournage rocambolesque des Vacances de Mr Hulot emporte le lecteur dans l’esprit créatif de l’artiste et met aussi en lumière le rôle-clef de certains de ses assistants (dont la scripte Sylvette qui prend des notes qui s’avéreront fort utiles).

L’amitié de Tati avec le clown réalisateur Pierre Etaix et le scénariste Jean-Claude Carrière est très justement évoquée : c’est un homme de troupe dont le rapport au cirque et au sport est fondateur de sa conception toute particulière du cinéma. L’exgèse philosophique est subtilement moquée avec l’intervention de deux avatars des Duponts que Tati s’empresse de fuir…

Olivier Supiot croque avec justesse l’homme au-delà de la légende. Il prolonge l’atmosphère drolatique et enjouée de ses films par un dessin parfois naïf mais toujours dynamique à la limite, certaines fois, de la caricature. Cet illustrateur à l’aise autant dans les publications pour enfants (Marie Frisson, Clebs) que pour adultes (la Patrouille des Invisibles sur les horreurs de la Grande Guerre) rend parfaitement la dynamique du mouvement propre à l’acteur-réalisateur en variant les cadrages et la mise en couleur, il donne à Tati l’air malicieux d’un éternel ado à la poursuite de ses rêves en osant des pleines pages très oniriques et surréalistes.

Tati et le film sans fin : l'art du clown

Le fil d’Ariane de l’histoire tient à la capacité qu’a eu Tati de suivre son rêve majeur : devenir clown (à l’image de Keaton Lyold et Little Tich) en inventant des gags sous ses multiples casquettes : mime, acteur, scénariste, réalisateur…
Destiné à reprendre l’entreprise familiale, il fut un élève médiocre mais a su aiguiser son sens de l’observation pour saisir les situations burlesques du quotidien. C’est ce regard sur le monde qu’il va sublimer dans le music-hall dès les années 30 puis avec son premier coup d’essai Jour de fête en 1949.

Comme Orson Welles est un cinéaste démiurge qui contrôle tout sur le tournage (hormis la couleur à deux reprises) à tel point que renonçant aux sirènes d’Hollywood, il préfère se lancer dans le projet titanesque de Playtime (1967) allant jusqu’à concevoir une ville-décor qui causera sa ruine : suite au bide du film (devenu culte depuis) il perdra sa maison de production et les droits de ses propres œuvres avant de repasser derrière la caméra dans les années 70 qui se conclura par un ultime hommage au monde du cirque et de l’enfance (Parade en 1974).

Les deux auteurs nous donnent à voir l’importance de Monsieur Hulot, alter égo culte de Tati : un anti-charlot à la pipe qui fait corps avec Tati devient récurrent et emporte le public avec son 3e long-métrage, Mon oncle (1958).

Avec ce roman graphique, on touche à la singularité de l’approche qu’a eu Tati du 7e art : un art de la mise en scène qui participe du sport, de la danse, de la satire et du tableau vivant. Sans oublier de privilégier le geste aux dialogues, et de porter un intérêt tout particulier au son tel un véritable chef d’orchestre.

(par Stéphane GROBOST)

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Code EAN : 9782344042885

Tati et le film sans fin - par Arnaud Le Gouëfflec et Olivier Supiot - Éd. Glénat

Glénat ✍ Arnaud Le Gouëflec ✏️ Olivier Supiot
 
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