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Francfort 2007 : Dans un paysage où le roman graphique est en croissance, les mangas marquent le pas

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 15 octobre 2007                      Lien  
À la Buchmesse de Francfort cette année, le roman graphique a le vent en poupe. En revanche, pour la première fois, les mangas marquent un signe d'essoufflement. Ces deux tendances profitent à la bande dessinée européenne.

C’était visible dans le stand Gallimard cette année : le Sésame pour vendre de la bande dessinée à Francfort cette année était le vocable « Graphic Novel », un genre qui a pris aujourd’hui une dimension mondiale et qui a le vent en poupe.

L’avènement du Roman graphique

Forgé par Jim Steranko en 1976 dans la préface de son « Visual Novel », Chandler : Red tide , le terme "Graphic Novel" avait été repris pour la première fois en couverture de l’ouvrage de Will Eisner, A Contract With God (Un contrat avec Dieu, chez Delcourt) en 1978, ouvrant des perspectives inédites pour l’exploitation de la bande dessinée en librairie. Cette initiative permit la création d’un nouveau type de création : le récit mémoriel qui prit une dimension planétaire avec le Maus de Spiegelman, tandis que l’édition « mainstream » emboitait le pas en compilant ses classiques sous la forme de « trade paperbacks » (TPB) (des recueils) pour emplir les rayons et pour s’adresser à un public qui n’était plus celui des teenagers, mais bien celui des adultes.

Francfort 2007 : Dans un paysage où le roman graphique est en croissance, les mangas marquent le pas
Le panel sur le marché mondial de la bande dessinée : De g. à dr. le Dr Andreas Dierckx (Allemagne), animateur de la table ronde, Jose Maria Berenguer (Espagne), Chigusa Ogino (Japon), Didier Pasamonik (France), Claudio Curcio (Italie) et Hee-Eun Jung (Corée).
Photo : L’Agence BD.

À leur suite aux États-Unis, les nouvelles tendances de la Small Press (comme on dit ici : l’édition « indépendante ») ou plus simplement toute bande dessinée qui ne ressortait pas du genre super-héros, choisit cette forme d’édition commode pour coloniser les rayons des librairies généralistes et sortir des librairies spécialisées. Des ouvrages fabriqués avec soin, aux connotations plutôt artistiques, littéraires et/ou politiques, comme par exemple le From Hell d’Alan Moore et Eddie Campbell, le Jimmy Korrigan de Chris Ware, Un Monde de Différence de Howard Cruse ou encore récemment le Fun Home d’Alison Bechdel. En France, L’Association appliqua la recette et permit l’émergence de chefs-d’oeuvre comme L’Ascension du Haut-Mal de David B, le Pascin de Joann Sfar ou encore le très notoire Persepolis de Marjane Satrapi.

Cette installation durable d’une bande dessinée de format roman en librairie s’accordait parfaitement aux besoins d’une nouvelle génération de consommateurs gorgée d’images grâce à la télévision et aux jeux vidéo et qui ne se sentait plus concernée par les interdits liés aux « illustrés » hérités des éducateurs du 19ème siècle.

Les Mangas et les Manwhas sont encore très présents.
Photo : D. Pasamonik. L’Agence BD.

Les mangas, une norme mondiale

L’autre courant dominant, le manga (et ses concurrents asiatiques, mais qu’ils s’appellent Manwhas ou Manhuas, il s’agit du même mot et du même objet, et il n’est pas choquant de les agglomérer), a aujourd’hui conquis de façon profonde et durable la plupart des continents. Fort de l’appui de dessins animés produits en coulée continue depuis l’archipel nippon (60% des dessins animés dans le monde sont actuellement des licences japonaises), ce mouvement reste majoritaire et puissant. En France, les chiffres ont montré que ce genre n’avait pas, jusqu’à présent, phagocyté les autres segments du marché, la BD franco-belge et les comics restant continument en croissance depuis 2000, tandis que les éditeurs dits « indépendants » ont plus que doublé leur production depuis six ans. La caractéristique des mangas est que leur diffusion, populaire et parfaitement segmentée, se fait surtout dans la grande distribution dans les linéaires dévolus au livre de poche.

Un marché mondial de la BD en expansion

La plupart des observateurs du panel organisé par la Foire du Livre de Francfort, « The International Comics Market 2007 », qui réunissait des experts européens et asiatiques (l’intervenant américain, Chuck Rozanski de Mile High Comics, étant malade) parmi lesquels la Japonaise Chigusa Ogino de l’Agence Tuttle Mori (qui gère les licences de Full Metal Alchemist, Fruits basket ou Evangelion), Jose Maria Berenguer, président du salon de la BD de Barcelone, Claudio Curcio, son homologue italien de Naples, Hee-Eun Jung d’Economix Media en Corée ou encore l’auteur de ces lignes, en étaient d’accord : le marché mondial de la bande dessinée est en expansion. « Tiré par les dessins animés et le cinéma », constatait JM Berenguer. Madame Ogino pense que la tendance est durable car, constate-t-elle, les programmes de dessins animés qui étaient réservés, au Japon, aux après-midis, « commencent à migrer en soirée, ce qui aura pour effet d’accroître davantage encore les audiences ».

