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Bataille de titans dans les librairies de bande dessinée : « Il y aura des morts ! »

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 5 décembre 2023                      Lien  
La bande dessinée, c’est aussi une industrie. Ce truisme, que Malraux appliquait jadis au cinéma, est plus que jamais d’actualité. Le recul de la vente des mangas en début d’année explique en partie l’activisme des éditeurs pour dégainer leurs plus grosses nouveautés à la fin de l’année. Mais pas seulement : un pugilat s’en engagé entre les plus grands acteurs du marché, avec des aléas, pour maintenir leur position. Le haut du panier est néanmoins réservé aux séries devenues des « marques-propriétaires », c’est-à-dire appartenant à des entreprises plutôt qu’à des auteurs. Analyse d’une tendance.

« Il y aura des morts ! », telle est la prédiction que l’on retrouve le plus souvent dans la bouche des libraires. Jamais on n’avait vu un tel ensemble de nouveautés notoires débouler sur le marché en même temps : Astérix, Gaston Lagaffe, Titeuf, Mortelle Adèle, Le Chat de Geluck, Le Nom de la Rose de Umberto Eco & Milo Manara, Blacksad, Largo Winch, le Blake et Mortimer de Floch

Imaginez les piles, d’autant qu’il y a de puissants outsiders : le Spirou de Dany & Yann (Dupuis), le Corto Maltese de Bastien Vivès & Martin Quenehen, Madeleine résistante de Jean-David Morvan, Madeleine Riffaud & Dominique Bertail (Dupuis), le 12e Chat du rabbin de Joann Sfar (Dargaud) soutenu par une [grande expo au Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme à Paris, le Lucky Luke de Blutch… Ils sont venus, ils sont tous là (air connu)… Au chevet de la, ou d’une certaine, bande dessinée ?

Il faut bien en convenir : les têtes de gondoles ont en moyenne, comme un Good Old Wiskey, une moyenne de trente ans d’âge. Des valeurs sûres qu’il n’est pas besoin d’argumenter auprès des libraires, le scoring, cette intelligence artificielle des tiroirs-caisse, assurant une présence massive sur les points de vente.

Un marché saturé… mais pas pour tout le monde

Donc, c’est confirmé, il y aura des morts. « C’est quand la mer se retire qu’on voit ceux qui se baignent nus. » théorisait Warren Buffet. Mais qui ? Pas Astérix qui, même s’il est annoncé en baisse par rapport au précédent, offre des volumes tellement importants que ses éditeurs ne risquent pas la ruine ; idem pour Gaston qui, contre toute attente, jouit d’une bonne presse et même d’un bon accueil public. Titeuf, Mortèle Adèle, Geluck, Joann Sfar et Manara sont assurés d’avoir une clientèle qui les suit. C’est un peu plus mitigé pour Blake & Mortimer et pour Corto Maltese, mais grosso modo, toutes ces séries notoires devraient tirer leur épingle du jeu.

Bataille de titans dans les librairies de bande dessinée : « Il y aura des morts ! »
Publicité pour Aya de Yopougon. Une bataille pour la visibilité.

Le premier problème qui se pose aux outsiders, c’est la visibilité dans les médias. « On a plein de beaux romans graphiques qui mériteraient une mise en avant, nous dit une attachée de presse, mais il n’y a plus de place dans les médias une fois que les vedettes sont passées... » Quelques titres tirent cependant réussissent à se faufiler entre les mailles : L’Histoire de Jérusalem de l’historien Vincent Lemire et du dessinateur Christophe Gaultier jouit d’une forte visibilité en raison de la présence du scénariste sur les plateaux TV et de l’actualité au Proche-Orient. Mais au-delà de cela, la visibilité est très difficile. Les éditeurs « moyens » compensent avec des campagnes de publicité, dans le métro parisien par exemple. C’est le cas pour Femme, Vie, Liberté, un collectif dirigé par Marjane Satrapi (L’Iconoclaste) célébrant le combat courageux des femmes iraniennes dans leur pays.

1629, la série de Xavier Dorison et Timothée Montaigne chez Glénat.

L’autre problème, c’est la place : car plein de séries secondaires, que ce soit dans la jeunesse, la BD tout public ou la BD adulte, ont leur légitimité sur les tables de nouveautés. Tous les titres produits de petits éditeurs alternatifs ou des ouvrages de niche, ne restent pas une journée en facing. Consultés, les éditeurs indépendants disent attendre le mois de janvier, le Festival d’Angoulême et les prix pour prendre leur revanche. C’est le cas par exemple pour Le Ciel dans la tête par Antonio Altarriba, Sergio García Sánchez & Lola Moral (Denoël Graphic), dans la sélection du FIBD et qui vient de recevoir le Prix de la Critique de l’ACBD..

