Romans Graphiques

Monstera - Par Simon Roure - Ed. Virages graphiques

Par Christian GRANGE le 13 avril 2024                      Lien  
Même si la surconsommation ne se limite pas aux marques de luxe, voici un album d’une grande sincérité, pointant les contradictions qui surgissent entre les aspirations et les comportements. Second thème de l’album, l'anorexie adolescente/ jeune adulte et plus globalement, l'image de soi, le rapport au corps est pertinente voire percutante. 

Pour sa deuxième année d’existence, la collection Virage graphique poursuit son ancrage contemporain et la volonté de raconter le monde d’aujourd’hui à travers un regard individuel.

Monstera - Par Simon Roure - Ed. Virages graphiques
Manifestation
Même représentation graphique du personnage (et double de l’auteur) que dans l’album Hors cadre. L’énorme "Bong" en case 3 annonce les affrontements à venrir avec la police.

Monstera, monstre, montrer
Monstera vient du mot latin “monstrum” qui signifie monstre, monstrueux ou anormal.
L’album de Simon Roure interpelle d’abord par son titre : Monstera.
Selon des sites de jardinages, le monstera deliciosa est une des plantes d’intérieur les plus vendues, l’une des plus résistantes et faciles à cultiver, disposant d’un feuillage unique et produisant abondamment des racines aériennes. Le lecteur devra réfléchir quant au lien de cette plante avec les personnages de la BD. Les trous qui apparaissent dans les feuilles ? La résistance de cette plante ?

Ensuite la couverture, plutôt réussie puisque représentatif de l’album : dans une station du métro parisien (plus précisément, la station Invalides - est-ce un hasard ?-), un personnage de dos, seul sur le quai (ce qui arrive rarement dans la réalité) lève le visage vers une affiche publicitaire géante. les deux semblent se regarder. La pub semble même toiser le voyageur.

Désir de consommation
Pour dénoncer la surconsommation, le luxe et le mal-être corporel que cela crée, différents publicités sont reproduites.

La BD débute avec un personnage qui marche dans la rue, en discussion téléphonique avec sa mère. Le personnage, minuscule, est surmonté d’affiches géantes et suggestives, l’une pour un parfum, l’autre pour de la lingerie. Une certaine image de la beauté, du désir que doit susciter le corps féminin. Injonctions publicitaires à chaque bouche de métro et sur les façades des immeubles.

Arrivé dans son appartement, il s’écroule plus qu’il ne s’allonge sur son lit. Suivent deux planches muettes, l’une en intérieur, avec un évier rempli de vaisselle et une appli téléphonique permettant de se faire livrer à manger et l’autre en extérieure, où il rejoint un autre personnage sur son skateboard (planche à roulette).

Manifester, faire des maraudes et côtoyer le monde du luxe ?

« Gabriel est un jeune homme assez réservé et plein de convictions. Il est engagé, mais il est aussi aveuglé par le confort que la société lui apporte, car il correspond à la « norme ». Il est jeune, blanc, cis-hétéro [1], grand, fin, beau et il pense s’affirmer plus facilement en profitant de ces privilèges. » S. Roure

Anorexie mentale
Gabriel prend conscience de la souffrance de Lina.

Gabriel, la vingtaine, occupe ainsi ses journées, entre appels téléphoniques de sa mère, figures acrobatique sur son skate, soirées alcoolisées et manifestations pour une autre société.

« Bienvenue chez Apple, Monsieur.
- Y a vraiment un service après-vente ici ? » page 31
« Pas de panique ! Si vous faites votre carte client pour seulement 35 euros, vous bénéficiez d’une remise de 20% » page 32

« Travaille, consomme et ferme-là ! » « De cette société on n’en veux pas ! » (pages 50 et 51)

Il se fait repérer dans la rue par une agence de mannequin. Malgré sa timidité, pour boucler ses fins de mois, il se retrouve à poser et défiler pour des marques de vêtements de luxe. Pourra-t-il rester lui-même ? Et d’ailleurs qui est-il ?

Deuxième album de l’auteur après Hors cadre, en 2023 aux éditons Warum, Simon Roure a voulu, avec Monstera, mettre en avant les marques de luxes car son expérience de mannequin a été marquante. Ce choix subjectif, cette auto-fiction questionne l’image du corps dans la société et ses conséquences sur l’estime de soi, en particulier sur les jeunes adultes.

Accepter de voir le mal-être de l’autre ? Reconnaitre son propre mal-être ?
L’épanouissement apparent de Gabriel dans le mannequinat lui masque la descente aux enfers de Lina qui s’isole, multiplie les activités sportives et s’enfonce dans ses troubles du comportement alimentaire, se faisant vomir après chaque repas et se forçant à s’alimenter de moins en moins.

« Ce sont deux personnes extrêmement liées, mais hantées par le regard des autres à cause d’un système qui privilégie l’image que l’on renvoie, au détriment de tout le reste. » S. Roure

Le récit déroule les deux itinéraires de Gabriel et de Lina l’un vers la célébrité et l’apparence de réussite sociale et l’autre vers le mal-être et l’anorexie mentale. Pourront-ils se retrouver ?

D’autres BD ont abordé cette thématique. On se souvient notamment du sensible Ceux qu’on choisit (par Sarah Winifred Searle aux éditions Jungle, paru en 2022).

Même si le dessin pourra surprendre et le récit sembler parfois s’étirer, Monstera apporte donc sa pierre à l’édifice, tentant le portrait d’une génération à travers celui de deux personnages et celui d’une époque où l’apparence importe plus que l’être, où la société de consommation, devenue obèse, plonge les individus dans une illusion de confort au prix de leur santé mentale.

(par Christian GRANGE)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 978274366320

[1Cis-identité : quand le genre ressenti d’une personne correspond au genre assigné à sa naissance, selon Wikipedia.

Virages graphiques ✏️ Simon Roure à partir de 13 ans Autofiction Bande dessinée du réel chronique sociale
 
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