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Emmanuel Guibert élu membre de la section de gravure et de dessin de l’Académie des beaux-arts

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 13 janvier 2023                      Lien  
Catherine Meurisse n’est plus seule : elle est rejointe cette semaine par Emmanuel Guibert qui a été élu par ses pairs cinquième membre de la section de gravure et de dessin de l’Académie des Beaux-Arts au fauteuil II précédemment occupé par Pierre-Yves Trémois (1921-2020). Une élection qui doit être soumise au Président de la République, protecteur de l’Académie, pour sa nomination. Il rejoint donc, outre sa collègue Catherine Meurisse, le graveur aquafortiste français Erik Desmazières, la graveuse et peintre Astrid de La Forest, et le dessinateur, peintre et graveur français Pierre Collin.

Nous découvrons, depuis les élections récentes de Pascal Ory et de Catherine Meurisse, dans le domaine de la bande dessinée, ce monde compassé et à la réputation poussiéreuse que sont les académies.

Pourtant, la présence du 9e art sous la Coupole n’est que justice. Dès la fin des années 1960, la bande dessinée s’enseigne. Rappelons que l’Institut Saint-Luc à Bruxelles avait créé une classe de bande dessinée à la demande d’Hergé en 1968 car ce dernier manquait de bras qualifiés pour son studio. Ce poste avait été occupé par Eddy Paape. On sait combien cette école, précurseur dans le domaine, a pesé sur la création contemporaine et le nombre d’institutions en France qui l’ont suivie.

L’Académie des Beaux-Arts, ce n’est pas rien : créée en 1648, elle s’abrite sous la coupole de l’Institut de France qui a reçu le mois dernier en son sein Catherine Meurisse laquelle, hasard du calendrier, est aussi, avec Alison Bechdel et Riad Sattouf, dans la short list du Grand Prix de la Ville d’Angoulême qui sera décerné à la fin du mois.

Emmanuel Guibert élu membre de la section de gravure et de dessin de l'Académie des beaux-arts
Emmanuel Guibert

Restait à savoir où on allait placer la bande dessinée… Dans une section « gravure et dessin » au périmètre nouvellement créé. Guibert succède ainsi au peintre et dessinateur Pierre-Yves Trémois, Grand Prix de Rome, décédé à 99 ans et dont l’œuvre incarne, par ses anatomies et ses compositions, quasiment jusqu’au cliché, le travail académique.

Un parcours exemplaire et atypique

Ce sera un peu moins le cas pour Emmanuel Guibert. Nous avons pu souvent écrire que la bande dessinée, un art à la grande liberté technique, était par excellence un conservatoire des styles de dessin. On n’imagine pas en peinture un appel de note aux graveurs du XIXe siècle aussi massif qu’un Schuiten dans la bande dessinée. S’il fallait caractériser le dessin d’Emmanuel Guibert, un dessinateur né en 1964, on serait bien embêté. Ce féru des techniques et des procédés graphiques aura tout essayé dans une carrière atypique.

Elève de l’école Hourdé puis de l’École nationale supérieure des Arts Décoratifs de Paris qu’il abandonne très vite, il est caractéristique de la génération des années 1990 qui va émerger avec L’Association. Il publie notamment dans la revue Lapin et fonde le fameux atelier des Vosges aux côtés notamment d’Émile Bravo, Christophe Blain et Joann Sfar. Des auteurs qui passent parallèlement (il faut bien croûter) de l’édition alternative aux grandes officines classiques (Dargaud, Dupuis, Bayard...) lesquels trouvent dans ces nouvelles signatures matière à renouvellement.

Cela donne, sur un scénario de Sfar, La Fille du professeur (Dupuis, 1998), Alph’art coup de coeur et Prix René Goscinny au Festival d’Angoulême en 1998. S’ensuit Capitaine écarlate, sur un scénario de David B à la technique déjà très différente (Dupuis, 2000). Toujours avec Joann Sfar, il débute la série pour enfants Sardine de l’espace (2002) dont il écrit d’abord le scénario avant d’en assurer aussi le dessin. Une série toujours en cours chez Dargaud, actuellement dessinée par Mathieu Sapin. On lui doit aussi, dans une technique complètement différente, la série, hélas inachevée, Les Olives noires (Dupuis, 2001) avec Joann Sfar au scénario.

Mais son premier coup d’éclat majeur, c’est à L’Association qu’il le réserve en transposant les souvenirs du GI américain Alan Ingram Cope, La Guerre d’Alan (L’Association, 2000), suivi de L’Enfance d’Alan (2012) et de Martha et Alan (2016). Un dessin simple, quasiment académique, dont la matière première est l’humain.

