Bande dessinée érotique : Le top de 2023

Nous avons toujours accordé à la bande dessinée érotique, genre présent dans le 9e art dès ses origines, la place qui lui revient, surtout lorsqu’elle était de qualité. Rares sont les sites spécialisés en bande dessinée qui s’y emploient, la pudibonderie ne baissant décidément pas la garde ces derniers temps ! Nous, nous informons le lecteur sur tous les genres de bande dessinée, c’est notre liberté et c’est aussi la vôtre.

Or, il faut bien en convenir, même si nos visuels sont sélectionnés comme les plus chastes des albums chroniqués, ils ont de quoi faire raidir (allons, pas de mauvais esprit) les censeurs de Google dès qu’un téton pointait. Devions-nous alors cesser nos chroniques consacrées à ce genre dont la tradition remonte à la nuit des temps ? Certainement pas ! Nous veillons soigneusement à ce que de jeunes lecteurs et de notre public qui ne souhaiterait pas être confronté à ce genre de contenu explicite ne le rencontre pas spontanément.

La page "cachée" d’ActuaBD.com

Notre souci reste néanmoins d’informer les lecteurs fans du genre. Pour cela, les amateurs éclairés vont régulièrement consulter la partie du site qui lui est consacrée, Actuabd.com/-Adulte, car notre moteur de recherche ne répondra (volontairement) pas toujours à ce type d’attente.

Et pour vous faire une idée de ce qui nous a particulièrement plu en 2023, voici ci-dessous une sélection que nous avons voulu ramener aux cinq titres les plus marquants de l’année, en dehors de toute la production érotique asiatique (Hentaï) à qui nous avons consacré un article spécifiquement dédié. Nous avons également mis de côté toutes les rééditions et intégrales, même si nous continuons à saluer le travail des éditeurs et encourager les lecteurs à (re)découvrir ces perles du catalogue existant.

Bref, nous avons volontairement restreint la gamme, afin ne retenir que la crème de la crème. C’est parti !

Le site "X-webtoon" de La Musardine

Dynamite brise les carcans

L’éditeur La Musardine est très certainement l’une des valeurs sûres du segment, notamment au travers de son label "Dynamite", la plus connue de ses collections. Mais l’éditeur érotique (dont le catalogue ne se limite d’ailleurs pas à la bande dessinée) avait déjà marqué l’esprit l’année dernière avec le lancement de sa plateforme de webtoons érotiques "X-webtoon". Un contenu gratuit que l’on peut tester sur la plateforme, avant d’accéder aux nouveautés.

Malgré le contenu alléchant d’X-webtoon, nous continuons de limiter notre top érotique aux albums physiques (ce qui place alors hors-concours tout le contenu numérique de La Musardine, soit une bonne moitié de son catalogue éditorial. Cela n’empêche pas l’éditeur de placer trois titres parmi les must de l’année. De quoi commencer notre sélection en fanfare !

 Amabilia : la fin d’une magnifique saga

Si la bande dessinée érotique a connu des heures difficiles, à force d’être catégorisée, elle existe encore et toujours grâce aussi à des anonymes. Les lecteurs bien entendu, qui osent s’en emparer pour découvrir les délices qui s’y cachent. Mais c’est parfois le cas également des auteurs, comme Élodie et Thomas Raven. À côté de leurs "vrais métiers", le tandem a réalisé sept chapitres d’une magnifique saga érotique, pour un total de plus de six cent pages.

Scénaristiquement parlant, cette conclusion répond à toutes nos attentes. On continue à suivre les évolutions du couple des débuts, Simon et Iris qui s’étaient rencontrés à une soirée masquée, sans oublier tous les autres personnages qui ont construit au final cette saga chorale, évoquant les questions qui taraudent les générations actuelles, dans la recherche de l’équilibre entre le sexe et l’amour.

