Dans un régime fasciste aussi, le crime se déploie. Madrid 1956, des femmes sont sauvagement assassinées. Le tueur, lui, semble espérer qu’on le cueille, et vite. À ses trousses, pas seulement la police de Franco. Deux journalistes d’un quotidien madrilène, qui n’ont pas grand chose en commun : Emilio traîne son dégoût du régime sous son chapeau fatigué, tandis que Léon, débarqué de France, se montre bien plus sensible. Un beau gosse en impair qui veut par dessus tout découvrir la vérité sur sa propre famille, celle de sa mère espagnole.
Pour beaucoup, l’autrice Teresa Valero fera figure de révélation en France, en dépit de son travail avec Juango Guarnido (Blacksad) (comme scénariste) et son expérience d’animatrice dans des studios espagnols. Son dessin est éclatant de grâce, de sensualité et de virtuosité. Elle varie à merveille les angles, les décors, la composition des pages. Sa reconnaissance envers Miguelanxo Prado, exprimée dans sa page de remerciements, souligne une évidente filiation. Côté français, on pense plutôt au charme rétro d’Annie Goetzinger [1].
Comme l’explique Teresa Valero dans son texte en appendice, cet album représente un travail colossal. Quatre ans pour parvenir à retrouver les détails de l’époque, se documenter sur les tensions politiques et le fonctionnement de la police franquiste. Le tome un compte ainsi 140 pages...
Cette plongée en profondeur dans les hypocrisies de l’Espagne d’alors s’attarde autant sur le sort des femmes que sur le monde cadenassé des médias, et les mentalités rétrogrades. Pour cette raison, l’intrigue policière avance peu, et n’occupe pas l’essentiel de l’intrigue. On se retrouve régulièrement un peu perdus entre la quête de Léon, la déprime d’Emilio, et plusieurs seconds rôles aiguisés. Parmi eux, l’adolescente qui se frotte à la médecine légale aux côtés de son père mérite une mention spéciale.
Ambitieuse et humble à la fois, Teresa Valero a bien raison de revendiquer le statut artistique de son tome 1. Et de conclure son appendice par ces mots touchants : "T’as vu papa ? fabriquer des BD, ce n’est pas si mal, après tout."
(par David TAUGIS)
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Traduit de l’espagnol par Anne-Marie Ruiz et Marie Estripeaut-Bourjac
[1] disparue en 2017