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"Cassandra Darke" : le polar "So British" de Posy Simmonds

Par Thomas FIGUERES le 4 mai 2019                      Lien  
Dans son nouveau roman graphique, "Cassandra Darke", l'autrice britannique Posy Simmonds nous conte la vie d’une riche marchande d’art londonienne dont la fortune provient de diverses escroqueries ainsi qu’un héritage familial, transposition féminine du personnage d'Ebenezer Scrooge de Dickens, qui se retrouve mêlée, à cause de sa nièce Nicki et de ses amourettes dissolues, dans un polar bien contemporain.
"Cassandra Darke" : le polar "So British" de Posy Simmonds
"So British", la biographie-artbook de Posy Simmonds par Paul Gravett

Paru en novembre dernier en Grande-Bretagne, Cassandra Darke, le troisième roman graphique de Posy Simmonds (Denoël Graphic, traduction de Lili Sztajn), est arrivé en France avec grand bruit. Il faut dire qu’il est accompagné d’un artbook consacré à la dessinatrice anglo-saxonne : So British ! L’Art de Posy Simmonds, publié chez Denoël Graphic également, et signé de l’éminent spécialiste anglais de la bande dessinée Paul Gravett.

C’est à Londres, comme dans un conte de Dickens, en pleine période de Noël, que débute ce récit. Les festivités de "Christmas" revêtent une importance toute particulière Outre-Manche, d’imposantes décorations sont installées, le métro londonien ferme durant une semaine et le jour de Noël fait de la capitale anglaise une ville morte où même les bus et les trains s’arrêtent. «  La matière intrinsèque du récit est une description sociale du Londres et de la vie métropolitaine d’aujourd’hui. Je voulais absolument dessiner la période de Noël car les décorations constituaient des décors fantastiques » nous confiait Posy lors de sa récente venue à Paris.

Son héroïne, Cassandra, est une riche marchande d’art habitant les quartiers chics de la capitale anglaise et dont la galerie est située dans le quartier de Piccadilly Circus. Elle s’est rendue coupable de plusieurs fraudes et se voit assignée en justice.

Cassandra Darke - Par Posy Simmonds - Traduit de l’anglais par Lili Sztajn - Denoël Graphic
© Denoël Graphic

« À la différence de mes premiers romans graphiques, nous explique l’autrice anglaise, j’ai choisi d’aborder le monde de l’art car je connais ce milieu : je vends des planches aux galeristes, je connais des peintres, … J’ai donc un intérêt personnel pour cet univers. Ce choix repose également sur le fait que la galerie soit située en plein Piccadilly Circus. Cette situation géographique permet une caractérisation immédiate de Cassandra Darke en mettant en avant sa richesse et son statut social. Cassandra est une très riche bourgeoise qui a hérité sa fortune de son père. Elle est douée pour son travail, qui consiste à vendre des gravures, mais elle est également très douée pour les escroqueries qui l’ont enrichie ! »

Dans ce récit d’une descente aux enfers, Cassandra perd toute crédibilité et va peu à peu se couper du monde. Posy s’attelle alors à déconstruire le personnage que nous venons tout juste de rencontrer. Ce processus va se suivre d’une reconstruction morale de Cassandra des plus intéressantes, transmise avec justesse par la finesse du mélange texte-illustration mis en place.

Cassandra Darke - Par Posy Simmonds - Traduit de l’anglais par Lili Sztajn - Denoël Graphic
© Denoël Graphic

Car le repli sur elle-même de cette arrogante bourgeoise va être perturbé par l’irruption dans sa vie de sa jeune nièce Nicki. Cette dernière, à la situation professionnelle instable, va loger dans le sous-sol de la maison de Cassandra et travailler pour elle. Parallèlement, elle mène une vie qui se partage entre projets artistiques douteux, danse burlesque et amourettes à problème. Sur ce point, comme sur de nombreux autres, les deux protagonistes sont en totale opposition. Cassandra est un personnage patibulaire qui n’a cure des codes sociaux et de la féminité. Nicki, en revanche, est éprise de liberté et semble refuser de grandir, tout en s’inscrivant dans une démarche libertarienne et féministe d’acceptation de son corps et de contrôle de son image.

