Comment en êtes-vous venu à rapprocher Bande Dessinée et Art Contemporain ?
Ce n’est pas tant ce rapprochement qui m’a intéressé que le grand bain des Arts plastiques. À partir de ce moment-là, mon travail, c’est de m’intéresser à tous les genres. C’est compliqué, il y a une volonté encyclopédique, mais je crois qu’on ne peut pas faire l’impasse maintenant de travailler sur l’art contemporain, sur la bande dessinée ou sur les arts plastiques, sans s’intéresser aux arts vivants, à la danse, au cinéma, à la littérature,… Alors évidemment, c’est compliqué. Pour moi, il était essentiel de s’intéresser à la bande dessinée qui, quand même, a des liens avec les autres arts. Il y a des domaines plus éloignés que les autres, mais il me semblait que le roman graphique entretient de ce point de vue un rapport plus étroit. Et puis, il y a de plus en plus d’artistes d’art contemporain qui font référence à la bande dessinée. Anne-Laure Sacriste qui est une artiste importante, me dit : « Moi, c’est plutôt Tintin qui m’a inspirée plutôt que Picasso. » Et pourtant, quand on voit ses paysages, on ne voit pas bien le rapport avec Tintin. Mais elle était impressionnée par le système graphique de la case. Je crois que les peintres rejoignent ce type de préoccupation : « Qu’est-ce qu’on peut lire dans une case ? »
La bande dessinée a eu son quart d’heure de célébrité lorsque qu’Andy Warhol et Roy Liechtenstein s’en sont saisis dans le Pop Art. Mais c’est un malentendu, apparemment.
De mon point de vue, c’est un malentendu. Les artistes du Pop ont pioché dans les objets de consommation : les lessives Brillo, les soupes de Campbell et bien entendu dans la bande dessinée. Parce que ce qui les intéressait dans une période où dominaient les Minimalistes, où dominait l’Abstraction, c’était d‘être dans une forme agressive vis-à-vis de ces genres dominants et de faire venir des signes et des couleurs populaires sur la surface de la trame. C’était une volonté transgressive. Il n’y avait pas ce désir de considérer la bande dessinée comme un art. Je crois qu’au fond d’eux-mêmes, la bande dessinée était restée un genre mineur. C’était trop tôt à la fin des années 1950 et au début des années 1960 pour avoir cette reconnaissance.
Il y a eu un moment privilégié qui a été l’exposition Bande Dessinée et Figuration narrative au Musée des Arts décoratifs en 1967 où la bande dessinée est mise en perspective avec la peinture contemporaine. Qu’est-ce qui justifie cette rencontre à ce moment-là ?
La volonté des acteurs qui militaient pour la bande dessinée à l’époque, des gens comme Pierre Couperie, Remo Forlani, … qui voulaient valoriser un genre qu’ils considéraient comme méprisé. Ils y ont réussi.
Sauf que dans le catalogue, la peinture a finalement peu de place et on voit d’ailleurs difficilement le rapport avec les bandes dessinées présentées…
Tout à fait, mais le rapport y était, car les artistes de la Figuration narrative qui étaient présents, comme Errò ou Télémaque, un mouvement en France qui était chez nous l’équivalent du Pop Art, allaient chercher dans la culture populaire des éléments d’expression. Donc, c’était déjà une première tentative. Il y en eut d’autres. Après, les choses se sont mises en place. Les Situationnistes qui luttaient eux aussi contre la hiérarchie des genres avaient également, du moins pour certains d’entre eux, ma volonté de faire venir sur la scène de l’art – considérée comme hype – des éléments nouveaux.
À New-York, il y a des initiatives du même type.
Oui, le grand moment, c’est en 1990, dans l’exposition « High and Low : Modern Art and Popular Culture » au Museum of Modern Art (MOMA) à New York où il y a une importante section consacrée à la bande dessinée dans l’expo et dans le catalogue. On a pu voir que des recherches importantes avaient été faites pour montrer comment le « low » (la bande dessinée) avait influencé le « high » (la peinture).
Quel est le cheminement jusqu’à l’exposition d’aujourd’hui ?
Jean-Marc Thévenet avait la volonté de faire une exposition sur la bande dessinée et l’art contemporain. Il avait l’intuition que la bande dessinée contemporaine où l’on trouve des artistes qui veulent briser les codes, qui sont conscients de leur histoire et qui veulent aller au-delà de cette histoire en dehors de tout académisme, pouvaient se rencontrer. Il m’a rencontré l’année dernière lors d’une conférence que j’ai donnée à l’exposition Vraoum à la Maison Rouge.
« Vraoum » est également une étape supplémentaire.
C’est un jalon très important parce que pour la première fois dans le même espace, des œuvres de bande dessinée et d’art contemporain étaient présentées à égalité de nombre et d’espace. Pierre Sterckx et David Rosenberg en étaient le binôme de commissaires.
Qu’attendez-vous de l’exposition du Havre ?
J’espère que les gens qui circuleront dans l’exposition saisiront que ces genres sont pour eux, qu’il n’y a plus de hiérarchie entre les genres. Qu’il n’y a plus de premier, ni de neuvième art. Que ce sont catégories que la bourgeoisie adore mettre en place pour mieux assurer son pouvoir. Ce sont dans ces genres qu’il va falloir trouver des critères. Alors, évidemment, c’est un peu plus compliqué, cela va créer des frottements, des dissensus. Mais je crois que c’est dans ces dissensus que se trouve la richesse.
Les bourgeois qui adorent investir dans l’art contemporain vont-ils « switcher » vers la bande dessinée ?
Il est tout à fait normal que les gens investissent dans les deux domaines. Ils y investissent une sensibilité, peut-être de l’argent, on ne sait pas. Mais cela ne nous concerne pas. Il y a toujours un moment où les dominants récupèrent ce qui est le plus transgressif, que ce soit les boîtes de merde de Manzoni ou l’art de la performance qui, justement, était censée échapper à tout cela. Qu’ils s’accaparent les reliques pour en faire un objet qui passe ensuite chez Christie’s ou Sotheby ! Pour moi, c’est une autre discussion, c’est une autre étape.
Propos recueillis par Didier Pasamonik
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Bande dessinée et art contemporain, la nouvelle scène de l’égalité
Du 1er au 30 octobre 2010
Au Havre dans divers lieux d’exposition (un document d’aide à la visite est disponible à l’Office du tourisme).
Tous les lieux d’exposition sont en accès libre et gratuit.
Des ateliers et des rencontres avec les artistes sont programmés. Contact médiation : Anne Broudic : mediation.biennale@wanadoo.fr
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