« Il y aura des morts ! », telle est la prédiction que l’on retrouve le plus souvent dans la bouche des libraires. Jamais on n’avait vu un tel ensemble de nouveautés notoires débouler sur le marché en même temps : Astérix, Gaston Lagaffe, Titeuf, Mortelle Adèle, Le Chat de Geluck, Le Nom de la Rose de Umberto Eco & Milo Manara, Blacksad, Largo Winch, le Blake et Mortimer de Floch…
Imaginez les piles, d’autant qu’il y a de puissants outsiders : le Spirou de Dany & Yann (Dupuis), le Corto Maltese de Bastien Vivès & Martin Quenehen, Madeleine résistante de Jean-David Morvan, Madeleine Riffaud & Dominique Bertail (Dupuis), le 12e Chat du rabbin de Joann Sfar (Dargaud) soutenu par une [grande expo au Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme à Paris, le Lucky Luke de Blutch… Ils sont venus, ils sont tous là (air connu)… Au chevet de la, ou d’une certaine, bande dessinée ?
Il faut bien en convenir : les têtes de gondoles ont en moyenne, comme un Good Old Wiskey, une moyenne de trente ans d’âge. Des valeurs sûres qu’il n’est pas besoin d’argumenter auprès des libraires, le scoring, cette intelligence artificielle des tiroirs-caisse, assurant une présence massive sur les points de vente.
Un marché saturé… mais pas pour tout le monde
Donc, c’est confirmé, il y aura des morts. « C’est quand la mer se retire qu’on voit ceux qui se baignent nus. » théorisait Warren Buffet. Mais qui ? Pas Astérix qui, même s’il est annoncé en baisse par rapport au précédent, offre des volumes tellement importants que ses éditeurs ne risquent pas la ruine ; idem pour Gaston qui, contre toute attente, jouit d’une bonne presse et même d’un bon accueil public. Titeuf, Mortèle Adèle, Geluck, Joann Sfar et Manara sont assurés d’avoir une clientèle qui les suit. C’est un peu plus mitigé pour Blake & Mortimer et pour Corto Maltese, mais grosso modo, toutes ces séries notoires devraient tirer leur épingle du jeu.
Le premier problème qui se pose aux outsiders, c’est la visibilité dans les médias. « On a plein de beaux romans graphiques qui mériteraient une mise en avant, nous dit une attachée de presse, mais il n’y a plus de place dans les médias une fois que les vedettes sont passées... » Quelques titres tirent cependant réussissent à se faufiler entre les mailles : L’Histoire de Jérusalem de l’historien Vincent Lemire et du dessinateur Christophe Gaultier jouit d’une forte visibilité en raison de la présence du scénariste sur les plateaux TV et de l’actualité au Proche-Orient. Mais au-delà de cela, la visibilité est très difficile. Les éditeurs « moyens » compensent avec des campagnes de publicité, dans le métro parisien par exemple. C’est le cas pour Femme, Vie, Liberté, un collectif dirigé par Marjane Satrapi (L’Iconoclaste) célébrant le combat courageux des femmes iraniennes dans leur pays.
L’autre problème, c’est la place : car plein de séries secondaires, que ce soit dans la jeunesse, la BD tout public ou la BD adulte, ont leur légitimité sur les tables de nouveautés. Tous les titres produits de petits éditeurs alternatifs ou des ouvrages de niche, ne restent pas une journée en facing. Consultés, les éditeurs indépendants disent attendre le mois de janvier, le Festival d’Angoulême et les prix pour prendre leur revanche. C’est le cas par exemple pour Le Ciel dans la tête par Antonio Altarriba, Sergio García Sánchez & Lola Moral (Denoël Graphic), dans la sélection du FIBD et qui vient de recevoir le Prix de la Critique de l’ACBD..
Ainsi s’installe une nouvelle typologie et une nouvelle saisonnalité des productions de bande dessinée en France : en janvier, la BD indépendante a son quart d’heure de célébrité ; au printemps, les ouvrages de non-fiction et les séries moyennes peuvent respirer ; en juillet, les mangas sont à la fête ; à l’automne, les best-sellers des gros éditeurs.
Avec une prime pour les « marques-propriétaires » qui appartiennent aux éditeurs : Astérix, Gaston, Lucky Luke, Blake et Mortimer… qui profitent de budgets publicitaires bien plus conséquents, du fait de leur amortissement sur le fonds, que les auteurs et les ayants droits, ces « emmerdeurs »... Ainsi va le monde.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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