Le tout est servi par un magnifique dessin en noir et blanc, sensuel et léché, qui a progressé au fur et à mesure jusqu’à s’ouvrir comme une fleur dans ce dernier opus qui vient de paraître. Sans oublier une maîtrise du récit, qui intègre la sexualité dans le parcours de leurs personnages. Car c’est sans doute la clé de la bande dessinée érotique : réaliser des récits émoustillants, certes, mais oser un traitement qui dépasse le cadre des explorations sexuelles pour aborder d’autres sujets. Et lorsque la leçon est donnée par des auteurs autodidactes, elle n’en est que plus belle.

Sauf contrordre, les Raven ont ainsi réalisé leurs dernières pages de bande dessinée, raison de plus pour vous encourager à les découvrir, et à féliciter la Musardine d’avoir découvert ces talents pour les publier.

 Lilith, la suite... ou plutôt le préquel de Sixella

Sixella était assurément la meilleure surprise et l’un des meilleurs albums de l’année 2020. Nous attendions avec impatience le second titre du jeune Janevsky. Et cette nouveauté a dépassé toutes nos attentes : non seulement elle dispose de trois fois plus de pages que le premier opus, mais surtout elle fait revenir la sculpturale Sixella (en passe de déjà devenir une héroïne mythique de la bande dessinée érotique) vu que cet album intitulé Lilith est le préquel de l’album paru en 2020. Avec l’avantage pour les non-initiés de ne pas devoir lire le précédent album avant de découvrir la nouveauté.

Graphiquement parlant, Javesky continue de nous éblouir à chaque page. Ses influences digérées de Moebius, Gillon, Serpieri, Forest et entre autres Bilal proposent des merveilles de découvertes et de sensualité. D’un côté, on retrouve parfaitement ce qui avait fait le succès de Sixella : le jeu des formes fait de hachures et de rayures, les mondes aliens aux surprenants reliefs, les tentacules insidieuses, le jeu des doubles, etc. Sans oublier le plaisir : seul ou à deux, avec Iris ou via les tentacules.

De l’autre, l’auteur innove avec des doubles pages, une plus grande succession de scènes dialoguées et muettes, et surtout de nouveaux tons de couleurs. Déjà présents par touche dans Sixella, l’orange et le jaune montent cette fois en ligne de front, accompagnés par le rouge, pour proposer des séquences aux atmosphères très différentes. Même si on retrouve la chaleur des omniprésents bleus et roses, pour les scènes intimes, notamment.

Quant au récit, il est plaisant, plein de surprises et surtout de scènes muettes qui entraînent le lecteur dans d’enivrantes immersions. Si le jeu du préquel prodigue un page-turner intéressant, il reste heureusement au second plan pour laisser l’onirisme et l’aventure drainer le récit, tout en sacrifiant encore et toujours au jeu des symboles. Vous l’aurez compris, ce majestueux récit nous a séduit, inaugurant la future carrière d’un grand auteur de bande dessinée. Envolez-vous donc pour des univers envoûtants et inconnus !

 The Rock Cocks bouleverse les codes du genre

Qu’il s’agisse de Janevsky ou des Raven, La Musardine a su prouver son rôle de découvreur de talents, tout en montrant que la bande dessinée érotique pouvait se présenter sous des atours différents. La preuve par trois, car le troisième opus de ce tiercé gagnant se démarque une fois de plus des canons du genre. C’est le premier né d’une nouvelle collection Kinky dédié justement à un nouveau genre, comme nous l’expliquait l’éditeur Nicolas Cartelet.

« J’ai remarqué ces dernières années l’émergence d’une nouvelle bande dessinée érotique, plus moderne, moins « rentre-dedans », portée par des auteurs jeunes du monde entier. Beaucoup d’Américains mais pas que, qui souvent s’autoéditent et vivent grâce à Patreon. Ils abordent des thématiques érotiques variées à côté de thématiques sociales, politiques, etc., n’ont pas peur de mélanger les genres – dans The Rock Cocks par exemple on a des scènes gays et lesbiennes au milieu d’une BD essentiellement hétérosexuelle, chose qu’on ne trouve que rarement dans la BD érotique « traditionnelle ». Graphiquement, on s’éloigne aussi du réalisme qui domine bien souvent la BD érotique. C’est à ce nouvel érotisme que Kinky sera consacré. »

