Rachetant une ancienne imprimerie au cœur de Bruxelles, François Deneyer avait eu l’idée d’y créer un Musée jijé. Pourquoi pas ? Après tout, avec la perspective d’un Musée Hergé à Ottignies/Louvain-La-Neuve, et un Centre Belge un peu endormi sur ses lauriers, il y avait la place pour une nouvelle institution consacrée à la BD à Bruxelles. « Cette aventure représente un investissement privé de 450.000 euros » confiait-il alors à notre confrère, le quotidien belge « Le Soir ». Les pièces exposées venaient de la collection particulière du fondateur à laquelle la famille de Joseph Gillain, alias Jijé avait ajouté quelques joyaux. Le lieu était bien situé, la scénographie agréable et les pièces exposées d’une exceptionnelle qualité. Nous avons tout de suite exprimé notre enthousiasme pour ce projet, au point de publier, pour le soutenir, une « carte blanche » dans le principal quotidien bruxellois.
Un projet d’une folle témérité.
Las, des 450.000 euros annoncés, c’est une facture finale de 1.150.000 euros qui s’avance, à laquelle s’ajoutent des frais de fonctionnement de 200.000 euros en un an et demi. Très vite, pour le fondateur, les ennuis s’accumulent. Ils ont plusieurs causes. D’abord sa précipitation. Celui-ci s’est lancé dans l’aventure sans même attendre de la part des institutions dont il sollicitait les subsides, une nécessaire instruction du dossier. « Trois ministres ont successivement refusé de le subsidier » note « Le Soir » de Bruxelles du 9 janvier 2005. Les observateurs font remarquer que les structures d’aide publique pour ce genre d’initiative culturelle n’existaient pas. Comment le Musée Jijé aurait-il reçu de conséquents subsides alors que le Centre Belge, à l’origine soutenu par toute la profession et touchant une cible bien plus large, reçoit moins de 7% de fonds publics ? Cela aurait créé un précédent que les politiques ne pouvaient pas assumer. D’après nos informations, François Deneyer n’aurait pas été non plus, dans ses démarches, très diplomate, braquant contre lui jusqu’aux meilleures bonnes volontés. Dès lors, lancer une telle entreprise sans attendre les décisions des pouvoirs publics, n’était-ce pas faire transformer un sympathique volontarisme en folle témérité ?
Recettes insuffisantes.
Par ailleurs, les recettes attendues n’ont pas suivi. Là aussi, on peut aussi légitimement se poser des questions sur la préparation en amont du projet. Comment un dessinateur, certes crucial dans l’histoire de l’Ecole belge de BD, aurait-il pu rassembler un nombre suffisamment important de visiteurs sur son nom alors que sa notoriété est quand même très réduite en Francophonie et pour ainsi dire nulle à l’étranger ? Dans « Le Soir » du 9 janvier 2005, François Deneyer confie à notre confrère Jean-Claude Vantroyen qu’il avait tablé sur une fréquentation de « 30.000 visiteurs après quatre ans » et que son score actuel était de 20.000. Mais comment fait-on alors pour tenir financièrement pendant la période de décollage ? Il ne semble pas que notre promoteur l’ait correctement anticipé.
Le Musée n’a cependant pas démérité multipliant les expositions temporaires d’un grand intérêt comme une rétrospective du dessinateur de Buck Danny Victor Hubinon, du très attachant créateur de Timour, Sirius, ou encore en accueillant actuellement l’exposition Rosinski, montrée précédemment à Angoulême et à Paris. Des expositions que l’on n’aurait pas vues au Centre Belge dont les cimaises (et les budgets) sont limités.
Fin de partie.
Les ennuis financiers du musée ont très vite commencé à apparaître, les créanciers assignant l’institution en justice. « La fermeture du musée avait été évitée de justesse à l’été 2003, grâce à un geste de solidarité des auteurs de bandes dessinées » (Nous vous en avions, en son temps, longuement parlé), note le journal « Le Soir » qui annonce que, cette fois, contrairement à ce que nous affirmait françois Deneyer il y a encore quelques jours, « la fermeture semble inéluctable » Le journal cite François Deneyer : « Je veux revendre les locaux pour ne pas être forcé de dilapider les collections. » Mais les locaux appartiennent-ils au musée ? Rien n’est moins sûr. Selon la déclaration du fondateur, le Musée Jijé deviendrait dès lors une collection itinérante multipliant les expositions temporaires. Il évoque la possibilité de trouver une terre d’accueil en Wallonie, à Charleroi, où les édiles ont l’intention de mettre en chantier un musée des arts wallons qui ferait à la BD une petite (et légitime) place. La Communauté Française avait d’ailleurs acheté dans cette intention, à François Deneyer, quelques œuvres de Jijé (laissées en dépôt à Bruxelles), signe que les pouvoirs publics n’ont pas toujours été de mauvaise volonté.
Incohérence des pouvoirs publics belges.
En réalité, l’erreur majeure de François Deneyer, outre ses maladresses, a peut-être été d’avoir choisi Bruxelles plutôt que la Wallonie. La capitale belge, du fait de la charge que constitue la Communauté Européenne, a structurellement des difficultés budgétaires et un budget très réduit pour la culture. Sa marge de manœuvre est mince car il n’y a tout simplement pas d’argent. Les musées nationaux, en dehors de ceux qui existent depuis longtemps, ne sont techniquement plus envisageables depuis que le pays a entamé, à partir des années 60, une communautarisation qui revient à laisser aux régions, et à elles seules, le soin de financer leur politique culturelle. Comment les Flamands ou les Germanophones peuvent-ils envisager de subsidier un art wallon ?
Forte de sa légitimité historique, la ville de Charleroi, qui a vu naître les éditions Dupuis et l’Ecole de Marcinelle, a montré en revanche depuis quelques années, grâce au travail de fond de son échevin à la Culture Christian Renard, un intérêt pour maintenir la BD dans le giron wallon. La rencontre récente du bourgmestre de la ville avec les responsables de Média-Participations, leur cycle annuel d’expositions au Palais des Beaux-Arts (Munoz/Breccia puis Alan Moore), leur participation à la Charte des Villes BD et, si l’on en croit le mensuel BoDoï, le mandat donné récemment à Thierry Tinlot pour créer une fête populaire de la BD dans l’ancienne capitale minière, sont autant de signes qui montrent que cette ville est une bonne candidate pour accueillir un tel fond. Encore faut-il que les intentions du créateur du musée Jijé soient plus réalistes et, sans doute, un peu plus transparentes.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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