Inuit - Par Baudoin & Troubs – L’association

Pour cette quatrième collaboration avec Troubs aux éditions L’Association, c’est Baudoin qui ouvre le récit en expliquant comment il a découvert la culture Inuit au musée d’Ottawa lorsqu’il était professeur à l’Université de Hull (devenue Gatineau depuis) au Québec, entre 2001 et 2003. Il se promet alors qu’un jour, il travaillera avec des artistes Inuit.

Inuit - Planche 1

© Baudoin - © Troubs - © L’Association

En 2020, les deux artistes décident de se rendre dans le Labrador et le Nunavut, deux provinces canadiennes où est implanté ce peuple mais la pandémie reporte leur projet de voyage à 2022. Leur objectif sur place est de recueillir les traces de cette culture, d’en rencontrer les actrices et acteurs et de voir comment elle a évolué.

Tel un vestige archéologique, l’ouvrage de Baudoin et Troubs a valeur de trace historique et dresse le portrait à l’instant T d’une civilisation en perdition qui essaie de se maintenir et de se reconstruire dans un monde qui change après des décennies d’acculturation et d’oppression par le gouvernement canadien et l’église catholique. Au cours de leur périple qui passe par la North West River, Goose Bay et Pangnirtung, les auteurs vont rencontrer et dessiner le portrait de nombreux Inuits, métissés pour la plupart, et leur demander de raconter leur parcours et de poser leurs réflexions sur l’avenir de la culture et de la civilisation inuite.

Inuit - Planche 3

Aperçu d’une des planches d’"Inuit"
© Baudoin - © Troubs - © L’association

Leurs rencontres avec un ancien maire, une bibliothécaire, un sculpteur, un activiste, un archéologue et plein d’autres profils leur fait dresser la situation sociologique, économique et écologique d’un peuple qui a perdu ses repères et s’efforce, grâce au dynamisme et à la volonté de sa jeunesse, de retrouver ses racines perdues.

Les problématiques sont nombreuses, et celle du racisme récurrente à plusieurs niveaux. La dépression, le manque de perspectives économiques, le dérèglement climatique et les traces laissées par l’oppression subie pendant des années en sont d’autres qui laissent leurs marques dans les anciennes et les nouvelles générations.

Inuit - Planche 4

© Baudoin - © Troubs - © L’association

La profusion de ces témoignages est à la fois la force et la faiblesse de cet ouvrage très documenté. La quantité de textes à lire et la redondance des propos souvent négatifs pourra rebuter un lectorat amateur de design épuré et de lectures moins bavardes.

Côté dessin, le trait est surprenant par sa variété, allant du crayon à l’aquarelle, ce qui rappelle au lecteur que les deux auteurs se partagent les planches dans la construction de leurs albums. Le crayonné noir et blanc domine et les intermèdes en couleurs apportent une respiration bienvenue dans la lecture des très nombreux textes. Quelques légendes sont ainsi magnifiquement représentées, comme celle de la naissance des aurores boréales.

Après Humains, la Roya est un fleuve, Baudoin et Troubs photographient à leur manière bien particulière la civilisation des Inuits canadiens à travers ce nouvel album dans lequel le bleu, couleur du froid et de la dépression, domine lorsque la couleur est utilisée.

Inuit - Planche 2

© Baudoin - © Troubs - © L’Association

Cet ouvrage magnifique n’apporte pas vraiment de réponse à la question "la culture inuit survivra-t-elle ?" mais atteint un autre objectif : celui de mettre en lumière une civilisation qui disparaît peu à peu et de graver son souvenir sur le papier.