Et d’entrée de jeu, "Kinky" frappe fort avec un premier tome qui explore l’industrie musicale sous toutes ces facettes : "sex, cock & rock ’n roll !" En effet, The Rock Cocks relate le parcours d’un couple de musiciens. À la rue après avoir perdu leur dernier boulot, Steg & Suria ont décidé de loger dans leur van afin de ne plus vivre que d’amour, de musique et d’eau fraîche. Ils s’aiment, pas de doute. Tout bascule lorsqu’ils se présentent à un concours musical : décidé d’assumer pleinement l’aspect érotisant de leur mode de vie et de leur musique, le couple délivre un sabbat endiablée qui électrise les sens de la foule. Il n’en faut pas plus pour sortir un grand producteur de sa semi-retraite. Mais le chemin est long pour parvenir au succès, et il est surtout pavé d’embûches.

Réalisé également par un couple d’auteurs américains, The Rock Cocks séduit dès ses premières pages. Leur style graphique et narratif emprunte tant au manga qu’au comics, avec la lisibilité en maître-mot. Ils ont aussi compris que pour séduire le public, il fallait avant tout des personnages attachants, auxquels le lecteur peut s’identifier et ait envie de suivre les péripéties. Jackpot avec Steg et Suria, un couple dans lequel chacune et chacune peut aisément se retrouver.

Outre leur graphisme inspiré et la qualité du tandem des personnages, ce récit aborde en profondeur le milieu de la musique, sans oublier que l’aspect sexué vient se greffer sur l’ensemble sans constituer l’essentiel des planches. On traite de sexe de manière décomplexée sans tomber dans la surenchère que l’on a connue il y a quelques dizaines d’années. Une fraîcheur retrouvée avec la bande dessinée érotique, parfaitement incarnée par cet opus.

Vous l’aurez compris, nous avons été complètement conquis par ce premier volume des Rock Cocks. C’est drôle, fun, sexy et enlevé, sans prise de tête et surprenant à chaque chapitre. À découvrir rapidement car le tome 2 arrive dans quelques semaines !

Coup double pour Tabou !

Depuis trente ans, l’éditeur Tabou est certainement l’un des acteurs les plus importants de cette relève de la bande dessinée érotique, osant sortir des cadres pour combler les fantasmes tout en s’aventurant sur des terrains inconnus. Ces derniers mois ont de nouveau été riches en découvertes : avec des nouveaux auteurs de différents pays, de l’humour, des récits muets, des rééditions inattendues, des récits mythologiques, de l’Heroic Fantasy, etc.

 Kiff, le retour de l’opulence

Le meilleur exemple cette année de ce travail réalisé depuis trente ans, reste certainement l’étonnante arrivée de Max Sulfur. Nul ne sait quel auteur de BD se cache derrière ce pseudo, mais il a réellement mis le feu aux planches cette année avec, non pas une nouveauté, mais directement deux albums de sa série Kiff qui sont respectivement parus en mars et mai 2023.

Kiff renoue avec les albums de saynètes, tout en privilégiant l’appétit sexuel d’une belle brochette de demoiselles aux formes épanouies. Elles rigolent et prennent l’initiative. Presque à contretemps des productions actuelles, cette série joue la carte "old school" avec des situations à la fois perverses et comiques, tout en maintenant deux éléments systématiques : les demoiselles sont toujours à l’initiative et leurs formes généreuses restent obligatoires. Fantasme assez classique, ici mis en scène avec une précision stupéfiante, le dessin se rapprochant de l’hyper-réalisme.

Comme le commente notre collaborateur Guido Bacri : « Devenu rare dans la production BD adulte, ce crédo happy sex option grosses cochonnes rappellera de bons souvenirs aux fans de porno français des années 1980-1990, époque où Marc Dorcel et avant, Gérard Kikoïne, Jean-Luc Brunet et autre Frédéric Lansac régnaient sur des productions qui avaient encore un peu d’imagination. »

Kiff

© Tabou

Murano : la découverte

Aux côtés de ces deux majors de la bande dessinée spécialisée sur l’adulte, un petit nouveau est doucement en train de se tailler une belle place. Il s’agit de Murano Publishing" dont nous vous avons fait découvrir plusieurs albums et intégrales ces dernières semaines. Et nous n’allons pas nous arrêter en si bon chemin car l’éditeur dispose d’un catalogue des plus intéressants.