Pour la première fois cette année, les Indépendants français étaient représentés dans l’espace BD "Faszination Comic"
Photo : D. Pasamonik.

Des conséquences parfois funestes sur le marché domestique

Si les mangas et les romans graphiques ont largement accru la visibilité de la bande dessinée auprès du grand public au niveau mondial, leur réussite peut avoir de sérieuses conséquences au niveau local. Sur les éditeurs d’abord car cette situation aiguise l’intérêt des éditeurs de littérature pour la bande dessinée, bien décidés qu’ils sont de ne pas céder ainsi leur territoire sans batailler. C’est pourquoi en France Gallimard a créé trois filiales dédiées à la bande dessinée : Bayou au sein de Gallimard jeunesse, Denoël Graphic au sein de sa filiale Denoël ou encore Futuropolis en joint-venture avec Soleil. C’est la raison aussi pour laquelle un éditeur comme Grasset a raflé le contrat du Complot de Will Eisner en offrant un à-valoir supérieure aux pratiques habituelles du marché : aucun éditeur de BD « classique » (Vertige Graphic, Rackham, Delcourt, Denoël...), n’avait pu suivre. Rebelote cette année en Allemagne : l’éditeur allemand Kepenheuer & Witsch a coiffé au poteau la plupart des éditeurs de BD d’Outre-Rhin pour l’acquisition du contrat de Fun Home d’Alison Bechdel, attiré par sa position flatteuse sur la liste des meilleures ventes du Publishers Weekly !

Sur les auteurs ensuite, JM Berenguer constatant que les auteurs espagnols sont de plus en plus contraints à aller se faire publier en France ou aux Etats-Unis, les maisons d’édition espagnoles n’étant plus assez puissantes pour assurer l’éclosion de nouveaux talents. Claudio Curcio s’inquiète de la bipolarité en Italie entre une multinationale, Panini, qui exploite des licences japonaises et américaines et une maison familiale comme Bonnelli qui s’adapte difficilement à la nouvelle donne.

En réalité, tout est une question d’intensité capitalistique. Seules, en Europe, des maisons comme le Français Média-Participations (Dupuis , Dargaud, Lombard, Kana...) ou le groupe danois Egmont sont capables d’éditer des bandes dessinées et de favoriser, en même temps leur exploitation cinématographique. Mais pas seulement : on a vu plus d’une fois, aux Etats-Unis (American Splendor, Ghost World, Road of Perdition, Sin City...) comme en France (Persepolis,...) que la Small Press était aussi capable d’accéder à ces outils de diffusion de masse.

Tokyopop est un bon exemple de la mondialisation. Joint-venture entre un éditeur américain et des éditeurs japonais, ce label a créé sa propre filiale en Allemagne : Tokyopop Germany.
Photo : D. Pasamonik.

Des retombées positives pour la BD franco-belge

Cette embellie a néanmoins des retombées positives pour la bande dessinée franco-belge. D’abord sur les formats « graphic-novels », comme la collection Bayou chez Gallimard, qui ont vendu des contrats un peu partout dans le monde en particulier aux Etats-Unis, ou encore sur Persepolis, aidé par le Prix du Jury à Cannes, son succès en salle en France et sa nomination aux Oscars. L’éditeur germanophone Edition Moderne attend avec impatience la sortie du film en Allemagne en novembre.

Ensuite sur les BD franco-belges de type classique qui profitent de la vogue du graphic-novel pour opérer un très opportun « repackaging » dans le format roman. C’est le cas par exemple pour Le Chat du rabbin de Joann Sfar dont les trois premiers tomes sont très souvent compilés en un seul dans plusieurs pays comme par exemple aux États-Unis et en Norvège. Grâce à ces évolutions, la BD franco-belge est considérée par la plupart des observateurs comme étant « en fin de crise » en ce qui concerne les ventes de droits à l’étranger.

Les mangas français, encore marginaux, continuent leur percée. La collection Shogun (Humanoïdes Associés) a fait pas mal de touches en Europe, en Bulgarie ou en Turquie et commence à susciter l’intérêt des Asiatiques. La série Dofus (Ankama) semble avoir intéressé des éditeurs en Allemagne et en Espagne.

Par ailleurs, le marché des mangas commence tout doucement à stagner, aussi bien au Japon qu’à l’étranger. La plupart des éditeurs étrangers anticipent prudemment une baisse et diversifient leur catalogue en achetant leurs licences ailleurs afin d’éviter de mettre « tous les oeufs dans le même panier », notamment dans le secteur des comics et celui de la bande européenne.

Comme on le voit, les rapports de force retrouvent au niveau mondial leur point d’équilibre, chacun des genres tirant finalement son épingle du jeu, tandis que les premières interrogations surviennent d’Asie, notamment de M.Hee-Eun Jung de Corée sur l’usage de plus en plus profitable dans son pays des bandes dessinées destinées à être lues sur les téléphones portables.

Catherine Cropsal (Futuropolis). Avec sa production diversifiée, Futuropolis est particulièrement adapté au marché international qui s’est affranchi des produits formatés.
Photo : D. Pasamonik.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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