Ainsi s’installe une nouvelle typologie et une nouvelle saisonnalité des productions de bande dessinée en France : en janvier, la BD indépendante a son quart d’heure de célébrité ; au printemps, les ouvrages de non-fiction et les séries moyennes peuvent respirer ; en juillet, les mangas sont à la fête ; à l’automne, les best-sellers des gros éditeurs.

Avec une prime pour les « marques-propriétaires » qui appartiennent aux éditeurs : Astérix, Gaston, Lucky Luke, Blake et Mortimer… qui profitent de budgets publicitaires bien plus conséquents, du fait de leur amortissement sur le fonds, que les auteurs et les ayants droits, ces « emmerdeurs »... Ainsi va le monde.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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16 Messages :
  • Des morts ? vu que ca marche, pourquoi arrêter. Pour Astérix 2 tous les ans c’est trop, il faut revenir à 4 ans, mais bon c’est Hachette maintenant... Ce qui est triste c’est pour les albums qui n’auront pas leur chance en cette fin d’année.

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  • "du fait de leur ammortissemnt sur le fonds, que les auteurs et les ayants droits, ces « emmerdeurs »..."

    Manque un e à ammortissement.

    Et ces « emmerdeurs », sont-ce les auteurs et les ayants droits ou seulement les ayants droits ?

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    • Répondu par aze290 le 5 décembre 2023 à  20:38 :

      "du fait de leur ammortissemnt sur le fonds, que les auteurs et les ayants droits, ces « emmerdeurs »..."

      Manque un e à ammortissement.

      ... et il y a un "m" en trop !

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    • Répondu le 5 décembre 2023 à  23:13 :

      Les deux, non ?

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    • Répondu par Sergio Salma le 6 décembre 2023 à  09:37 :

      Haha . Maître Capelovici c’était mieux avant .
      Vous avez un m en trop en échange, de quoi vous plaignez-vous ? Et tant qu’on y est , au pluriel , faut écrire ayants droit .

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      • Répondu le 6 décembre 2023 à  12:40 :

        Bien vu !
        Je n’avais vu que le coquille.
        Et un droit d’auteur suffit, plus, faut pas rêver !

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    • Répondu par claude le 11 décembre 2023 à  08:53 :

      et puis si on lui enlève un m c’est encore mieux !

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  • “idem pour Gaston qui, contre toute attente, jouit d’une bonne presse et même d’un bon accueil public.”
    Contre toute attente j’en doute avec l’ampleur de la promotion et le buzz du procès. De mon point de vue, on aurait pu laisser Gaston dormir peinard tant le match est perdu d’avance pour ceux qui se mesurent à Franquin, mais les Dieux ont soif ...

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    • Répondu par Lena M. le 5 décembre 2023 à  20:59 :

      Oui, mais bon vous avez vu les publicités géantes dans le métro et sur les bus parisiens ? Pour une fois, Dupuis a cassé sa tirelire !

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    • Répondu par Kyle William le 5 décembre 2023 à  21:45 :

      Les morts, c’est les nouveaux personnages, les nouvelles histoires, les nouvelles idées… Dans le manga, il y en a pléthore. Dans la BD de fiction européenne, bouffée par la nostalgie et au public toujours plus vieillissant, allo, y a quelqu’un ?

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    • Répondu par Big Charlie le 6 décembre 2023 à  08:00 :

      Voilà qu’Alix n’est même plus cité dans ce genre d’article, malgré un très bon album sorti récemment.
      Qu’a fait Casterman en proposant des albums s’éloignant du style Martin ?
      Simplement perdre des lecteurs, album après album...dont moi !

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  • C’est vrai que ça vend surtout que des gros titres, on peut le voir dans les vidéos youtube où seuls les vidéos de grosses franchises font de l’audience, c’est d’ailleurs un reproche assez récurrent du Chef Otaku, l’un des très rares youtuber de bd/manga/comic à vivre de cette niche culturelle, qui est forcé de traiter les principaux mangas parce que ses autres vidéos ne le font pas vivre (voir que ça l’handicap car ça pousse les gens à se désabonner, ce qui pousse l’algo de recommandation à ne plus le recommander, c’est un cercle vicieux) et ces mangas se comptent seulement sur les doigts des deux mains donc ça fait pas beaucoup de variété, passé le top 10 les ventes dégringole et on comprend que les gens ne s’intéressent finalement pas plus que ça à la bd ou au manga. C’est aussi ce que certains éditeurs et journalistes constatent quand ils vont sur le podcast de la cinquième de couv, mais bon on remarque qu’ils essayent quand même de proposer autre chose même si c’est à perte mais ça pose un problème de continuité d’une franchise mineur où le risque est grand de ne pas voir la fin de la série...
    Perso j’en ai marre des articles tintin où il n’y a plus de nouveautés à attendre, des articles gaston lagaff, lucky luke ou astérix dont je trouve les nouveaux titres de ces franchises hasbeen, en général je ne clique pas dessus, moi je lis les autres actus et j’attends d’autres franchises, mais le site traite ça et ce n’est pas pour rien, donc que peut on faire finalement, c’est comme la téléréalité, tout le monde crache dessus et encense Arte mais la téléréalité continue car finalement il y’a beaucoup de monde qui la regarde et on est que 4 à regarder Arte.

