Le lapsus du jour vient du journaliste Fabrice Piault de Livres Hebdo. Dans une analyse d’un état du marché qui ne semble laisser ressortir aucune « crise » apparente, mais qui montre néanmoins quelques indices inquiétants que notre spécialiste s’est empressé de remettre dans son contexte, celui d’un marché du livre bien moins portant que la BD, il a pendant plusieurs secondes évoqué le « sceptre » de la crise…
Benoit Peeters, « grand témoin littéraire » de ces journées, a immédiatement pensé à Hergé et à l’attribut du monarque de la Syldavie. Eh non, c’était bien du redoutable « spectre » de la crise dont il s’agissait, et non du « sceptre » royal qui fit pleurer Tintin de joie. « Décalage horaire » se justifiait l’intéressé. Notre goût du persiflage apprécia tout de suite ce que cette notion d’éloignement signifiait par rapport à l’interrogation choisie par l’Université cette année, effectivement bien peu en phase avec les réalités de la bande dessinée et de son marché. [1]
« Chair à canon »
Charles Berberian mit néanmoins les points sur les « i » : si le marché a l’air d’être au mieux, les auteurs, en revanche, souffrent réellement. Ils ont l’impression d’être envoyés au front de la surproduction comme des poilus sur le Chemin des Dames. En un mot comme en cent, ils sont devenus de la chair à canon dans une bataille pour les parts de marchés dont les enjeux les dépassent. Cette impression a été renforcée par une expression de Grégoire Seguin, éditeur chez Delcourt, grand pourvoyeur de la surproduction actuelle, qui parla des auteurs comme d’une « matière première ». En l’occurrence, excusez encore notre mauvais esprit, la seule à ne pas augmenter ces temps-ci…
Louis Delas, président directeur général de Casterman, ne manqua pas de questionner le questionnement qui lui était proposé : On veut faire quoi ? Introduire des quotas qui interdiraient aux éditeurs de produire ? Sur quelle base et avec quels critères ? Il n’empêche, remarqua Jean-Louis Gauthey, l’éditeur de Cornélius, que la surproduction réduit la visibilité des nouveautés, plombe la rotation du fonds, et que les petits labels se retrouvent les plus défavorisés dans cette bataille, pas tant le sien ni de ses petits camarades de L’Association ou des Requins Marteaux, insista-t-il, que les nouveaux arrivants qui n’ont quasi aucune chance d’émerger dans la situation actuelle.
En parfait accord avec cette analyse, Louis Delas mit le doigt sur la dictature du « référent » qui consiste pour un libraire à utiliser la référence des ventes précédentes d’un auteur ou d’une série pour fixer la mise en place d’une nouveauté. En clair, si un tome 1 n’a pas vendu, l’auteur ou la série n’aura plus l’occasion de jouir d’une seconde chance. Ce scoring interdit toute expérimentation au profit d’une prétendue meilleure gestion du point de vente de la librairie.
Une manifestation débutante
On l’aura compris, cette première journée de la Troisième Université d’été d’Angoulême introduite par le directeur du Centre International de la Bande dessinée et de l’Image, M. Gilles Ciment, était studieuse [2]. Le public, composé d’étudiants (ça crayonnait dans tous les sens), de bibliothécaires, de libraires et de professionnels de l’édition, était d’une cinquantaine de personnes ce lundi. Il est clair que cette manifestation n’en est qu’à ses débuts. Elle a pour elle de favoriser une proximité et une convivialité en dehors de la furie du Festival d’Angoulême permettant à tout un chacun de rencontrer les nombreuses personnalités présentes : Dupuy & Berberian, Lewis Trondheim, Serge Honorez, directeur éditorial de Dupuis, Émile Bravo, les Angoumoisins Fabrice Neaud, Thierry Groensteen, Thierry Smolderen, Gérald Gorridge, Jean Mardikian, le chercheur italien Matteo Stefanelli, etc. À noter jeudi matin un module sur les mangas pourvu d’une visioconférence avec le Japon où seront présents l’auteure japonaise Nami Akimoto, le directeur du département recherche du Musée International du Manga de Kyôtô, Kan Shimamoto ou encore le chercheur de l’université Seika de Kyoto, Yu Ito.
Mathieu Sapin et Benoit Peeters sont respectivement les « Grand témoin graphique » et « Grand témoin littéraire » de ces journées. On souhaite qu’à l’avenir, les sujets seront un peu moins généralistes et plus orientés vers des réflexions susceptibles de faire avancer le métier plutôt que d’en alimenter stérilement les inquiétudes.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Photos : Didier Pasamonik (L’Agence BD)
[1] Cf. Notre article annonçant cette université d’été : « Discours de crise ».
[2] Le directeur du CBDI rendit à cette occasion un hommage à Annie Baron-Carvais, l’auteure du Que Sais-je ? sur la bande dessinée récemment disparue et qui avait marqué la précédente édition de sa présence.
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