Il y avait foule à la conférence de presse du prochain Festival de la BD à Angoulême. Nous n’avons rien appris de plus que ce qui a déjà été annoncé et que nos lecteurs ont pu découvrir il y a un mois déjà.
L’enjeu d’aujourd’hui était une rencontre publique avec Art Spiegelman et la communication des titres en compétition pour le Palmarès 2012.
La mise en condition de la salle se fait d’entrée : « Monsieur Spiegelman n’accordera aucune interview. Sa seule interview sera cette rencontre publique avec Jean-Luc Hees à laquelle vous assistez maintenant. » Le président de Radio France restera dans les généralités. Heureusement, il a un client brillant qui compense le côté dilettante et brouillon d’un journaliste qui se la joue vieux beau revenu de tout et qui « suppose » que les applaudissements qui l’accueillent ne sont pas pour lui mais pour son hôte…
L’auteur de Maus commente aussitôt son affiche : « J’étais très excité de voir mon dessin affiché partout dans Paris, dit-il. J’avais eu l’idée de montrer Spiegelman avec son masque de Maus en train de lire un iPad sur lequel on peut voir un dessin de Töpffer. J’ai du m’arranger pour que la barre des sponsors avec ces logos si importants pour le Festival et ces dessins qui rendent hommage à plusieurs personnages et auteurs de BD restent lisibles. »
« J’en ai plein le c… ! »
« Quel effet cela vous fait d’être le président de ce festival ? » lui pose notre brillant journaliste : « J’en ai plein le c… ! » lui dit le new-yorkais qui s’est investi à fond dans l’aventure. Il a en effet piloté deux expositions : une rétrospective qui aura lieu dans le bâtiment Castro où ses dessins les plus rares seront exposés, notamment sa période Underground, de même que ses travaux pour la revue d’avant-garde Raw et un « Musée privé » de 400 pièces qui sera exposé de l’autre côté de la Charente dans une collection permanente qui a été profondément modifiée à la demande du président d’Angoulême 2012.
Il souligne l’importance de ce musée qui fait d’Angoulême, avec Tôkyô dit-il, la capitale de la bande dessinée. « Quand on m’a annoncé que je serai président du prochain festival, je me suis dis : ah, bien, c’est bon pour mon ego. Mais ma femme française qui dirige notre petite entreprise s’est écriée : merde ! (en français dans le texte). Elle sait des choses que je ne sais pas, elle a vu le travail que cela allait représenter. Mais je suis content et je vais essayer de faire du mieux que je peux. »
Il constate les changements dans le monde de la bande dessinée : « Maintenant que tout s’effondre, que les économies s’effondrent, que la culture s’effondre, on a l’impression que tout ceci se transforme en un ensemble créatif un peu absurde. La bande dessinée a toujours eu ce côté un peu absurde. Dans cette culture post-moderne, le mélange de l’image et du texte est quelque chose qui se développe de plus en plus alors que c’était tabou quand j’étais jeune. Il faut essayer de traverser ce fossé entre ce qui est « haut » et ce qui est « bas », c’est assez étonnant à observer. Aux USA, les éditeurs paniquent au moment de publier un livre. Avec la technologie, on s’aperçoit que l’on peut faire les livres les plus magnifiques que l’on n’ait jamais pu faire. La technologie est de notre côté ! Je suis un artiste qui travaille pour le livre et pas pour les cimaises. Or, aujourd’hui, tout est issu de la BD, quelque part. La BD a son mode d’expression plus que jamais, en France comme aux États-Unis. »
Son Prix Pulitzer obtenu en 1992, il le relativise : « Cela fait bien dans votre oraison funèbre !... Vous savez, la plupart des gens aux USA le confondent avec le Prix Nobel… ». Il annonce que son prochain projet est fait en collaboration avec un neuro-scientifique pour étudier l’impact de la bande dessinée sur le cerveau !
Sur le même ton badin, il répond à notre infatué journaliste qui prétend qu’on compare son œuvre à celle de James Joyce : « Je le prends comme un compliment, répond Spiegelman pince sans rire, Je ne comprends pas tout de James Joyce, mais comme je ne me comprends pas moi-même, oui, cela doit être comparable, nous avons beaucoup en commun sur ce point… »
Il parle des artistes en Europe qui l’ont influencé dans le sillage du magazine Raw qu’il avait co-créé avec son épouse Françoise Mouly, aujourd’hui directrice artistique du New-Yorker : Mariscal, Mattotti, Lewis Trondheim, Moebius, Tardi, Muňoz, Schrauwen… plus ancrés selon lui dans les Beaux-Arts que ne le sont les créateurs américains.
Interrogé sur son hostilité à voir un jour Maus adapté au cinéma, il suggère que l’œuvre reste dans une petite boîte vitrée « à briser en cas d’extrême urgence économique ! »
L’exposition « clandestine » de Spiegelman à Angoulême
C’est au moment des questions du public que son action de président se révèle enfin. Il a sollicité et obtenu les venues de Chris Ware, Charles Burns, Joe Sacco… Il insiste sur le fait qu’il a eu à cœur de « construire un pont sur la rivière entre le Festival et le Musée ». Il fait là allusion à la Cité de la bande dessinée en butte aux manœuvres mesquines des dirigeants du Festival : « Mon rôle sera de mettre ensemble ces acteurs dans un seul événement. »
C’est là que l’on découvre, quasi par hasard, l’autre exposition que Spiegelman réalisera à Angoulême avec Thierry Groensteen, singulièrement absente de la communication du Festival et dont on ne trouve juste une allusion dans le dossier de presse distribué aux journalistes présents : Le Musée privé d’Art Spiegelman qui rassemble 400 œuvres d’exception signées par les plus grands artistes de l’histoire de la BD.
Le dessinateur américain s’est impliqué lui-même pour solliciter des prêts des plus grandes collections américaines obtenant des planches de H.M. Bateman, Milt Gross, Carl Barks, Jack Cole, Roy Crane, Jack Davis, Kim Deitch, Jules Feiffer, Lyonel Feininger, Bill Elder, Al Feldstein, Harold Gray, Fletcher Hanks, Jaime Hernandez, Walt Kelly, Bernard Kriegstein, Harvey Kurtzman, Jay Linch, Don Martin, Nazario, Frederic Burr Opper, Spain Rodriguez, Elzie C. Segar, Noël Sickles, Otto Soglow, Cliff Sterret, Gustave Verbeek, Bill Watterson, S. Clay Wilson, Basil Wolverton, Wallace Wood… des artistes jamais exposés en Europe, montrés aux côtés de Töpffer, Gustave Doré, Caran d’Ache, Hergé, Saint-Ogan, et de bien d’autres. « Même les Américains ne connaissent pas cela ! Les deux expositions que je présente vont bien se parler l’une et l’autre » s’enthousiasme le président 2012.
Heureusement qu’Art Spiegelman est là, finalement, sinon on aurait tout ignoré de cette exposition qui s’avère exceptionnelle et que le Festival a tenté de nous dissimuler pour des mesquines questions d’ego et de concurrence.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Festival International d’’Angoulême 2012, du jeudi 26 au dimanche 29 janvier 2012.
Photos : D. Pasamonik (L’Agence BD)
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