    D’ailleurs ce site fait beaucoup de vues ? Il paye ses auteurs avec l’argent dégagé ? Dans un pays qui est l’un des fers de lance du support bd mondial, on pourrait se dire qu’il y’ait du trafic et que l’argent coule tellement à flot qu’actubd est le Vogue flamboyant des années 90 pour la bd. Mais bon on se doute un peu que c’est pas le cas.

    Au final la bd fonctionne comme le net, c’est que de la prime au gagnant, ce sont les 10 plus grosses franchises qui sont connues, ce sont les 10 plus gros sites d’actus qui sont connus, ce sont les 10 plus gros éditeurs qui sont connus, ce sont les 10 plus gros sites de ventes qui sont connus, en gros ce qui est connu c’est surtout grâce à la page 1 de google et les gens ne s’intéressent pas à ce qu’il y’a dans les pages d’après.
    Après on ne peut pas dire que les bd soient biens indexées et c’est encore pire pour les mangas, à partir du moment où vous voulez par exemple du cyberpunk, je vous dit pas le calvaire pour trouver autre chose que cyberpunk 2077, akira ou appleseed... donc ça empire encore ce phénomène.

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  • Pour un collectionneur de bd franco-belge au portefeuille moyennement fourni, et qui n’a pour humble ambition que de compléter ses séries en cours, cette année c’est un enfer :
    - le prix des bd a augmenté et le nombre de sorties de classiques est démentiel
    - les sorties bd sont - sauf exception - de qualité et pas question de passer à côté du dernier largo winch, saint-elme ou thorgal …
    - pour un album on se retrouve de plus en plus souvent avec 2 ou 3 éditions différentes (par exemple gunmen of the west ou madeleine résistante…)
    - si en plus on veut découvrir de nouveaux auteurs, ou s’offrir une intégrale sympa, alors là c’est la ruine assurée, alors qu’il y a plein de nouveautés top

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  • On peut s’interroger sur le rôle des médias importants qui servent continuellement la soupe aux best-sellers sous licences. On a l’impression en lisant les articles que les Lucky Luke, les Astérix, les Blake & Mortimer sont toujours encore mieux que les précédents.
    Pourquoi mettent ils toujours en avant des auteurs "incontourbables", qui quoi qu’ils fassent, ce sera génial. Des Tardi, des Yslaire, des Bilal, des Sfar, par exemple. Ils peuvent illustrer l’annuaire téléphonique, et ils auront quand même les éloges de la presse.
    Alors qu’il y a des pépites des les grands éditeurs, comme chez les petits.

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    • Répondu par Lady Slexique le 10 décembre 2023 à  18:15 :

      Aucun rapport entre "le rôle des médias importants qui servent continuellement la soupe aux best-sellers sous licences" et des auteurs-vedettes comme " Tardi, des Yslaire, des Bilal, des Sfar, par exemple". Vous avez oublié l’excellent Sattouf. Tardi ne travaille plus trop sur Nestor Burma, quand aux autres, leur célébrité leur permet d’échapper à ce genre de travail de commande. Mais puisque vous parlez de pépites chez les petits éditeurs, pouvez vous nous donner des exemples précis, en dehors de la fameuse liste du FIBD ? Merci d’avance, je suis toujours curieuse de découvrir, même si j’hésite avant d’ouvrir mon porte-monnaie !

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      • Répondu par Lady Slexique le 12 décembre 2023 à  18:46 :

        Pas de réponse du "petit éditeur", comme il doit y en avoir plus de deux cent en France-Belgique-territoires francophones, cela m’évitera de chercher en vain des livres difficiles à trouver à la Fnac ou chez un Canal-BD (certains libraires situés dans les quartiers parisiens "branchés" (les Halles, Bastille, Belleville-Ménilmontant) proposent un choix assez large de productions petites, ou plutôt alternatives par rapport aux grands méchants éditeurs de BD qui ne pensent qu’à vendre leur soupe à un public de masse (pas Francis, bien sûr, uhuhuh).
        Qui dit gros tirages dit popularité spontanée, incontestable,, quand il s’agit de séries qui ont bercé plusieurs générations de lecteurs, je pense à Tintin (quelle chance que Hergé ait bien stipulé "je ne veux pas de continuation après ma mort, (Adèle)". Pour les séries de Goscinny ou pour les amis Black et Decker, pardon, Blake et Mortimer, pour les séries de Roba ou de Peyo, pas de problèmes ! Idem pour les séries de JVH, c’est bien, cela lui permet de completer sa retraite ! Moi, je préfère les pépites au chocolat, je vais continuer mes recherches !

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