C’est ce qui s’appelle jouer avec le feu.
Depuis près de vingt ans, Moulinsart SA, dirigé par M. Nick Rodwell, l’époux de la seconde femme de Georges Remi alias Hergé. essuie une véritable guérilla. A dire vrai, elle avait été entamée du vivant même du maître de Bruxelles lorsque, en 1975, les Situationnistes avaient détourné l’œuvre d’Hergé pour en faire des happenings. Entre les éditions pirates de Tintin au Pays des Soviets tentant de faire rendre gorge à l’anticommunisme de son auteur, les parodies sexuelles, notamment celles de Jan Bucquoy, les éditions non-autorisées et les broncas médiatiques des opposants de Moulinsart, la tintinologie se nourrissait pour ainsi dire de cette « révolte » contre des ayants droit « abusifs ». Comme toute geste héroïque, ce combat avait, bien entendu, ses martyrs.
Bob Garcia est désormais l’un d’eux. Il était l’auteur de plusieurs ouvrages sur Hergé et son analyse, parfois inspirée, apparaissait le plus souvent superficielle pour les commentateurs. Problème : jamais Moulinsart ne lui avait accordé le droit d’utiliser la marque ou les vignettes de Tintin. Il se les était arrogés, par « esprit de résistance » ou par défi. Encore récemment, au moment où Moulinsart lançait le Musée Hergé à Louvain La Neuve, Bob Garcia apparaissait au journal de 20 heures comme le porte-parole de cette contestation.
La société Moulinsart, assise sur des mètres cube de jurisprudence en sa faveur, ne tarda pas à l’attaquer en justice, comme nous l’indiquions dans un précédent article. Elle était d’autant moins encline à la mansuétude que ce genre d’intervention médiatique ne pouvait que l’irriter davantage.
Cette irritation redoubla lorsque, dans un premier temps, l’affaire tourna en faveur de l’insurgé : le 22 mai 2008, en première instance, le Tribunal de Nanterre, tout en donnant raison sur certains points à Moulinsart, accordait à Bob Garcia le droit de reproduire les vignettes d’Hergé au titre de « courtes citations ». Moulinsart interjeta aussitôt appel.
Jurisprudence
Hélas pour Bob Garcia, la suite lui fut défavorable.
Premier coup de semonce : le 9 juillet 2009, dans un autre procès, l’éditeur d’une parodie, Le Léopard masqué se faisait lourdement condamner par le Tribunal de Grande Instance d’Evry pour « parasitisme » après avoir publié une parodie intitulée « Saint-Tin »,. La parodie ne justifie en aucun cas un usage extensif des signes distinctifs issus de l’œuvre d’Hergé conclut le tribunal.
C’est la Cour d’Appel de Versailles qui, dans un arrêt du 17 septembre 2009 donne le coup de grâce : renversant la décision du Tribunal de Première Instance, elle considére que : « …la citation s’entend par nature d’un extrait, d’un passage, d’une œuvre constituant un tout, et qui a pour finalité d’illustrer la pensée de son auteur ; que dans le cas accompagnés de textes, il s’agit essentiellement d’une œuvre graphique dont seule une reproduction, totale ou partielle, peut traduire les formes et l’esthétique ; […] Que ces vignettes, individualisées, sont des œuvres graphiques à part entière, protégeables en elles-mêmes, indépendamment de l’ensemble et de l’enchaînement narratif dans lequel l’auteur les a intégrées ; que ces vignettes constituent des reproductions intégrales de l’œuvre d’HERGE ; Considérant que cette reproduction intégrale ne peut pas relever de l’exercice du droit de courte citation prévu par l’article L 122-5-3° du code de la propriété intellectuelle. »
En clair, dans ce cas précis, la citation graphique n’existe pas et l’usage d’une vignette de Tintin sans l’autorisation des ayants droit est illicite.
Par conséquent, le tribunal condamna Bob Garcia et son éditeur à payer des dommages et intérêts à Moulinsart (30.000 euros) et à Fanny Rodwell, la légataire universelle d’Hergé (10.000 euros) en plus des frais judiciaires (environ 8000 euros).
Par ailleurs, le site Internet FNAC Direct qui avait distribué ces ouvrages a également été condamné pour avoir diffusé l’œuvre litigieuse.
De lourdes conséquences
La suite est douloureuse pour l’écrivain, le 21 octobre 2009 : « Au terme de quatre ans de procès assidu, écrivait-il la semaine dernière à quelques journalistes, les sympathiques et dynamiques ayant-droit de l’œuvre de Hergé sont parvenus à me faire condamner à payer 48.610,19 euros pour contrefaçon. Il est vrai que j’ai publié 5 ouvrages au tirage de 500 ex par titre, dont certains contiennent quelques images de Tintin... Du coup, histoire de marquer le coup, les ayant-droit m’ont envoyé les huissiers pour "saisie-vente" de ma maison. Je ne critique pas le côté farce, mais côté fair-play, il y aurait à redire, surtout que j’avais demandé un délai par voie d’avocat trois jours plus tôt en expliquant que j’étais sans le sous... Quoi qu’il en soit, je reste confiant car j’ai déjà réuni la somme significative de 10,19 euros. Il ne me reste donc plus que 48.600 euros à trouver en deux jours. »
Selon son président, Laurent Debarre s’exprimant dans notre forum, l’association Promocom est acculée au dépôt de bilan
Sur son blog, le biographe d’Hergé Pierre Assouline relaie le témoignage de la « victime ». Il est vrai que cette affaire ouvre la possibilité aux ayants droit, quels qu’ils soient –auteurs ou héritiers « abusifs »- d’interdire l’usage d’une image à tout commentateur de l’œuvre qui ne recevrait pas leur imprimatur.
Ce qui ressemble bien à une censure préalable ne peut mener qu’à une « berlusconisation » de l’information. La seule alternative est que le législateur corrige cette anomalie de la loi qui entrave de façon manifeste la liberté d’expression.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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En médaillon : Bob Garcia par Nicolas Anspach.
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