Autre coup d’éclat : Le Photographe avec le photojournaliste Didier Lefèvre et Frédéric Lemercier (2003) qui mêle habilement photos et dessins. Dans Alan comme dans Le Photographe, Emmanuel Guibert place l’humain au cœur de ses récits. Le tournant des années 2000 est faste pour Guibert qui crée aussi la série pour la jeunesse Ariol avec Marc Boutavant au dessin (Bayard, 2000). On lui doit aussi un récit sans images, Mike, publié chez Gallimard (2021).

Couvert de distinctions

Récemment, il publie chez Aire Libre le deuxième tome de Légendes : Dormir dans les transports en commun, un joli livre de dessins faisant le portrait de dormeurs abandonnés dans leur sommeil, un petit bijou graphique pleine d’empathie et de bienveillance.

Ces différentes œuvres le voient couvert de distinctions et de prix parmi lesquels le Grand Boum de Blois (2009), un Eisner Award et un Prix Micheluzzi (2010), le très réputé Prix Goscinny du scénario (2017) et le Grand Prix du 47e Festival International de la bande dessinée d’Angoulême en 2020.

Il n’était pas non plus un inconnu pour l’Institut de France puisque son exposition « Biographies dessinées » avait été accueille au Pavillon Comtesse de Caen de l’Académie des beaux-arts dans le cadre de l’année « BD 2020 ».

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9791034769513

Photos : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Dupuis L’Association Bayard Jeunesse ✏️ Emmanuel Guibert
 
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16 Messages :
  • Académique, le dessin de la Guerre d’Alan ? Qu’entendez-vous pas là ?

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    • Répondu le 13 janvier 2023 à  16:52 :

      Ben tout ce que fait Guibert est académique.

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      • Répondu par Syl le 13 janvier 2023 à  18:01 :

        Et vous, vous faites quoi ? Le niveau d’aigreur des commentaires sur ce site est abyssal. Emmanuel Guibert est un virtuose, un immense dessinateur. Il n’y a qu’a pratiquer soit même pour s’en rendre compte.

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        • Répondu le 13 janvier 2023 à  20:12 :

          Bah il est d’autant plus académique qu’il est maintenant à l’Académie.

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          • Répondu le 13 janvier 2023 à  22:30 :

            Ben oui pour être académique, il faut avoir un super niveau en dessin. C’est son cas. C’est un très bon dessinateur. C’est dommage qu’il reste encore un peu académique mais il peut encore évoluer peut-être.

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            • Répondu par RDevelder le 14 janvier 2023 à  10:03 :

              Toujours des donneurs de leçon qui viennent coller un "peu mieux faire" à des artistes qui ne leur ont rien de demandé. Et notez bien que c’est toujours de manière anonyme... manquerait plus qu’ils soient courageux.

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            • Répondu le 14 janvier 2023 à  11:21 :

              Je ne suis pas anonyme, je suis juste un inconnu ! Ça ne m’empêche pas d’être fan de Bd et de dessin depuis plus de 50 ans ! Pardonnez-moi d’avoir un avis sur le sujet. Dans une autre page, on parle d’Hermann. Voilà quelqu’un qui a été un immense dessinateur tout en se gardant toute sa vie de tomber dans l’académisme. Guibert est habile, Emmanuel Lepage aussi et dans cette génération ils sont peu nombreux. On peut ajouter Bertail et Démarez qui sont plus jeunes encore. Tous ces gens sont très habiles techniquement mais je les trouve trop académiques. Pardonnez-moi de préférer Moebius, jijé, Hermann, Gillon, Joe Kubert, Breccia, Jordi Bernet, Alex Toth et plein d’autres… tous grands techniciens du dessin mais avec quelque chose en plus qui les éloigne de l’académisme.

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  • Bon, en fait, ma question s’adressait surtout à l’auteur de l’article.

    Si l’on s’en tient à la définition du Robert ("qui suit les règles conventionnelles, avec froideur ou prétention"), alors je ne trouve pas que Guibert, dans La Guerre d’Alan en particulier, soit "académique" et "conventionnel", bien au contraire. Lorsque j’ai découvert les premières planches dans la revue Lapin il y a plus de vingt ans, j’étais frappé de voir à quel point son style s’affranchissait des conventions de l’époque, justement, la manière qu’il avait d’évoquer, de styliser, de laisser le blanc de la page s’exprimer, de travailler la matière, d’expérimenter les techniques, avec la pipette à eau notamment (pour introduire une forme d’aléatoire dans son dessin)...

    Si vous faites référence à l’académisme en peinture, ce courant pictural du XIXe siècle, alors là encore, désolé, mais je vois peu de point commun entre Guibert et des peintres comme David ou Cabanelle, leurs outrances romantiques et leurs représentations quasi anatomiques du corps humain.

    Je vois bien que sur ce forum certains sont contents de le taxer d’"académique" parce qu’ils n’aiment pas son travail et trouvent ici une manière de dénigrer son talent (ce qui n’est pas le cas de l’article de M. Didier Pasamonik). Mais bon, les mots ont un sens.