« J’aime le contraste entre Cassandra et Nicki, analyse Posy. C’est en quelque sorte l’opposition entre deux générations du féminisme qui se dessine. Nicki est amatrice de burlesque, j’ai entendu parler de femmes qui aimaient ça, et qui le décrivaient comme une forme de liberté : on contrôle son corps et la vision que l’on renvoie. Cassandra est contre, elle parle de « strip-tease pour les bourgeois ». Selon elle, ce sont les femmes pauvres qui se donnent en spectacle pour les riches. De plus, Cassandra est grosse et se fiche de sa silhouette, elle s’accepte. Elle ne cherche pas à être aimable et est très contente de s’opposer à toutes les choses qui sont attendues chez une femme. »

Bien que la relation entre ces deux personnages soit l’un des pans importants de l’album, elle n’en constitue pas la trame principale. Dans le même temps, une histoire de disparition non résolue, de meurtre, de vidéo à caractère pornographique et d’arme à feu se tisse. C’est en effet un an après le départ de Nicki de son sous-sol que Cassandra va y retrouver une arme dissimulée. Un jeu de renvoi temporel orchestré avec précision se met en place et ce dès le début de l’album au moment où l’on apprend le décès d’une jeune femme non identifiée. C’est par le biais de ces sautes dans le temps que Posy dévoile son intrigue et nous en présente toute la complexité.

Posy Simmonds et Paul Gravett
Photo : Didier Pasamonik (L’Agence BD)

Le déroulement d’un tel récit n’aurait probablement pas été possible si Posy avait adopté un format de bande dessinée conventionnel. En maniant avec talent les différents outils narratifs à sa disposition, l’autrice parvient à tirer le meilleur du format « roman graphique ».

Son biographe Paul Gravett le confirme : « Les mots de Posy sont choisis avec minutie et, à la différence d’autres auteurs de bande dessinée, le texte est bien plus fourni. Je conçois le roman graphique comme l’un des avenirs de la bande dessinée et je pense que, jusqu’à maintenant, peu de gens s’y sont essayés. Le monde de la bande dessinée est très attaché à l’image, et cela va de soi, mais je pense que le texte a beaucoup à apporter et peut parfaitement complémenter le dessin. Le mixage des systèmes de lecture caractérise les romans graphiques de Posy avec la présence de zones de textes entre les différentes illustrations, parfois muettes. Cette technique permet également d’économiser certaines cases, qu’un paragraphe de texte transmettra plus justement. En alliant texte et dessins, Posy tire le meilleur de chacun des systèmes de lecture et l’expression "roman graphique" prend dès lors ici tout son sens. »

Cassandra Darke - Par Posy Simmonds - Traduit de l’anglais par Lili Sztajn - Denoël Graphic
© Denoël Graphic

Une adaptation cinématographique déjà en vue ?

Cette façon de raconter est sans doute ce qui a su attirer l’attention des réalisateurs. Rares sont les auteurs dont toutes les œuvres sont portées à l’écran. Les deux premiers romans graphiques de Posy, Gemma Bovery (2000) et Tamara Drewe (2008) ont chacun eu droit à leur adaptation sur le grand écran, en 2010 pour Tamara Drewe, par Stephen Frears, puis en 2014 pour Gemma Bovery, par Anne Fontaine.

Ce troisième roman graphique intéresse déjà, lui aussi, l’attention de certains producteurs et réalisateurs. Ce plébiscite du grand écran ne semble toutefois pas interférer au sein de son processus créatif, même si certaines de ses méthodes de travail se rapprochent de celles du cinéma : « Dessiner un roman graphique c’est un peu comme dessiner un film. Je ne songe toutefois pas à une potentielle adaptation cinématographique lorsque je dessine. Je me saisis d’un carnet et je dessine les personnages à la façon d’un casting de film. Ce qui importe, ce sont les personnages avant tout ! »

Cassandra Darke - Par Posy Simmonds - Traduit de l’anglais par Lili Sztajn - Denoël Graphic

Enfin, nous ne pouvions laisser repartir cette grande dame anglaise et son compatriote biographe sans évoquer l’actualité politique européenne du moment. Et à la question : Le Brexit et les évènements qui en découlent vous inspirent-ils ?, on assiste à un haussement d’épaules excédé : « Je ne pense pas… Enfin je ne sais pas... Pour le Brexit, il faut attendre que la poussière retombe... La situation est difficile à commenter, mais on peut déjà affirmer qu’elle est inquiétante. D’une certaine façon, la femme sans-papiers tuée dans "Cassandra Darke" évoque indirectement l’un des sujets au cœur du Brexit : l’immigration. »

Posy Simmonds serait-elle plus politique qu’on ne le pense ? « L’idée de l’histoire m’est venue en marchant dans les rues de Londres. J’aime me balader, dans les quartiers riches comme pauvres et, en quelques années, j’ai été frappé par l’élargissement de la fracture entre riches et pauvres. Tout vient de là... ».

(par Thomas FIGUERES)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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