Sous la ceinture – Par Freaks – Éd. Lapin

En guise d’explication aux médias, elle ne laisse qu’un message sybillin dans lequel elle présente ses excuses à celles et ceux qui ont cru en elle. Durant des années, les journalistes sportifs avancent toutes sortes d’hypothèses pour comprendre. Ce qu’ils ne savent pas, c’est que Diane Berkovitch est une boxeuse K.O. avant même d’avoir combattu sur ce ring , dans la compétition qui aurait dû la consacrer. Son entraîneur l’a violée. 10 ans après, alors qu’elle ne s’est confié sur le crime qu’à un ami (et même pas à sa compagne), elle voit le visage de son agresseur à la télévision, où il est devenu commentateur. Après des années de sidération et d’impuissance, l’injustice, la colère, le sentiment de revanche apparaissent. Il lui a volé son rêve de taper l’adversaire ; elle se débrouillera pour lui donner ce qu’il mérite : lui casser la gueule, et en public.

« Cette oeuvre aborde des sujets sensibles liés au viol et aux violences sexistes et sexuelles. Nous vous conseillons d’être dans de bonnes conditions pour la lire » : cet avertissement en début d’ouvrage annonce un récit marqué par la crudité de la réalité. Depuis plusieurs années, les cas de violences sexistes et sexuelles dans le sport sont enfin médiatisés : ils touchent notamment des filles placées dans une situation de dépendance et de domination à l’égard d’un entraîneur vu comme le seul par qui les rêves de trophées peuvent se réaliser. L’autrice, Freaks, aborde avec puissance ce thème, dans un récit bien ficelé dans lequel les émotions qui traversent l’héroïne sont mises en valeur : culpabilité, prise de conscience, combativité, comme une renaissance progressive qui vise à rétablir une forme de justice. Mais ce chemin n’est pas linéaire, et c’est l’une des forces de ce livre, qui montre à quel point la reconstruction est faite tantôt d’espoirs, tantôt de désespoirs. Il envisage aussi une issue originale (mais qui, bien sûr, ne réparera que trop peu) : alors que la voie judiciaire est bien souvent décourageante pour les victimes, c’est ici par le combat, sa spécialité, que Diane envisage de prendre sa revanche. Dès lors, le combat de la résurrection n’est pas qu’une métaphore, en attaquant le mail par le mal : sous la ceinture (excellent titre !).

Il est aussi question ici d’amitié, d’identité de genre, des frontières entre masculin et féminin et, somme toute, de questionnement de soi car, pour combattre, Diane devra changer ; l’histoire est ancrée dans un cadre moderne (les réseaux sociaux ont une grande importance pour que la parole se « libère » et contribuent à révéler le portrait d’un serial-violeur ; les médias relaient des poncifs qui banalisent la culture du viol). L’autrice, par ailleurs engagé dans les luttes anti-validistes et antipsychiatrie, active sur les réseaux sociaux (freaksdessin sur Instagram), maîtrise son sujet et le découpage de son récit. Son trait, largement bleuté, mélange travail à la peinture et à la tablette graphique. Un livre qui compte.