Si nous avons décidé de ne pas sélectionner les rééditions et les compilations (ce qui nous prive par exemple de l’intégrale des Sexual Housewives), nous ne pouvions passer outre cet étonnant récit axé sur le sado-masochisme :

 Le Collier : domination et soumission selon Coax

Malgré une couverture qui pose question, Le Collier captive dès les premiers pages, grâce à la maîtrise de son auteur Coax. Son trait stylisé et surtout sa mise en couleur très humoristique contrastent avec sa thématique des plus adultes... Et on s’en réjouit ! En effet, d’autres auteurs - à grands renforts de réalisme - privilégie la forme au fond. Ici, Coax se permet d’aller au fond des choses, grâce à un graphisme qui autorise tous les excès.

Le Collier nous narre les expérimentations d’une jeune femme en recherche de domination. Le récit débute lorsqu’elle rencontre pour la première fois son "maître". N’y cherchez pas malice, nous sommes entre adultes consentants qui désirent étancher leurs attentes respectives. Le maître n’en est pas à son coup d’essai, tandis que la novice cherche encore à explorer les limites de ses fantasmes.

Le propos très explicite de l’album est parfaitement contrebalancé pour le style presque humoristique de l’auteur. Il lui permet d’entrer dans le vif du sujet en évitant tout préambule. De plus, en suivant les réflexions de l’héroïne, il aborde des sujets de plus en plus cash tout en laissant la porte ouverte à des questions primordiales : jusqu’où suis-je prêt(e) à aller ? Est-ce que l’exemple d’autres personnes doit me motiver ou me restreindre dans ma recherche de plaisir ? Quelles sont les barrières que je peux progressivement laisser tomber sans renoncer à moi-même ?

Vous l’aurez compris, nous avons été conquis par cette exploration du "monde de la nuit". Les chapitres explorent progressivement de nouvelles facettes, tout en restant dans une approche "sensible" d’un répertoire souvent catalogué comme trash.

Et les éditeurs mainstream ?..

Pourtant bien classés dans nos tops érotiques de ces dernières années, Glénat et Kennes n’ont publié aucune bande dessinée coquine en 2023. Manque de réussite, mauvaises ventes, repli stratégique après quelques déboires ?... Malgré leur pas de côté, nous voudrions saluer le retour de Delcourt, qui profite de la réédition de chefs d’œuvres du genre, afin de glisser des pépites inédites en français.

Nous vous en parlions le mois dernier : après s’être fait désirer pendant deux longues années, sa collection Erotix a (enfin) opéré un retour remarqué avec une nouvelle mouture qui comble véritablement toutes nos attentes. Le concept est aussi simple qu’astucieux : profiter de la réédition d’un best-seller signé par un auteur emblématique de la bande dessinée érotique, pour agrémenter l’ouvrage de plusieurs récits inédits ou méconnus en français.

Premier arrivé : Baldazzini avec sa "compilation-best of" Chiara Rosenberg et autres gourmandises. Aux côtés de ce récit assez connu, on retrouve dans cet épais volume de plus de deux cent pages, L’Aura l’orpheline et surtout 31-12-1999. Même traitement avec la réédition du mythique ouvrage des 110 Pilules qui est complété par d’autres récits rares ou inédits du grand Magnus. Et chaque ouvrage se termine sur un superbe portfolio. On attend impatiemment la suite en 2024, avec Crepax, John Willie et Frollo !

Qu’il s’agisse des auteurs spécialisés qui continuent de proposer du contenu innovant pour notre plus grand plaisir, ou de Delcourt qui revient en force avec une envergure patrimoniale, la bande dessinée érotique continue d’avoir de beaux jours devant elle. 2024 lui réserve encore de belles surprises, que nous ferons bien entendu découvrir comme chaque dimanche dans notre rubrique spécialisée !