Actualité

Œuvrer en pet

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 2 juillet 2023                      Lien  
Or donc, voici un ouvrage, « Flatulences en cases » qui s’attache à exciter un de nos sens rarement sollicités lors d’une lecture : l’odorat. Mais encore ? Il s’annonce comme « une évocation culturelle du pet dans la bande dessinée ». Un sujet indigne d’Angoulême ? Certes, mais en ces temps de pudibonderie imbécile, alors que la bande dessinée entre en majesté à l’Académie française et dans les plus beaux musées, rappeler son caractère vulgaire -c’est-à-dire populaire- est œuvre de salubrité.

Les vacances sont bientôt là et cela fait plusieurs mois que cet opuscule trône sur mon bureau en attente que je le lise, et le chronique par la même occasion. Une saine occupation à chaque fois procrastinée à cause de l’actualité. « Mais, hélas ! Ici-bas est maître » disait Mallarmé. L’abondance des publications, les polémiques à deux balles, un monde où « seuls les appétits mangent » remarquait encore le poète, voilà qui fait que l’on traîne parfois à chroniquer dans ce site de bénévoles.

L’auteur de l’ouvrage est bien connu et porte toute notre estime : Bernard Joubert, impertinent pourfendeur de la censure -cette conne jamais apaisée- et savant en toutes choses interdites. Dans ce volume carré, au propre comme au figuré, il réussit, avec une infinie érudition, cette chose inouïe : celle de nous faire rire avec ce qui scandalise les pisse-vinaigres de la convenance : la flatulence. Le sujet avait fait l’objet d’une conférence à Angoulême en 2020.

Œuvrer en pet
Bernard Joubert, Pic de la Mirandole du pet.

« Le pet franc et joyeux, qu’on lance sans arrière-pensée pour se dégager les conduits ou amuser l’assistance, requiert la complicité tacite de ceux qui vont l’ouïr. Il ne fuse qu’en présence d’amis, de copains, de proches parents, d’êtres aimés, et ne doit être ni trop répétitif ni trop insistant, sous peine de lasser rapidement... » prévient cependant Jean-Pierre Bouyxou, préfacier de cet ouvrage de référence du « Pic de la Mirandole des brises intestinales ». Nous sommes donc entre amis.

Le sujet avait fait l’objet d’une conférence à Angoulême en 2020.

Premiers pets

Partant du « fondement du 9e art », Joubert rappelle que déjà chez le pionner des « histoires en estampes  », dans Histoire de Mr Jabot, la première œuvre publiée de Rodolphe Töpffer (1833), « ça pétouillait ».

Mais entre le manuscrit original de 1831 et sa publication, des amis lui déconseillant la plaisanterie, le héros de Töpffer se ridiculise non plus par l’odeur mais par une simple chute. Censure déjà.

Töpffer : premier pet, première (auto-) censure...

Un pétomane, « gloire de la France »

On voit bien, avec cette érudition qui débusque une censure totalement inconnue, à quel niveau se porte l’intelligence de l’analyse à propos de ce sujet volatil s’il en est. Des images d’Epinal à Joseph Pujol (1857-1945), pétomane de music-hall qui attira, dit-on, deux fois plus de spectateurs que Sarah Bernhardt et qui inspira très tôt la bande dessinée : de la revue pour « La Jeunesse amusante » en 1897, à des comix underground plus contemporains comme « The Compleat Fart and Other Body Emissions » de Lee Marss, le sujet ne s’épuisa jamais prospérant jusque dans Les Pieds Nickelés de Louis Forton.

Le pet de l’âne, image d’Epinal de François Georgin

Mais, constate Joubert, si, jadis, le pet n’était pas un sujet banni, depuis la Seconde Guerre mondiale, on ne pète plus guère. La raison ? « La France se dota d’une loi de censure particulièrement active contre la bande dessinée, le 16 juillet 1949 », vous savez, cette loi conçue sous Vichy et votée par des parlementaires communistes et catholiques. Quel rapport entre le pet et Vichy, direz-vous ? L’odeur pestilentielle, peut-être.

Le pet dans L’Echo des Savanes par Gotlib (1974)

Toujours est-il que le pet devenu « plaisanterie non grata » disparut des cases jusqu’à ce que… L’Echo des Savanes de Gotlib, Bretécher et Mandryka se remit à émettre en 1972. À leur suite, Reiser, Carali, Charb, Edika, Binet, Lou, Foerster, Franquin même, se remirent à péter à l’envi. En Angleterre, la parodie potache de Beano, Johnny Fartpants (que l’on peu traduire par : Jeannot Pantalonpéteur) fait à peu près le même travail.