    Académique ou pas, Emmanuel Guibert a en tous cas toute sa place à... l’Académie des Beaux-Arts. Bravo à lui ! Emmanuel, L’adolescence d’Alan, c’est quand tu veux.

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    • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 14 janvier 2023 à  14:18 :

      Bonjour, il est écrit "quasiment académique" après que l’on ait pris soin de signaler que « féru des techniques et des procédés graphiques, [Guibert] aura tout essayé dans une carrière atypique. » La Guerre d’Alan, bien qu’au sommet de la qualité artistique et narrative, reste d’une grande sobriété dans l’expression. Ce n’est ni un manifeste, ni une œuvre révolutionnaire pour le médium. Comme l’œuvre d’Hergé, en somme. Il y a une forme de classicisme dans la mesure où les codes sont à ce point maîtrisés qu’on peut les enseigner. C’est en cela que je crois qu’il est "quasiment académique". Rien de méprisant là-dedans, au contraire. Ne lisez pas le Robert de façon trop étroite ;)

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      • Répondu par RD le 14 janvier 2023 à  14:53 :

        Merci pour votre éclaircissement – je ne voyais pas pour ma part, dans votre article, de mépris, comme je l’ai précisé dans mon commentaire. Ceci dit, je pense que classicisme, sobriété et académisme sont des choses bien différentes. Et si La guerre d’Alan n’est peut-être pas révolutionnaire, le livre était, dans son approche graphique et narrative, quand même très novateur au moment de sa sortie, même si aujourd’hui il est devenu... un classique.

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    • Répondu le 14 janvier 2023 à  14:31 :

      Le mot "académique" ne concerne pas que les peintres pompiers du XIXé siècle. D’ailleurs, ce n’est pas parce que certains ont qualifié Guibert "d’académique" que vous êtes obligé de penser comme les autres. Guibert peut très bien rester votre héros, c’est parfait. Il faut quand même remarquer qu’il entre à… l’académie. Et quand on compare son travail aux autres noms cités par l’internaute ci-dessus (Kubert, Bernet, Toth etc) on ne peut que constater qu’en effet il est plus "classique", plus "scolaire" pourrait-on dire, mais c’est encore plus péjoratif qu’"académique". Par exemple, Guibert a mis un certain temps à se détacher de la doc-photo après le Photographe. Un dessinateur comme Gillon, lui aussi, utilisait abondamment la photo (comme la plupart des grands réalistes) mais il en fait plus vite quelque chose de plus personnel. Les débuts de GIllon sont hyper-académiques, l’influence d’Alex Raymond y est écrasante. Mais ensuite, il devient génial. Il faut se souvenir que Guibert a commencé en pratiquant une forme d’hyper-réalisme… et ensuite tout autre chose ! Sa carrière n’est donc pas terminée. Ce qui distingue aussi un académique d’un grand artiste, c’est parfois une certaine forme de maladresse qui va perdurer chez le grand artiste et disparaitre chez l’académique. Les académiques sont trop parfaits. Des auteurs comme Juillard ou Pellerin par exemple ont une base académique hyper-présente, mais il y a toujours une forme de raideur qui subsiste et qui constitue leur style. Attention, tout ceci est aussi question de regard et donc de subjectivité. C’est intéressant d’en discuter en tout cas.

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      • Répondu par Milles Sabords le 14 janvier 2023 à  16:49 :

        La guerre d’Alan n’a rien d’académique et se situe aux frontières de ce que va devenir de plus en plus le style roman-graphique. Le travail de Guibert tient plus de l’expérimentation, d’une narration où le rien devient un tout. On sent dans son travail une forme de minimalisme sur certaines planches et d’ailleurs, l’utilisation de la doc photo, sans se soucier de l’exactitude des perspectives, ou du rapport d’échelle des éléments dans la case, en est la démonstration. Je lui préfère plus le photographe, où son style graphique est moins dur, moins à la recherche d’une symbolique et plus instinctif. Le photographe est beaucoup plus charnel.

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  • Guibert est un des plus grands artistes de la bande dessinée contemporaine. Son entrée à l’académie n’y changera rien ( même si on est quand même un peu curieux de le voir en uniforme avec une épée )

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    • Répondu le 14 janvier 2023 à  16:15 :

      Je ne le considère pas comme un grand artiste et encore moins comme un contemporain. Il est un peu à part, un peu hors du temps, il poursuit une recherche personnelle et il a ses fans, c’est très bien pour lui.

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      • Répondu le 14 janvier 2023 à  18:29 :

        Il est bien vivant, il travaille, il est contemporain que ça vous plaise ou non :-)

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        • Répondu le 15 janvier 2023 à  11:27 :

          Pas fan de Guibert non plus mais il ne me dérange pas non plus. Il est discret et hors des modes.

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