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Teddy Kristiansen, un artiste moderne

Par François Peneaud le 12 février 2007                      Lien  
La vie, la mort, et l'art. Teddy Kristiansen n'a pas peur d'aborder de grands thèmes dans un album aussi intelligent que beau. Une vraie réussite pour l'artiste danois encore peu connu en France.

Teddy Kristiansen, un artiste moderneDe nos jours, un écrivain vieillissant commence à travailller sur la biographie d’un poète. Cependant, à la suite de l’envoi inattendu d’un colis par une inconnue ancienne maîtresse du poète, il s’intéresse vite à la figure de Philip, frère de la femme disparu pendant la Première Guerre mondiale et ami du poète. Le colis contenant entre autres un journal intime de Philip, l’écrivain se retrouve plongé dans la période troublée précédent le début de la guerre, quand Paris était la Mecque des artistes. Philip, jeune artiste britannique désargenté, y arrive plein d’espoirs. Un amateur commence à le soutenir financièrement, et tout semble possible. Mais les choses se compliquent vite, et Philip semble fuir son mécène. Il s’engagera dans la guerre, pour y mourir comme tant d’autres.

L’auteur danois Teddy Kristiansen signe avec Le Carnet rouge (Soleil) une sorte de thriller psychologique sur fond de guerre et d’art, où les personnages sont portés par leurs espoirs et leurs regrets, leurs réussites et leurs fautes. Que de chemin parcouru pour cet auteur qui travaille depuis le début des deux côtés de l’Atlantique.
Pour ses débuts en album, en 1990, il participe à une première : Superman og Fredsbomben (Superman et la bombe de la paix), écrit par le traducteur Niels Søndergaard, le premier album de Superman réalisé hors USA avec l’accord de DC. Promenant Superman dans les capitales scandinaves, ce sympathique album est dessiné dans un style (et avec une narration) rappelant furieusement le travail de Frank Miller sur Dark Knight, mais version cartoon. Inédit en anglais ou en français, malheureusement.

Kristiansen passe ensuite pour de bon chez les Américains, avec entre autres des boulots sur Tarzan, Grendel [1], pour lequel il réalise un très convaincant travail peint d’une grande expressivité, un one-shot du Bacchus de Eddie Campbell ; un autre superbe one-shot, cette fois-ci pour Vertigo, intitulé Sandman Midnight Theatre, rencontre entre le personnage de Neil Gaiman et celui des années 40 de DC, alors animé au scénario par Matt Wagner, pour arriver en 1996 au lancement de la série House of Secrets chez Vertigo, avec Steven Seagle au scénario, pour 25 numéros (et deux plus gros comics quelques temps après, qui servent plus ou moins d’épilogue) [2]. Une étrange histoire d’une maison habitée par un tribunal surnaturel, qui donna l’occasion à Seagle de varier les époques et les personnages, ainsi que d’expérimenter avec les types de narration. Et son complice dessinateur ne déçoit pas non plus.

Quelques cases du Grendel

En fait, les lecteurs ont pris une belle baffe. Kristiansen développe un style aux antipodes du mainstream américain, clairement influencé par des peintres modernes comme Van Gogh, Picasso ou Munch, et plus largement par des esthétiques tout droit venues de la peinture, plus que de la bande dessinée.

Seagle dessiné par Kristiansen

Il n’est donc pas étonnant que la narration que l’on retrouve dans ce Carnet rouge, sur lequel il a travaillé pendant un long moment et qui suit la publication en 2004 de l’album It’s a Bird [3], soit elle aussi entre illustration et bande dessinée.

Le biographe

Peu de cases (parfois seulement deux) dans ces planches très grand format, mais une création d’ambiance qui fait la part belle aux couleurs et aux effets de matière, des personnages dessinés en quelques traits, et une certaine retenue psychologique caractérisent cette histoire à la puissance émotionnelle certaine.

Scène de guerre

On savait déjà que Kristiansen pouvait écrire. Il avait réalisé de courtes histoires, pour des magazines danois, de beaux petits exercices qui laissaient espérer une capacité à gérer seul un long album (Le Carnet rouge s’étend sur 70 pages). Il construit ici une histoire qui ne répond que petit à petit aux questions soulevées dès le début (pourquoi Philip a-t-il fui son mécène, s’est-il engagé en sachant qu’il risquait fort de ne pas revenir vivant du front ?), tout en en profitant pour aborder au travers de ce trajet singulier des thèmes universels sur la guerre et ses effets. La structure narrative est elle aussi bien tenue : les allers-retours entre la lecture des carnets du peintre et les réflexions du biographe, dont on découvre également les failles, sont d’une grande efficacité pour construire la mosaïque que constitue son album.

Kristiansen avait participé récemment au collectif Paroles de poilus, paru lui aussi chez Soleil. On peut espérer que l’éditeur soutiendra cet auteur singulier, qui ne manque pas de projets, puisqu’il annonce déjà travailler sur un deuxième album pour une trilogie informelle sur la guerre à travers les époques. À noter également pour les lecteurs anglophones la sortie cet été de M is for Magic, un recueil de nouvelles de Neil Gaiman illustrées par Kristiansen. La probable version française contiendra-t-elle ces dessins ? Rien n’est moins sûr.
Le Carnet rouge est néanmoins assez riche visuellement et thématiquement pour tenir occupé le lecteur pendant un bon moment. Et Kristiansen semble décidé à se concentrer sur ce deuxième album, tout en annonçant un nouveau album avec Steven Seagle. Espérons donc qu’il rencontrera dans notre pays le succès qu’il mérite.

(par François Peneaud)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

Un extrait de Carnet rouge sur le site de Soleil

Le blog de l’auteur, en anglais

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[1La série de Matt Wagner, qui connut différentes incarnations, ici une mini-série de 1993, Four Devils, One Hell, sur scénario de James Robinson, traduite en 2000 chez Panini Comics sous le titre Quatre Démons, un enfer.

[2Deux volumes de La Maison des secrets sont parus en 1998-99 chez Le Téméraire.

[3Autre collaboration pour DC avec Seagle, encensée par la critique, où le scénariste écrit une histoire semi-autobiographique utilisant de façon très intelligente (si, si !) le « mythe » de Superman. Un long extrait est disponible sur le site de DC. Si Panini voulait bien traduire cet excellent album...

 
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