En spécialiste de la BD porno d’ailleurs, Joubert fait profiter au lecteur de sa connaissance sagace du sujet, jusques et y compris au sein du couple.

La jeunesse aussi, et surtout

Dans la foulée de l’émancipation du pet dans les années 1970, celui-ci prospéra dans l’album jeunesse au point de devenir, selon les mots de Joubert, une « niche éditoriale ». De la série Victor qui pète, au personnage de Prout, le pet fut par ricochet un sujet pour Titeuf, Le Petit Spirou ou Mortelle Adèle. Même les mangas n’en sont pas exempts.

Le pet n’en reste pas moins une marque de vulgarité pour les pète-sec du bon goût. Nous leur adressons volontiers cette belle parole à peu près biblique : « Pet aux hommes de bonne volonté ».

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

🛒 Acheter


Code EAN : 9782362345647

Flatulences en cases – Par Bernard Joubert – Ed. Dynamite

La Musardine Etude sur la BD France Marché de la BD : Faits & chiffres
 
Participez à la discussion
3 Messages :
  • Œuvrer en pet
    2 juillet 2023 12:08, par Sergio Salma

    Plus que l’odorat c’est plutôt l’ouïe qui est sollicitée, enfin non la vue puisqu’en BD le son devient visuel. Riche de mille graphismes de mille lettrages , de Crumb à Franquin en passant par Gotlib, que d’ onomatopets !

    Répondre à ce message

    • Répondu par kkrist mirror le 7 juillet 2023 à  10:52 :

      Excellent ! Pour compléter ce crucial sujet, il est primordial de lire "Extrait de "l’Art de péter ou Manuel de l’artilleur sournois" par le comte De la Trompette, Médecin du Cheval de Bronze, pour l"usage des personnes constipées" in "Journal d’un Génie" (L’imaginaire Gallimard) du kultissime et foudroyant Salvador Dali ! Il s’agit pas moins d’une centaine de pages qui vous diront tout ou presque sur ce art subtil et révolutionnaire tant pratiqué par le Maître, mais aussi vous ferons une description quasi chirurgicale des multiples variantes de cet Art. Avec des aphorismes tels ; Un pet qui, pour sortir, a fait un vain effort, Dans les flancs déchirés reportant sa furie, Souvent cause de mort.
      D’un mortel constipé qui touche au sombre bord, un PET à temps lâché, pourrait sauver la vie !
      Ou,
      Mon cœur, outré de déplaisirs,
      Était si gros de ses soupirs,
      Voyant votre humeur si farouche,
      Que l’un d’eux se voyant réduit
      A n’oser sortir par la bouche,
      Sortit par un autre conduit.

      Mais encore mon préféré,
      Pour vivre sain et longuement,
      Il faut donner à son cul vent.

      Ensuite il y a la nomenclature des pets avec pour chacun son joli paragraphe ; le semi vocal ou petit pet, le pet clair ou aspiré, j’en passe. Puis vous saurez tout sur Les pets de ménage, de province, de pucelles, de demoiselles, femmes mariées, cocus, bergères, vieilles, savants, boulangers, etc, etc. Mais le pet prononcé n’est-il en fin de compte la réponse jetée à la face de tous les emmerdeurs, chieurs et autres constipés de la vie qui pourrissent la notre ? L’ultime cri pacifiste de l’anarchiste couronné ? Bon vent !

      Répondre à ce message

      • Répondu par Sergio Salma le 9 juillet 2023 à  11:34 :

        N’oublions pas Gainsbourg et son roman Evguénie Sokolov ( Gallimard 1980) où ça mitraille à tous vents. Et dont le personnage est un temps auteur de bandes dessinées avant de devenir artiste flatulent. Un roman guère épais. Gainsbourg récidivera en 81 dans Mauvaises nouvelles des étoiles dans un morceau reggae sans paroles mais aux sons bien rigolos.

        Répondre à ce message

CONTENUS SPONSORISÉS  
PAR Didier Pasamonik (L’Agence BD)  
A LIRE AUSSI  
Actualité  
Derniers commentaires  
Abonnement ne pouvait pas être enregistré. Essayez à nouveau.
Abonnement newsletter confirmé.

Newsletter ActuaBD