Oui, Marc Wasterlain est de retour, le crayon au beau fixe, et c’est plutôt une bonne nouvelle. Puisque c’est un géant, un géant du dessin, un géant de la BD, ce qui suffit largement à en faire l’annonce ici. On lui doit déjà Docteur Poche, Jeannette Pointu, Gil et Georges, Bob Moon et Titania, Ratapoil, les Pixels... et on en passe ! Toujours une idée d’avance, un créateur-né : il faut le dire et le redire !
De cette nouvelle création, nous ne savons finalement pas grand chose, mais c’est une lacune qui devrait vite se combler, à la lecture des numéros 6 et 7 de la revue "L’Aventure". Deux numéros regroupés en un seul en conséquence de la crise de la Covid-19, un magazine à la sortie prévue pour début octobre 2020 : c’est maintenant !
Logiquement un album devrait suivre cette prépublication, aux Éditions du Tiroir. D’ailleurs en exergue l’éditeur explique fièrement, avec pour ligne directrice rien moins que “La nouvelle économie en marche” : “Les Éditions du tiroir souhaitent proposer aux auteurs de bande dessinée un nouvel espace de création basé sur un nouveau modèle économique de financement. En effet, à l’heure où le statut de l’auteur paraît de plus en plus précaire, il nous semble indispensable de garantir aux dessinateurs et scénaristes une juste rémunération pour leur travail et une diffusion la plus large possible de leurs œuvres. Cela passera par un modèle mixte de financement comprenant du crowdfunding et des fonds propres. Les Éditions du tiroir collaborent pour le crowdfunding avec la plateforme Ulule. “
Alors, mystère sur cette nouvelle série, au-delà d’une simple mise en bouche ? Plus largement, c’est une belle occasion de se pencher sur le cas de Marc Wasterlain, artiste remarquable, au trait incomparable. Même si souvent imité, imité seulement. Un trait exemplaire de relâchement, de vibrations, de personnalité. Alors oui, on ne va pas se priver !
Parce que Marc Wasterlain est le prototype de "l’artiste d’artistes", ces créateurs que les confrères scrutent du coin de l’œil, admiratifs et inspirés, quand, paradoxe, le public reste parfois plus mesuré, à distance. Une belle occasion donc, ce survol de son œuvre, de cultiver encore et toujours sa passion, affiner un peu plus son regard, éduquer son œil.
Toujours dans l’idée d’enrichir son bagage, ainsi plus autonome. Le meilleur moyen de se tenir à l’écart des injonctions qui sans trop de contradictions condamnent ou survendent, des discours orientés aussi, de l’Histoire qu’on réécrit. Ces vessies que l’on veut faire prendre, parfois doctement, pour des lanternes. Drôles de lumières.
Mais avant tout et plus que tout il s’agit ici de plaisir, le plus simplement du monde.
Cette qualité de trait de Wasterlain, si naturelle et vivante, à une contrepartie : elle est difficile à mettre en couleur ! Au risque d’être banalisée. Pire : le modèle narratif stratégiquement mis en place peut se voir contrarié.
Presque à faire passer pour maladroite, même, cette qualité de trait, voire bâclée. Un sacré hic ! Le côté lisse des couleurs vient en contrepoint, à l’opposé du style vibrant déployé. Le confort de lecture, espéré comme un bénéfice, contredit l’identité graphique de l’artiste. Hiatus et dilemme.
Ainsi tout un lectorat peut passer à côté, à côté d’un tel artiste, assurément un des plus grands de la BD franco-belge dans le cas de Marc Wasterlain. À côté ? Pourtant quel parcours....
Marc Wasterlain est repéré dès l’école par le dessinateur multicarte Dino Attanasio, il devient son assistant. Surtout pour la reprise de la série Modeste et Pompon, après Franquin.
Wasterlain quitte Attanasio et va frapper à la porte de Peyo, figure du Journal de Spirou et débordé de travail, qui accueille aussi volontiers des assistants.
François Walthéry, déjà dans la place depuis quelques années où il assiste le créateur des Schtroumpfs, se rappelle, à ce sujet, l’arrivée de Wasterlain :" Peyo n’a pas reçu que son carton (à dessin) mais bien une dizaine d’autres, venus d’un peu partout. Il avait tout ramené chez lui. Il m’a chargé de vérifier moi-même tout ce qui s’y trouvait. J’ai regardé. Je suis arrivé au troisième carton. C’était le sien. Et j’en suis resté là... Jamais ouvert les sept autres ! J’ai peut-être cassé sept carrières...Quand Peyo est revenu au bureau, je lui ai dit : "C’est celui-là ! C’est le plus frappant, le plus doué !" " Là, bien entouré, il se perfectionne encore.
