Néerlandophone, Brecht Evens est né à Hasselt en 1983, mais vit à Paris depuis 2013. Ses premiers albums chez Actes Sud BD Les Noceurs (2010), Les Amateurs (2011), Panthère (2014), Les Rigoles (2018), et Idufania (2021) l’imposent comme un coloriste de premier plan. Il reçoit aussitôt de nombreux prix : le Prix Willy Vandersteen, le Prix de l’Audace du festival d’Angoulême, le prix Bédélys au Canada, le prix spécial du jury du festival d’Angoulême…
Face à un tel palmarès, son dernier ouvrage, en librairie le 17 janvier prochain, doit se démarquer. Et il le fait : on y découvre l’histoire d’un petit garçon, Arthur, qui vit une relation fusionnelle avec son père complotiste. Vivant sur une île, les deux personnages se croient en permanence observés par les « Dirigeants » et cherchent à participer à la résistance organisée par les « Alliés ».
D’une taille conséquente (288 pages), l’album surprend par un style et une esthétique extrêmement déroutants. Chaque page est construite de façon disruptive, et la relation père-fils, à la fois lumineuse et minée en arrière-fond par la dépression, touche le lecteur autant qu’elle l’interroge. D’où la réticence manifestée par Brecht Evens lorsqu’on lui demande de "pitcher" ses bandes dessinées...
Il balise ainsi les origines de son histoire : c’est un « délire d’interprétation » qu’il aurait lui-même vécu et qu’il décrit comme un « état où le cerveau tourne très vite » et « où l’imagination déborde ». Apparaît alors « un monde fantasmé » à la tonalité particulière, une vision agréable, bien différente d’une crise psychotique.
Son problème était toutefois de ne pas faire un personnage trop proche de ce qu’il était. D’où le choix de l’enfant, une petite personne dans un monde limité, qui ne risque guère de s’éparpiller dans le « million de stimulus » de son expérience délirante.
La figure enfantine présente un second avantage ; celui de renforcer cette impression d’isolement née du complotisme du père. Elle est là la connexion que Brecht Evens fait avec l’œuvre de J. K Rowlins, Harry Potter : comme dans la célèbre saga, un esprit chaleureux et communautaire naît d’un rejet partagé des forces du mal.
C’est ce qui explique aussi, selon son éditeur Thomas Gabison, le choix de l’île : en donnant à l’histoire un cadre spatial très limité, l’auteur parvient à renforcer l’intimité existant entre Arthur et son père – ce qui donne, selon les propres mots du Flamand, à leur vie commune une allure très « sectaire ».
Si les analyses donnent envie, reste à lire l’ouvrage. Nous en parlerons certainement dans un prochain article, où nous reviendrons aussi sur la place de la folie dans l’œuvre de Brecht Evens : du schizophrène des Amateurs au paranoïaque du Roi-Méduse , nous tâcherons d’y montrer comment le travail de l’auteur flamand s’accompagne toujours d’une remise en question de toute séparation trop marquée entre le normal et la pathologique.
(par Hippolyte ARZILLIER)
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