Nous découvrons, depuis les élections récentes de Pascal Ory et de Catherine Meurisse, dans le domaine de la bande dessinée, ce monde compassé et à la réputation poussiéreuse que sont les académies.
Pourtant, la présence du 9e art sous la Coupole n’est que justice. Dès la fin des années 1960, la bande dessinée s’enseigne. Rappelons que l’Institut Saint-Luc à Bruxelles avait créé une classe de bande dessinée à la demande d’Hergé en 1968 car ce dernier manquait de bras qualifiés pour son studio. Ce poste avait été occupé par Eddy Paape. On sait combien cette école, précurseur dans le domaine, a pesé sur la création contemporaine et le nombre d’institutions en France qui l’ont suivie.
L’Académie des Beaux-Arts, ce n’est pas rien : créée en 1648, elle s’abrite sous la coupole de l’Institut de France qui a reçu le mois dernier en son sein Catherine Meurisse laquelle, hasard du calendrier, est aussi, avec Alison Bechdel et Riad Sattouf, dans la short list du Grand Prix de la Ville d’Angoulême qui sera décerné à la fin du mois.
Restait à savoir où on allait placer la bande dessinée… Dans une section « gravure et dessin » au périmètre nouvellement créé. Guibert succède ainsi au peintre et dessinateur Pierre-Yves Trémois, Grand Prix de Rome, décédé à 99 ans et dont l’œuvre incarne, par ses anatomies et ses compositions, quasiment jusqu’au cliché, le travail académique.
Un parcours exemplaire et atypique
Ce sera un peu moins le cas pour Emmanuel Guibert. Nous avons pu souvent écrire que la bande dessinée, un art à la grande liberté technique, était par excellence un conservatoire des styles de dessin. On n’imagine pas en peinture un appel de note aux graveurs du XIXe siècle aussi massif qu’un Schuiten dans la bande dessinée. S’il fallait caractériser le dessin d’Emmanuel Guibert, un dessinateur né en 1964, on serait bien embêté. Ce féru des techniques et des procédés graphiques aura tout essayé dans une carrière atypique.
Elève de l’école Hourdé puis de l’École nationale supérieure des Arts Décoratifs de Paris qu’il abandonne très vite, il est caractéristique de la génération des années 1990 qui va émerger avec L’Association. Il publie notamment dans la revue Lapin et fonde le fameux atelier des Vosges aux côtés notamment d’Émile Bravo, Christophe Blain et Joann Sfar. Des auteurs qui passent parallèlement (il faut bien croûter) de l’édition alternative aux grandes officines classiques (Dargaud, Dupuis, Bayard...) lesquels trouvent dans ces nouvelles signatures matière à renouvellement.
Cela donne, sur un scénario de Sfar, La Fille du professeur (Dupuis, 1998), Alph’art coup de coeur et Prix René Goscinny au Festival d’Angoulême en 1998. S’ensuit Capitaine écarlate, sur un scénario de David B à la technique déjà très différente (Dupuis, 2000). Toujours avec Joann Sfar, il débute la série pour enfants Sardine de l’espace (2002) dont il écrit d’abord le scénario avant d’en assurer aussi le dessin. Une série toujours en cours chez Dargaud, actuellement dessinée par Mathieu Sapin. On lui doit aussi, dans une technique complètement différente, la série, hélas inachevée, Les Olives noires (Dupuis, 2001) avec Joann Sfar au scénario.
Mais son premier coup d’éclat majeur, c’est à L’Association qu’il le réserve en transposant les souvenirs du GI américain Alan Ingram Cope, La Guerre d’Alan (L’Association, 2000), suivi de L’Enfance d’Alan (2012) et de Martha et Alan (2016). Un dessin simple, quasiment académique, dont la matière première est l’humain.
Autre coup d’éclat : Le Photographe avec le photojournaliste Didier Lefèvre et Frédéric Lemercier (2003) qui mêle habilement photos et dessins. Dans Alan comme dans Le Photographe, Emmanuel Guibert place l’humain au cœur de ses récits. Le tournant des années 2000 est faste pour Guibert qui crée aussi la série pour la jeunesse Ariol avec Marc Boutavant au dessin (Bayard, 2000). On lui doit aussi un récit sans images, Mike, publié chez Gallimard (2021).
Couvert de distinctions
Récemment, il publie chez Aire Libre le deuxième tome de Légendes : Dormir dans les transports en commun, un joli livre de dessins faisant le portrait de dormeurs abandonnés dans leur sommeil, un petit bijou graphique pleine d’empathie et de bienveillance.
Ces différentes œuvres le voient couvert de distinctions et de prix parmi lesquels le Grand Boum de Blois (2009), un Eisner Award et un Prix Micheluzzi (2010), le très réputé Prix Goscinny du scénario (2017) et le Grand Prix du 47e Festival International de la bande dessinée d’Angoulême en 2020.
Il n’était pas non plus un inconnu pour l’Institut de France puisque son exposition « Biographies dessinées » avait été accueille au Pavillon Comtesse de Caen de l’Académie des beaux-arts dans le cadre de l’année « BD 2020 ».
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Photos : D. Pasamonik (L’Agence BD)
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