Si le nom de Nicolas Barral ne vous dit peut-être rien, vous vous souviendrez certainement de ses adaptations parodiques de Sherlock Holmes dans Baker Street et de Blake et Mortimer. C’est sans son complice Pierre Veys qu’il suit Emmanuel Moynot en adaptant un des Nouveaux Mystères de Paris, sous le nom que donna Léo Malet à une suite d’aventures qu’il imagina pour un de ses personnages cabochards, Nestor Burma. Après des premières aventures de Burma qui firent le bonheur des amateurs de polars sombres parisiens, Léo Malet imagina une nouvelle série presque complète [1] où chaque récit trouvait sa source dans les rues d’un des vingt arrondissements parisiens.
C’est d’ailleurs avec l’un d’entre eux que Tardi commença son adaptation en 1982, coaché par Léo Malet lui-même, avec Brouillard au Pont de Tolbiac pour le 13e arrondissement. L’adaptation suivante, qui imposa réellement le personnage graphiquement créé par Tardi, fut un des premiers romans de Malet qui balade son personnage des deux côtés de la ligne de démarcation en 1942 : 120, Rue de la gare, un titre en référence à une des intrigues les plus célèbres du détective de l’agence Fiat Lux (Que la lumière soit !). Et des lumières, Burma en possède autant pour démêler les intrigues, que d’étoiles lorsqu’il reçoit ses célèbres coups sur la caboche. Amateur de Paris et de récits sombres, Tardi refit toutes les couvertures des romans de la série rééditée chez Fleuve Noir, et imagina même une pure création avec ce personnage Une gueule de bois en plomb. Puis il alterna divers récits, tout en revenant régulièrement vers ses ‘premières’ amours, car il adapta les récits des 12e et 10e arrondissements : Casse-Pipe à la Nation et M’as-tu vu en cadavre ?.
Par la suite, Tardi passa la main à Emmanuel Moynot pour prolonger une des plus fidèles et rentables adaptations littéraires de polar en bande dessinée. Moynot réalisa trois récits, tous empruntés aux Nouveaux Mystères de Paris en mettant en avant chronologiquement les 6e, 1er, et 17e arrondissements : La nuit de Saint-Germain-Des-Prés, Le Soleil se couche derrière le Louvre et L’envahissant cadavre de la plaine Monceau. Le respect du graphisme initial et les atmosphères travaillées dans ces albums contribuèrent à faire de Nestor Burma un personnage incontournable du paysage du neuvième art, même si le trait de Moynot était plus académique que celui de Tardi. Une prépublications de ces albums se fit dans un grand format, en journaux reprenant à chaque fois un tiers de l’album, suivant la formule que Tardi inaugura avec un de ses propres albums Le Secret de l’étrangleur, adaptant le polar d’un autre romancier.
La reprise de Barral
C’est donc maintenant Nicolas Barral qui reprend en troisième lieu le détective de Léo Malet. Globalement, on retrouve les grandes lignes de la série : atmosphères sombres, imbroglio alambiqué, et superbes décors dans le Paris de l’après-guerre. Pourtant, là où ses prédécesseurs soignaient la noirceur, Barral ne peut s’empêcher d’être plus léger : Burma semble s’amuser beaucoup plus, on le voit souriant, voire goguenard. Dans les premières planches, l’auteur semble d’ailleurs plus proche d’une parodie de la trogne imposée par Tardi, avant de se reprendre et de repartir sur les codes graphiques du maître. Mais soyons magnanimes, le fait que le détective gagne à la loterie lui donne une excellente excuse pour cette jovialité toute apparente.
C’est alors qu’ils fêtent ce joyeux événement financier que Nestor Burma et sa secrétaire Hélène Chatelain reçoivent la visite d’un diamantaire du 9e arrondissement. Ce dernier les envoie sur les traces d’un restaurant chinois de la rue de la Grange-Batelière et de son propriétaire, l’énigmatique Tchang-Pou qui le ferait chanter. Le mystère s’épaissit lorsque Burma découvre sur place les cartes de visite d’un ancien lupanar de Shanghai où sévissaient des prostituées russes et, dans une armoire, ce qui ressemble fort au cadavre d’une femme blonde et nue…
Mais tout bascule carrément lorsque le diamantaire est retrouvé mort dans son bureau. Deux macchabées presque coup sur coup, alors que l’affaire semblait aisée au départ. Soupçonnant tout à la fois un chantage, une affaire de mœurs, un trafic de diamants et Dieu sait encore quelles turpitudes, Nestor Burma intensifie ses recherches, qui le mettront bientôt sur la piste de la maison Natacha, une entreprise de lingerie de luxe tenue par deux immigrées russes…
Barral met Paris à l’honneur
La ligne plus nette de Barral convient d’ailleurs aussi bien à ce neuvième arrondissement, souvent bien large et propret, qu’à l’intrigue de Malet, qui fait la part belle aux milieux particuliers de la lingerie et du diamant. C’est d’ailleurs la belle Hélène qui monopolise une part du récit, ce qui donne un peu de suspense car Burma semble décidément trop à l’aise dans cette enquête.
Si Barral use du code graphique de Tardi, avec ces cris si vivants, c’est avec beaucoup (trop) de parcimonie. Les amateurs d’argot parisien en seront également pour leur frais, car l’adaptation édulcore le propos. Globalement, on regrettera ce lissage de Burma : plus d’engueulades imagées avec Marc Covet, le journaliste du Crépuscule ; et aucun coup de gnôle avalé en douce, le détective est plus sobre qu’Hercule Poirot, c’est tout dire !
Quant au récit en lui-même, si Barral dépeint fidèlement l’intrigue tordue imaginée par Malet, on regrettera qu’il se soit cantonné à aligner les scènes et les dialogues, comme s’il avait eu peur d’oublier un détail de la trame narrative. L’ensemble demeure intéressant, mais souvent un peu trop réaliste. Les fameux rêves de Burma passent à la trappe, alors qu’ils participaient à la renommée de la série lorsque Tardi les mettait en scène. On se rattrape néanmoins sur certaines belles scènes d’actions, très rythmées, bien que parfois un peu longues en raison de certaines pages d’explications ’finales’ parfois ardues.
Une évocation dessinée des souvenirs russes des personnages aurait augmenté la densité de l’adaptation, mettant des têtes sur la valse des noms, rajoutant du cachet au récit de Malet qui n’en manque pas. Les détenteurs des trois numéros de L’Étrangleur qui proposait l’album en prépublication, bénéficieront de trois planches supplémentaires dans les 2e et 3e parties de récit. Celles-ci permettent de donner plus de profondeur en mettant en scène certains flash-backs. Le récit y gagne dès lors en fluidité et en évocation. On regrette que la version finale du récit ne dispose pas de ces compléments.
Barral réussit une adaptation plutôt sobre : sans fioritures ni excès. Si on retrouve un graphisme des personnages plus proches de l’original, cette version atténue néanmoins le caractère trempé du détective, sans que cela ne gêne cependant les amateurs de la série qui avaleront cette nouveauté cul-sec, en hommage aux verres que le détective n’a pas eu l’occasion d’écluser.
(par Charles-Louis Detournay)
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Sur le même sujet, lire les chroniques de :
L’envahissant cadavre de la plaine Monceau
Le soleil naît derrière le Louvre
et l’interview d’Emmanuel Moynot : "Dans certaines histoires, les scènes explicites sont nécessaires !"
[1] Des notes de Léo Malet existent, dans lesquelles on peut retrouver les synopsis des intrigues des arrondissements manquants.
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