Aquarica T. 1 et T. 2 - Par Sokal et Schuiten - Rue de Sèvres

Dans le premier tome de cette histoire, nous avions laissé John Greyford et le lieutenant O’Bryan de la police de Rooadhaven à bord de l’étrange submersible échoué sur la plage du petit port. C’est la belle Aquarica qui conduit cet engin mi-créature vivante, mi-sous marin. Elle les entraîne à la découverte de sa lointaine terre natale située sur le dos d’une baleine géante.

Le premier tome est paru en 2017.

À leur arrivée, les deux hommes vont découvrir un monde bien différent de celui qu’ils ont quitté : lumineux, solaire avec un côté "paradis perdu", hors de toute réalité. Ils se retrouvent dans un refuge accueillant, séduisant et bercé par l’utopie mais… menacé ! Un monde que les autres baleiniers lancés à leur poursuite ont décidé de faire disparaître en tuant la monstrueuse baleine. La survie du peuple d’Aquarica est sérieusement compromise pour d’autres raisons : climatiques, écologiques...

Comment stopper la folie de ces marins prisonniers de leur condition, de leurs ignorances et de leurs croyances ? Le jeune Greyford se retrouve écartelé entre ses sentiments pour Acquarica et le désir de faire connaître ce peuple au monde ou... de l’en protéger.

Derrière cette saga maritime un brin nostalgique apparaît une fable écologique et romantique. Fruit d’un projet partagé entre des deux auteurs majeurs, ce récit privilégie plusieurs entrées : ancrée sur l’âge d’or des baleiniers, située autour des années 1930, la narration puise son imaginaire aussi bien dans l’univers de Jules Verne que par celui d’Herman Melville (auteur de Moby Dick). Un contexte général traité avec brio par Benoît Sokal, qui s’oriente vers une vision paradisiaque, une utopie naturaliste.

Révélé à tout juste vingt ans avec les enquêtes de l’inspecteur Canardo(Casterman) avant d’explorer avec succès le monde du jeu vidéo avec l’Amerzone ou Syberia, cet auteur a suivi un parcours artistique original, exigeant et de grande qualité. Issu de la génération (A SUIVRE) François Schuiten a su lui aussi se faire une place singulière comme scénariste et dessinateur à partir des années 1980. Amis depuis leurs études, les deux hommes se connaissaient et s’appréciaient mais n’avaient pas eu l’occasion de travailler ensemble.

Ce travail réalisé « à quatre mains » témoigne sans doute de manière définitive de cette profonde et longue amitié. L’entreprise est d’autant plus émouvante qu’il s’agit d’un ouvrage ultime puisque la maladie n’a pas permis à Sokal d’aller au bout du projet.

François Schuiten s’est alors chargé de prendre le relais pour clore cette aventure fantastique, qui rend ce second tome exceptionnel. Les douze dernières pages sont donc signées François Schuiten qui est allé jusqu’à utiliser les propres crayons de couleur que lui a remis son ami alors très malade. Les deux auteurs ayant des techniques assez proches et pas mal de convergences de vue, cette transition n’affecte en rien le plaisir de la lecture de l’album. Dans ce contexte, le cahier graphique commenté par le co-auteur des Cités obscures avec sensibilité et émotion prend bien évidemment les allures d’un vibrant hommage au créateur de Canardo. Bénéficiant comme toujours chez Rue de Sèvres d’une réalisation technique impeccable, ce récit désormais en deux tomes propose une histoire attrayante et le témoignage de la profonde amitié qui liait ces deux auteurs d’exception.