En chemin, Michel Greg, rédacteur en chef du Journal Tintin, trop heureux de chiper un élève à Peyo et faisant encore une fois la preuve de son œil très sûr, l’engage pour de courts récits. Avec son dessin où se sentent à divers degrés les influences de Franquin, Peyo et Greg. Du beau monde.
Plus que d’autres héritiers du créateur de Gaston Lagaffe, Wasterlain retient la principale leçon de Franquin : la caricature doit s’inspirer de la réalité, pas du dessin du maître, de ses tics.
Mais soudain Wasterlain déboule dans les pages du Journal de Spirou avec un personnage presque androgyne : le Docteur Poche. Badaboum !
Entretemps, Wasterlain a été victime d’un accident, la main qui lui sert à dessiner s’en retrouve invalidée. Il a plus de mal à tracer des courbes. Il va faire avec. Et de quelle manière ! Un révolution esthétique est en marche. Elle va subjuguer du monde, auteurs débutants ou confirmés.
Dans le courrier des lecteurs, ça se déchaîne : les pour, les contre... Mais d’où sort cet individu ? Ce qui est sûr, un artiste explose, avec son univers, sa magie. Sa griffe ! Mais, Wasterlain trop enthousiaste est encore en développement. A-t-il oublié les leçons de Peyo, roi de la lisibilité ? Dans les pas de Franquin dont les planches fourmillent de détails réjouissants, il veut encore trop bien faire. Il surcharge ses pages, sans vraie hiérarchie qui guide l’œil, comme par exemple le poids des lignes, épaisseur du trait qui s’affine à mesure que les plans s’éloignent, pour créer la profondeur.
Le virtuose Franquin, lui, charge admirablement ses cases après des années d’expérience et des centaines de planches au compteur. Dès le noir et blanc, ses pages sont parfaites.
Voilà maintenant le deuxième épisode des aventures du Docteur Poche : "L’île des hommes-papillon". L’univers fantaisiste prend de l’ampleur : une personnalité, un auteur se dégagent.
Après l’accident de la main, accident de la vie : Wasterlain perd un être cher, un enfant. Le fantaisiste, dévasté, montre qu’il a aussi les pieds sur Terre, avec les récits plus réalistes qui reviennent sur la jeunesse du Docteur Poche : Karabouilla et Les Belles Vacances.
Karabouilla, surtout, qui va bouleverser les lecteurs durablement. Une histoire quelque peu autobiographique où il aborde le thème de la mort. Là encore, après l’aspect purement graphique, Wasterlain va ouvrir d’autres portes pour les jeunes aspirants-créateurs du Journal de Spirou qui l’admirent. Ainsi, une autre voi(x)e est possible pour les récits, par-delà les habituelles histoires d’aventures et de gags ?
Un artiste, ça évolue. Wasterlain cherche de plus en plus “son dessin”. D’autant que dans le Journal de Spirou, les jeunes pousses susnommées, futurs grands de la BD, les Frank Pé, Hislaire, Geerts, André Benn ou Darasse, qui ont bien étudié son travail, se calent dans ses pas. Coincé entre le maître Franquin et les jeunes suiveurs pour qui il fait école, Wasterlain se sent, semble-t-il, à l’étroit.
Arrive maintenant Jeannette Pointu, Wasterlain qui arrive à maturité graphiquement et narrativement se dégage effectivement de ses influences premières. Pour encore monter d’un cran.
Dernièrement Wasterlain, après quelques années à courir d’autres lièvres avec plus ou moins de bonheur, handicapé aussi par de très sérieux problèmes de vue, à retrouvé Jeannette Pointu. L’enthousiasme aussi ? Indéniablement, il fait un retour en force.
Voilà pour le survol, transport garanti, en compagnie d’un magicien de la BD, et sans le manteau magique du Docteur Poche, en plus ! Et bien sûr, n’oublions pas de suivre l’aventure créative du maestro Marc Wasterlain, ce géant trop discret de la BD franco-belge, qui se poursuit dans le magazine "L’Aventure". Avec un Wasterlain revivifié, maître-conteur au dessin toujours en évolution, qui pourrait bien encore nous étonner. Une fois de plus.
(par Pascal AGGABI)
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Sauf mention contraire, les dessins sont © Wasterlain, © Dupuis, © Mosquito, © éditions du tiroir.
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